La 13e édition du Festival national du théâtre professionnel à Alger offre un beau choix de spectacles et suscite encore la réflexion sur le quatrième art. Si l'on partage l'idée de Lamartine sur l'âme des «objets inanimés», on peut imaginer qu'en ce moment, dans un recoin du Théâtre national algérien (TNA), le brigadier, ce bâton qui sert à frapper les fameux trois coups de début d'une pièce, s'apprête à passer sa dernière journée oisive. Demain, il devra faire résonner son bois sur les planches de la salle Mahieddine Bachetarzi pour déclencher la 13e édition du Festival national du théâtre professionnel (22 au 31 décembre). Le calendrier culturel bouclera ainsi l'année 2018 avec la manifestation la plus courue de la discipline, autant par le public que les artistes qui attachent une grande importance à cette compétition. Ces dernières années, le FNTP a montré qu'en dépit de difficultés innombrables, la flamme du quatrième art continuait à vivre à travers le pays, portée par la passion d'hommes et de femmes assez irraisonnables pour poursuivre l'aventure et rehaussée par les éclats talentueux de quelques œuvres étonnantes. Etonnantes par leur qualité, mais aussi et surtout parce qu'elles viennent nous dire que le théâtre algérien n'est pas mort, même si la flamme dont nous parlions n'a souvent que l'apparence de braises éparses. Les organisateurs, qui ont dédié cette édition à la mémoire de l'émérite et sensible comédienne, metteur en scène et directrice de théâtre, Sakina Mekkiou, plus connue par son pseudonyme Sonia et décédée en mai dernier, comptent aussi sur le symbole de cette évocation pour apporter un supplément d'âme à la rencontre. Durant dix jours, 26 pièces seront proposées à l'appréciation des spectateurs. On en compte dix-huit en compétition, parmi lesquelles celle du Théâtre régional de Béjaïa qui ouvrira le Festival avec H'zam el Ghoula (La ceinture de l'ogresse, d'après le dramaturge russe Valentin Kataeev). La pièce remonte à 1989 quand le défunt Abdelmalek Bouguermouh l'avait montée sur une adaptation de Omar Fetmouche. Elle a confirmé son succès en ouverture de la dernière édition du Festival international du théâtre de Béjaïa en octobre dernier. Initiation Si le public d'Alger ne devrait pas bouder son plaisir, notamment avec l'adaptateur de la pièce aux commandes, on ne peut que signaler la faiblesse du répertoire du TR Béjaïa, problème d'ailleurs commun à toutes nos institutions théâtrales, puisque la pièce a désormais presque trente ans ! Le TNA présentera un sommet du théâtre universel avec la version Ionesco du Macbeth de Shakespeare, dans une mise en scène de Ahmed Khoudi qui traite, avec toutes les ressources de l'humour populaire, du plus puissant hallucinogène de l'humanité : le pouvoir. Quinze autres théâtres régionaux sont de la partie parmi lesquels ceux d'Oran, avec Maâroudh lel'haoua ; de Constantine, avec Ya lil, ya aïn ; de Tizi Ouzou, avec Juba II ; de Batna, avec Qaât el intidhhar et de Sidi Bel Abbès, avec Fel' haït. La compétition comprendra également le lauréat du Premier Prix du Festival local du théâtre professionnel de Guelma, à savoir le Nouveau Théâtre des Issers, association de la wilaya de Boumerdès. A raison de deux spectacles quotidiens (15 et 19 h), l'offre du Festival intègre une section hors-compétition, logée à 500 mètres du TNA, soit au Théâtre communal d'Alger-Centre ou ex-Casino. On y verra huit pièces dont Le Procès de l'association Chabab oua Founoun de Tablat qui a décroché la Grappe d'Or au dernier Festival national du théâtre comique en s'inspirant d'un conte populaire et non de Kafka comme pourrait le laisser penser le titre. Sur la même scène, les étudiants de l'Ismas (Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audiovisuel) se produiront avec Les Mouches de Jean-Paul Sartre. Le théâtre sera aussi sur le parvis du TNA avec des représentations de rue, a annoncé le commissaire du Festival, Mohamed Yahiaoui. Le cycle de conférences, à partir de lundi (Espace Benguettaf, 10h), débutera par l'hommage à Sonia avec la projection du documentaire de Ali Aïssaoui consacré à la vie et l'œuvre de la défunte. Il sera également question du théâtre expérimental en Algérie et du quatrième art en Tunisie et en Syrie. Des groupes d'écoliers, actuellement en vacances, bénéficieront d'ateliers d'initiation, tandis que des auteurs viendront signer leurs ouvrages. Surprises Le jury, présidé par le Pr Ahcene Tlilani, devra attribuer, outre le palmarès traditionnel du FNTP (spectacle, mise en scène, texte, scénographie, création musicale, rôles masculin et féminin) le Prix Mustapha Kateb, nouvelle distinction revenant aux trois meilleures études sur le théâtre. En somme, une édition assez copieuse qui, selon les confidences de certains «souffleurs», réserverait de belles surprises. Les fossoyeurs d'espoir prédisaient à court terme la fin du quatrième art en Algérie. Leurs prédictions se sont avérées fausses, bien qu'il soit établi que ce secteur souffre de mille maux, sans doute aggravés par la crise et son lot de restrictions budgétaires. C'est d'ailleurs avec soulagement que le commissaire du Festival a annoncé que le financement de la manifestation avait été augmenté par le ministère de la Culture, ajoutant que cette rallonge demeurait cependant insuffisante. Aujourd'hui, le Festival vient exposer chaque année le potentiel du théâtre algérien et mettre en valeur quelques formidables créations. Il existe sans doute un effet positif de la crise dans la mesure où elle a quasiment asséché les pièces de commande qui étaient en général liées aux méga-manifestations. Cela a conduit à revenir à un théâtre plus créatif et moins guindé, plus proche des publics aussi, parfois même audacieux. Mais ce bienfait né d'une contrainte n'a pu s'affirmer qu'au prix de sacrifices. On a vu ainsi des troupes se présenter au Festival après des mois de répétitions sans rémunérations pour des pièces à zéro budget financées par la seule passion de metteurs en scène et de comédiens. L'élan qui s'est manifesté et se manifeste encore est visiblement menacé et ne saurait durer. Il faut cependant reconnaître que pour l'essentiel – et la remarque vaut pour les autres arts –, la crise du théâtre algérien est moins liée à la baisse du prix du pétrole qu'à un modèle d'organisation centralisé et bureaucratisé. Les institutions théâtrales publiques abritent par exemple des artistes fonctionnarisés dont les salaires immuables n'ont pratiquement aucun lien avec leur productivité et leur créativité. Les pièces produites sont souvent sous-traitées avec des troupes indépendantes et, si le grand TNA peut aligner au programme le grand Macbeth, c'est en recourant à une dizaine d'étudiants de l'Ismas ! De leur côté, les associations théâtrales et les troupes indépendantes se débattent dans des problèmes d'intendance encore plus dramatiques que leurs œuvres. En caricaturant un peu les faits, la nomination des directeurs de théâtre oscille depuis l'indépendance du pays entre des artistes qui ne savent pas lire un tableau comptable et des gestionnaires qui ont à peine entendu parler de Shakespeare ou Tewfik Al Hakim quand on pourrait avoir un organigramme mais aussi des procédures qui séparent administration et direction artistique avec prééminence de cette dernière. En général, le marasme ancien (quand le baril valait 100 dollars et auparavant) ne peut être dépassé que par un changement total de vision en allant vers un modèle vivant d'industrie du théâtre. Nous avons les bâtisses. Nous avons les artistes. Nous avons les publics. Du potentiel à libérer. En mars 2017, Azzedine Mihoubi, ministre de la Culture, annonçait à Boumerdès : «Des préparatifs en vue de la promulgation de décrets exécutifs et de nouveaux textes de lois pour réorganiser les statuts en particulier des coopératives théâtrales et des théâtres». Entre passions et inquiétudes, les gens du théâtre attendent. Mais vous, n'attendez pas pour aller les encourager.