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L'Algérie et ses dangereuses incertitudes
Publié dans El Watan le 01 - 02 - 2011

Ces dernières violences diffèrent de celles, nombreuses, de l'année 2010 avec leurs intensités élevées, leurs simultanéités et leurs étendues. Touchant à la fois plusieurs wilayas et des localités au sein d'une même wilaya, elles présentent l'allure d'insurrections brutalement réprimées avec encore des morts, des blessés, des détenus et des destructions.
Les pouvoirs qui se succèdent par les coups de force, les trucages des urnes et autres manipulations et intrigues sont coupables et responsables des centaines de milliers de morts, d'exilés, des dizaines de milliers de blessés, de disparus et des milliards de dollars de destructions semblent s'en accommoder et traitent avec mépris les jeunes poussés, par le désespoir, la hogra et l'exclusion, à la violence.
Pour eux, il ne peut s'agir que de comportement de voyous, trouvant dans ces évènements l'occasion pour mettre la main sur quelques biens de personnes ou de collectivités. Ces violences seraient considérées même comme nécessaires pour servir de soupapes de sécurité pour évacuer l'excès de pression du chaudron Algérie, évitant ainsi l'explosion fatale.
Les Algériennes et Algériens sont nombreux à avoir compris qu'ils n'ont rien à attendre de ces pouvoirs usurpés depuis 1962 et qui consacrent leur énergie à confisquer tous les moyens du pays pour s'imposer et se sauvegarder en renforçant leurs positions et intérêts.
L'Algérie indépendante, avec eux, s'est enfoncée dans la militarisation qui lui a coûté cher et continue encore de coûter de plus en plus cher. Mieux encore, sous couvert d'un terrorisme, généré par les conditions de gestion du pays par ces mêmes pouvoirs, la militarisation de la société a été encore renforcée avec la multiplication de toutes les milices mises en place et pudiquement appelées patriotes, groupes de légitime défense, gardes de ceci, de cela, société de sécurité, armes distribuées à leurs clientèles.
Tous ces arsenaux, qui sont venus s'ajouter à ceux déjà énormes de l'armée, de la gendarmerie et de la police, sont censés conduire à rétablir, à maintenir la paix et à reprendre, donc, des niveaux compatibles avec les besoins d'un pays aux moyens financiers limités et qui nécessite un développement élevé. Dans la réalité d'aujourd'hui, où en est le pays ? L'état d'urgence est toujours en place, des Algériens sont toujours tués, blessés, handicapés, disparus, exilés, terrorisés, brimés, rackettés, enlevés, atteints dans leur honneur, leur dignité et leurs biens.
L'énorme machine à réprimer continue à produire de la répression et de l'oppression, lesquelles engendrent colère, révolte, délinquance, banditisme ; ce qui réamorce la répression. La boucle est bouclée. Les pouvoirs s'éternisent, s'enrichissent et reportent à un autre jour les solutions aux vrais problèmes de la société. Ainsi, les dernières augmentations de salaires des personnels de la Fonction publique, durement arrachées par les luttes des travailleurs et de leurs syndicats autonomes, quoique substantielles, sont vite vidées de leur contenu par les augmentations du coût de la vie et les manipulations monétaires perfides des pouvoirs. Les augmentations des denrées alimentaires, notamment le sucre et l'huile, considérées comme la grosse goutte qui a fait sauter le couvercle du chaudron Algérie, continueront, hélas, à absorber une part importante des revenus, non seulement à cause des augmentations sur les marchés internationaux, mais surtout du fait de la mainmise de la maffia militaro-politico-financière sur le marché intérieur de ces mêmes produits.
Le torchon brûle, l'Algérie ne connaît peut-être pas encore ces vraies «émeutes de la faim», mais il y a déjà des Algériens qui ne mangent pas toujours à leur faim, et quand la consommation absorbe plus de 60% des revenus, la faim est aux portes de nombreuses familles. Les discours mensongers et irresponsables de tous ceux qui se vantent de pouvoir assurer l'autosuffisance et la sécurité alimentaire du pays sont dangereux. Les Algériens ne veulent pas avoir faim, ce qui est normal, mais leurs revendications sont surtout politiques, convaincus aujourd'hui qu'avec le système en place, les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets. Ils exigent le changement profond du système politique, pour redonner au peuple sa souveraineté, toute sa souveraineté.
La question, donc, est de savoir comment procéder à ces changements en espérant pouvoir éviter au pays d'autres bains de sang, sauvegarder son unité et son intégrité territoriale. La sagesse et le patriotisme, comme la fidélité à la mémoire des martyrs de la guerre de Libération nationale, commandent d'évaluer lucidement la situation et de prendre exemple sur les pays comme la Pologne, l'Espagne et le Portugal qui ont réussi à sortir leur pays du totalitarisme et les intégrer dans le monde des démocraties libres.
La marche pacifique à laquelle a appelé le RCD le 22 janvier, vite interdite et brutalement réprimée, au-delà de toute considération partisane et des évaluations des uns et des autres, sur le moment et la manière choisis comme sur les objectifs réels ou supposés recherchés par ses auteurs, a montré que les Algériennes et Algériens ont encore beaucoup à faire pour se libérer de leur tyrannie.
Les moyens humains et matériels déployés, disproportionnés et même insensés, n'ont pas suffit à rassurer les hordes en bleu amassées partout dans la capitale. Ils ont suscité la colère, la réprobation et la condamnation des citoyens qui n'acceptent plus d'être bastonnés quand ils sortent pour crier leur ras-le-bol. La nervosité est grande quand le doyen des hommes politiques algériens Ali Yahia arrive sur la place, entouré de quelques amis et journalistes et quand la rumeur a gagné la place pour annoncer l'investissement du siège du RCD avec coups et blessures.
Non, les Algériens ne veulent plus recevoir de coups. Chaque fois qu'un bâton vient s'écraser sur la tête de quelqu'un ou une balle vient arracher la vie à un autre, ce sont tous les Algériens et Algériennes qui ressentent la douleur. Ils ne peuvent concevoir qu'on dénonce à juste titre les crimes et tortures d'un le Pen et qu'on tolère, ou devienne complices d'autres bourreaux qui sévissent en Algérie, 50 ans après l'indépendance. Il n'y a plus de place aux milices, aux mercenaires de tout genre, seules des forces républicaines et nationales placées sous les seules autorités des lois écrites, promulguées par des institutions librement et régulièrement élues méritent respect et considération.
Dans cet ordre d'idées, des Algériennes et des Algériens ont souvent exprimé leurs souhaits de voir toutes les forces du changement se rassembler et procéder aux ruptures indispensables pour sortir le pays de la tyrannie.
Le moment est aussi peut-être venu d'œuvrer à clarifier les positions des uns et des autres et en particulier de ceux qui disent être dans l'opposition. Des rencontres et des échanges ont eu lieu dans le passé pour instaurer des concertations et dégager des idées communes à une opposition plurielle. La tâche n'a pas été aisée à cause des approches différentes sur le diagnostic de la situation et les actions nécessaires à mener.
Dans la définition de la notion d'opposition, les divergences sont encore nombreuses. Il y a ceux et celles qui s'opposent au système politique dans sa globalité, toujours constitué par les pouvoirs occultes de la police politique (sécurité militaire, DRS) et les pouvoirs apparents : président de la République, gouvernement, administration, organisations politiques, associations, satellites des pouvoirs. Il y a ceux et celles qui sont opposés à certaines idées et orientations et celles et ceux qui sont opposés à des hommes, à des clans et autres. Il est évident qu'une telle situation n'est pas de nature à établir des clivages lisibles et visibles pour pouvoir se situer.
Aujourd'hui, eu égard aux déclarations publiques des uns et des autres mais aussi à des intentions avancées par certains, des possibilités de convergence semblent se dessiner. Des rapprochements seraient à encourager pour mieux préciser les choses et partager les revendications à rendre publiques pour aider le pays à sortir de manière ordonnée du système actuel vers une vraie démocratie et ce dans le cadre d'une transition négociée avec des objectifs définis et limités dans le temps : levée immédiate de l'état d'urgence, ouverture des champs politiques et médiatiques, suspension des lois scélérates et amendements d'autres dispositions pour libérer l'action…
Enfin, après les bombes et les canons de cette guerre qui ne finit pas et qui détruisent les forêts de la Kabylie, de l'Ouarsenis, des Aurès, des Babors et d'ailleurs, après les prisons bûchers de Chelghoum Laïd et autres, les fourgons étouffoirs de Tizi Ouzou, l'exode massif des populations vers une émigration mortelle, les suicides qui se suivent dans le silence assourdissant de nos villes et campagnes, voilà que les Algériennes et Algériens sont interpellés, dans l'horreur, par l'odeur terrible de la chaire humaine brûlée et les gémissements atroces de ces autres désespérés, transformés en torches vivantes. La détresse du pays est immense, et les limites de la patience, de la résignation, de la soumission sont franchies ouvrant ainsi les portes à toutes les incertitudes et catastrophes.
Le système en place est fini, il faut savoir l'arrêter. La poursuite dans les voies actuelles ne peut que conduire à des insurrections de plus en plus violentes et de nature à mettre en péril le devenir de l'Algérie et de sa population. Ce qui est arrivé en Somalie, en Irak, en Côte d'Ivoire, en Tunisie n'arrive pas seulement dans ces pays. Les Algériens sont certainement prêts à relever les défis qui les attendent :
– comment réduire rapidement et sensiblement la militarisation excessive en place et rendre à l'armée ses seules missions de défense du territoire ?
– Comment construire à moindre coût et dans des délais raisonnables des institutions légitimes issues de la souveraineté populaire rétablie ?
– Comment aménager le territoire national pour mieux répartir la population, sauvegarder et protéger les propriétés de la collectivité et celles des personnes qui ne souffrent d'aucune contestation ?
– Comment corriger, sans verser dans l'esprit de revanche, tous les abus et autres produits de la rapine et des passe-droits en vue de rétablir aussi dans leurs droits ceux qui ont été spoliés ou victimes d'injustice et de hogra ?
– Comment transformer et relancer l'économie pour permettre le développement du pays et un accès égal à tous à l'emploi et aux richesses nationales ?
– Comment adapter l'administration pour en faire la pérennité de l'Etat et mettre en place des services publics accessibles et performants ?
– Il y a évidemment d'autres domaines d'attention prioritaire que seul un vrai et libre débat pourra traiter.


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