Dans Un Long chemin pour la liberté, Mandela a écrit : «Quand j'étais étudiant, on m'avait enseigné qu'en Afrique du Sud la loi était souveraine et s'appliquait à tous, quel que soient leur statut social ou leur position officielle. J'y croyais sincèrement et j'envisageais une vie fondée sur ce postulat. Mais ma carrière d'avocat et de militant m'avait dessillé les yeux. J'avais su qu'il y avait une énorme différence entre ce qu'on m'avait enseigné dans les salles de cours et ce que j'avais appris dans les salles de tribunaux.»La République française n'est pas l'Afrique du Sud de l'apartheid, L'Europe non plus. Patrie des droits de l'homme et de la Commune de Paris, elle a payé un lourd tribut en sang et en larmes pour mettre en place un système démocratique alimenté par la quête du droit à la citoyenneté. Mais pour autant, a-t-elle réussi à expurger de son corps social tout germe de rejet de l'élément dit «étranger» ? A-t-elle la volonté politique pour demander à se réconcilier avec les peuples colonisés en présentant des excuses et en proposant de justes réparations ? Il est permis d'en douter au regard de divers éléments, dont celui des résultats du premier tour de l'élection présidentielle de 2002 (certains redoutent le même scénario en 2012). Bien d'autres situations étayent cette thèse, de la rétention (pour ne pas dire détention) des étrangers en situation irrégulière au regard de la législation sur le séjour devenue de plus en plus sévère, en passant par le cas des familles étrangères mal logées et à celui peu enviable des cités de banlieues. L'immigré, notamment africain-maghrébin, est devenu persona non grata. Ces cas, non isolés, mettent irrévocablement à nu les mécanismes de dégradation de la condition humaine déjà bien mal en point. Heureusement, il y a encore des homm–es et des femmes capables de muer leur révolte en actes positifs face à ces situations exécrables. Il est tout naturellement heureux que puissent exister des consciences à ce point pétries d'humanisme et de convictions de nature à secouer l'injustice jusqu'à ce que liberté s'ensuive. Pourtant, même des personnalités politiques ayant pignon sur rue ne manquent pas de rivaliser dans la sémantique de la démagogie : à l'«invasion des immigrés», leurs «odeurs» et leurs «bruits» répond le constat de l'incapacité des pouvoirs publics à gérer «toute la misère du monde». Comme si l'Europe cherchait à se dédouaner du désordre qu'elle a contribué à mettre en place, outre son excessif niveau de vie de plus en plus menacé par les dettes publiques et autres bulles financières. La différence entre ces vocables se révèle en pratique bien mince. Faut-il pourtant désespérer de l'Europe des Etats de droit ? D'évidence oui, sachant que les dispositions légales inhérentes au droit (?) des étrangers (de quel droit ?) constituent de véritables barreaux et de vrais parcours du combattant relativement aux conditions d'entrée et de séjour. Faut-il élaborer et faire voter des textes-passoires laissant les frontières à l'air libre ? Nul besoin. La volonté des laissés pour compte à travers le monde – dit tiers – défiera toujours les schèmes mentaux marqués par l'esprit policier d'une Europe devenue de plus en plus frileuse et islamophobe (immigrophobe ?) annonciatrice d'Etats de droit policier. La fermeture des frontières au motif de la sécurité est contestable. La faim chasse la peur. Tel est le postulat qui a traversé les siècles. Les Tunisiens de Lampedusa nous le rappellent. L'existence d'une certaine délinquance chez certains «étrangers» comme motif rédhibitoire doit-elle justifier cette attitude ? D'évidence, non ; il suffit de rappeler la part de responsabilité de l'Europe dans le désordre mondial actuel depuis les politiques de colonisation, l'accélération dans la destruction des pays dits socialistes et la recherche permanente de déstabilisation des pays ayant vocation à porter haut les revendications des pays du Sud, tant en Amérique latine qu'en Afrique et en Asie. Se doter mezza voce d'une législation sous forme de directives à même de prémunir l'Europe d'éléments étrangers (déjà inhabiles), jugés corrupteurs des «identités nationales», contredit – en tout cas limite de façon certaine – la profession de foi relative aux droits de l'homme. Quels droits pour quels hommes ? Ces directives peuvent-elles être autre chose qu'un placebo, un cautère sur une jambe de bois ? Et, bien entendu, que cessent les leçons de démocratie (si ce n'est des outrages à base d'allégations infondées) qui fusent à chaque occasion de débats sur les immigrés, souvent en leur absence. La petite Tunisie est venue bousculer les certitudes et les suffisances de nombre d'intellectuels et de politiques établis en Europe «assiégée» par les candidats à la harga et autres demandeurs d'asile. Notre village planétaire, déjà sévèrement meurtri par la gestion calamiteuse des grandes puissances minées par leurs dettes, a besoin d'une nouvelle doctrine politique, d'une nouvelle utopie à penser et à mettre en application par tous les jeunes du monde. Passons du stade d'«indignés» à celui d'acteurs. Et que cesse l'hypocrite soutien aux gouvernements des pays du Sud (souvent scélérats, voire maffieux) à seule fin de préserver les intérêts de cette même Europe. Les peuples du Sud ne veulent plus être les otages du sous-développement que leurs élites politiques corrompues n'ont pas su endiguer et qu'alimentent les décisions arbitraires de l'Europe quant à la répartition équitable des richesses culturelles et matérielles du monde. A l'unisson avec Mandela, je dis que «si autrefois j'avais considéré la loi de façon idéaliste, comme l'épée de la justice, aujourd'hui je la voyais comme un outil utilisé par la classe au pouvoir pour façonner la société dans un sens qui lui était favorable. Je ne m'attendais jamais à la justice dans un tribunal même si je luttais pour elle et si parfois je la rencontrais».