Entré dans l'histoire du sport aux Jeux de Pékin avec ses trois pépites, le Jamaïquain Usain Bolt a continué de grandir au cours des 12 derniers mois pour écrire un nouveau chapitre de sa légende dimanche à Berlin avec un record du monde astronomique (9 sec 58). Dans le « Nid d'oiseau » chinois, Bolt était devenu « l'éclair » : trois épreuves, trois médailles d'or et trois records du monde. A Berlin, un an plus tard, il a confirmé en claquant un invraisemblable 9 sec 58 dès sa première épreuve et il lui reste à disputer le 200 m et le relais dans la capitale allemande. Depuis Pékin, Bolt, qui aura 23 ans le 21 août, a dû apprendre à composer avec son nouveau statut de star, avec ses bons mais aussi ses mauvais côtés. Pour les aspects positifs, le Caribéen a pu se réjouir d'un porte-feuille copieusement garni pour quelques décennies. Depuis l'été dernier, chacune de ses sorties sur les pistes se monnaie environ à 200 000 dollars. A Toronto en juin dernier pour une course exhibition, le journal local canadien avait calculé que chacune de ses 40 ou 41 foulées allait coûter 6000 dollars à l'organisateur. Les contrats des parraineurs, et en premier lieu celui de son équipementier Puma — l'autre vainqueur du soir —, affluent et chaque intervention est l'occasion d'un événement promotionnel. La gloire obtenue en Chine s'accompagne aussi d'une vie devenue celle d'une star, à l'image des vedettes du showbiz. Déplacement en jet privé, luxueux palace... A Ostrava, en République tchèque mi-juin, il est reçu avec les honneurs d'un dignitaire, reçoit les clés de la ville. Comme à Ostrava, on lui prête une Ferrari à Monaco l'automne dernier. Et tout est à l'avenant. Lors d'une autre exhibition, en mai, sur 150 m dans les rues de Manchester, il réalise son rêve en rencontrant les joueurs de football de Manchester United, son club fétiche. Il donne même quelques conseils de course au ballon d'or portugais Cristiano Ronaldo, sous le feu des photographes et des journalistes, qui épient ses moindres gestes. Bolt Marley Mais l'exposition qui découle de cette gloire soudaine n'a pas que des avantages. En avril, une énorme polémique naît lorsqu'il laisse entendre dans un journal allemand que la marijuana est d'usage courant en Jamaïque. « En Jamaïque, quand tu es enfant, tu apprends à rouler un joint, tout le monde a essayé la marijuana, moi aussi, j'étais alors encore vraiment jeune », aurait dit au journal Bild. Devenu un personnage, presque aussi fameux que Bob Marley sur son île, il est obligé de s'excuser platement pour cet impair. Quelques jours plus tard, il frôle le drame et provoque l'émoi en étant victime d'un accident de la circulation. Il précipite dans un fossé jamaïquain une grosse cylindrée allemande qu'il détruit. Heureusement plus de peur que de mal, il s'en sort avec des épines dans un pied alors qu'il sort du véhicule pieds nus. Et l'argent amassée soulève aussi les convoitises. Le 18 juin, sa maison, située dans le quartier St-Andrew à Kingston, est cambriolée dans la nuit pendant qu'il est à Ostrava. Les voleurs, qui ont pénétré sur les lieux entre minuit et 4 h alors que le demi-frère de Bolt, Sadeke dort dans la maison, emporte pour environ 1000 dollars d'appareils électroniques (appareil photo, ordinateur portable, téléphone portable). De Pékin à Berlin, Bolt a vraiment vécu une année pleine d'émotion. Et ce n'est sans doute pas fini. Le record du monde établi dimanche à Berlin (9'58") dans le 100 m par le phénomène Usain Bolt a sidéré la presse européenne qui décrit Bolt tantôt comme un homme de l'espace, tantôt comme un envoyé du futur. Dans le style science-fiction, le quotidien sportif espagnol Marca salue « le record du XXIIe siècle » battu à Berlin où Usain Bolt a « effectué un retour vers le futur ». « Le tonnerre Bolt entre dans une galaxie hors d'atteinte des mortels », clame pour sa part le Times de Londres, en écho aux gros titres de toute l'Europe : « 9'' 58 pour un record stratosphérique » (El Pais, Madrid), « La fusée Bolt sur une autre planète » (Le Parisien, France), « Bolt est un extraterrestre » (La Dernière Heure, Bruxelles), « Un Martien à Berlin » (La Stampa, Italie). A Berlin même, le tabloïd Berliner Kurier reste dans l'image céleste, mais pour un hommage à l'histoire du stade et de la ville : « Quelque part sur un nuage dans le ciel, Jesse Owens, quadruple champion olympique en 1936, applaudit et se dit ‘'superbe course, Usain'' », imagine le Berliner Kurier, qui qualifie tour à tour Bolt de « boulet de canon humain de l'île des Caraïbes », « folie incarnée » et « clown le plus rapide du monde ». L'exploit étant survenu tard dans la soirée, les journaux de lundi ne tentent guère de l'analyser, se contentant de le décrire. « Le monde du sprint est sous le choc », constate Le Soir de Bruxelles. Tandis que sous le titre « Bim Bum Bolt », le grand quotidien sportif italien La Gazzetta Dello Sport écrit en première page : « Je suis le numéro un et il se frappe la poitrine. Usain Bolt a sacrément raison. Qui peut le démentir ? Il a établi un record mondial à 9'58", un temps qui semblait jusqu'alors un mirage. » Même constat pour l'Equipe, à Paris, qui juge que « le Jamaïquain a ouvert d'improbables horizons », tandis que Marca parle d'un record « écrasant » mais « prévu ». Pour The Indépendant, à Londres, Bolt a réussi un temps qui, « il y a quelques années apparaissait, sinon impossible, du moins très improbable ». A.F.P., APS