Alors qu'il était contrôleur civil dans l'administration du Protectorat français au Maroc et se trouvant en poste à Imintanout dans le sud marocain, il a reçu un télégramme officiel de la Présidence française à Rabat l'informant, comme à toutes les autorités du Protectorat, de la déposition du Sultan Mohamed Ben Youcef le 2 août 1956, M. Berque convoque tous les corps constitués de sa circonscription et les responsables marocains du Makhzen local. Devant une assistance inquiète, il demande au cadi et à ses adouls (notaires) de consigner, sur procès-verbal, les déclarations qu'il va faire. Il signifie alors aux présents que le contrôleur civil, chef de la circonscription d'Imintanout, a reçu un télégramme officiel pour les informer que le Sultan Mohamed Ben Youcef a été déposé et remplacé par Mohamed Ben Arafa. Après un silence pesant, il ajoute : «Que le citoyen français Jacques Berque fustige et condamne cette opération qui est contraire aux engagements du traité du Protectorat de 1912 ». Il se fait remettre le PV de la réunion, remet ses pouvoirs à son adjoint, fait ses valises et rentre à Paris en abandonnant son poste. Trois autres contrôleurs civils ont eu la même attitude dans tout le Maroc. A Paris, M. Berque est mis à l'index par l'administration des Affaires étrangères, département de tutelle du Protectorat. Toutes les portes lui furent fermées pour trouver un emploi, en représaille de son attitude rebelle. Il rencontre le professeur Massignon qui, mis au courant de ses déboires, intervient pour lui auprès de la direction générale de l'Unesco pour une éventuelle mission qui pourrait lui être confiée. C'est ainsi qu'il est nommé représentant de l'Unesco au Caire pour le monde arabe. Cette nomination intervient juste après l'agression tripartite (France, Angleterre, Israël) d'octobre 1956 contre l'Egypte de Nasser, qui venait de nationaliser le Canal de Suez. Nasser fait des difficultés pour le recevoir, mais sur intervention de Mohamed Khider, membre de la délégation extérieure du FLN et de M. Allal El Fassi, leader du parti marocain de l'Istiqlel, le président Nasser finit par le recevoir. Lors de l'audience, M. Berque lui exhibe le PV du cadi d'Imintanout dans lequel il s'insurgeait contre la déposition du Sultan Mohamed Ben Youcef. De plus, Nasser est étonné d'entendre Berque parlant un arabe classique et châtié et réalise qu'il a affaire à une personne libre, doublée d'un humaniste anticolonial. A la fin de l'audience, Nasser l'embrasse vivement et le congratule en lui assurant que son bureau lui est désormais ouvert et à tout moment. Ces faits historiques montrent que Berque a été un «ouvreur» de conscience, a participé à la mise à mort de l'Orientalisme colonial. Berque a aimé sincèrement l'Algérie, même si après 1965 il a été empêché d'y revenir. Plus tard, grâce à M. Boualem Bessaïh, alors ministre de la Culture, M. Jacques Berque a été invité en Algérie et animé plusieurs conférences et surtout visité avec émotion son village natal, Frenda. Il retrouva avec chaleur sa nourrice algérienne qui était encore en vie. Ces indications, pour l'histoire, donnent une certaine idée du personnage qui fut un militant des droits de l'homme et de la décolonisation des peuples.