Partant des années quarante, Badr ‘Eddine Mili nous raconte dans son roman intitulé La Brèche (1) l'histoire d'une famille constantinoise en remontant jusqu'à ses racines et en atteignant ces belles années soixante, années de joie et d'enthousiasme pour le peuple algérien. Tout jeune, Stopha le principal héros du roman plonge jusqu'au fond de l'océan, ce glorieux passé de sa ville natale Constantine, en général et de son quartier mythique Aouinet El Foul, en particulier. Né comme un « destiné » pour vivre cette période douloureuse des années cinquante, son esprit ne s'arrête pas sur la surface de l'océan, sur le passé surchargé de malheurs mais dépasse tout, y compris le présent ensanglanté, pour percer l'avenir en se guidant sur le soleil et les astres des idéaux humains que la révolution algérienne a matérialisés. Dans La Brèche et le rempart, Badr'Eddine Mili a su si bien associer la vigueur vraie de l'existence quotidienne du peuple algérien, en général et des Constantinois, en particulier, les épisodes marquants des destins individuels, vus de près dans leurs manifestations intimes de tous les jours, au vaste panorama d'ensemble d'une époque (entre 1945 et 1962 surtout), à l'essence d'une révolution (1954-1962) qui a bouleversé le paysage socio-économique et les données politiques en Algérie. « Non, Stopha n'avait assurément rien de commun avec eux ! (les colons) mais il avait une mission à remplir : rapporter l'étincelle du savoir à Dar Errih. Il en avait fait la promesse à Zouaki. Et ses promesses, il avait pour habitude de les tenir » (p.143). Aussi naturellement que l'arbre aspire les sucs de la terre, Stopha naissait de l'amour pour l'Algérie, pour le sol natal, pour Constantine et ses habitants, de l'ardent désir d'œuvrer — en étudiant bien, avec acharnement — au triomphe de la justice et du bien. Sa pensée, comme celle de son père, le militant martyrisé, a été constamment orientée vers un point : se libérer, d'abord de ces regards coloniaux ensuite de ce double joug qui est l'analphabétisme et la « hogra » de l'autre, de cet Européen raciste, inquisiteur et envahisseur sans foi ni loi. La Brèche et le rempart est un roman de la maturité. Le talent de Badr'Eddine Mili allie les qualités de l'artiste à celles de l'historien, le don de camper les caractères et la faculté d'analyser en philosophe la vie de ces algériens, nos pères et mères qui ont tout donné à l'Algérie. 1). Editions Chihab, Alger 2009