Le chiffre actuellement est de 81 victimes et sera vite dépassé si des dispositions courageuses et efficaces ne sont pas prises dans le temps et la manière les plus appropriés. Une perte humaine en moyenne de deux victimes par mois, au vu et au su de tout le monde, un silence qui demeure injustifié, voire inexplicable, à l'égard d'une région qui a enfanté dans un passé récent des héros de la Révolution algérienne. Quand bien même nous avons cru dès le commencement de cette hécatombe à une prompte solution qui passe inévitablement par une prise en charge sérieuse, un traitement de la question qui permette de préserver des jeunes à la fleur de l'âge, voire des pères de famille, rien n'y fit : le nombre d' orphelins, pour la plupart en bas âge, dépasse à l'heure actuelle les 86 orphelins, avec plus de 36 veuves. Des orphelins (igoujilene) qui vont naturellement demander, une fois grands : qu'ont fait nos responsables ? Encore mieux, nos élus, nos intellectuels, nos élites, le nerf vif de la société algérienne… pour épargner la vie de nos parents ? Une des raisons qui nous a poussés à prendre très modestement en charge l'obligation de défendre la cause de cette frange de la population longtemps oubliée entre les collines des Aurès. Nous avons revendiqué le 08/08/2010, au nom de la LADDH, une loi qui octroie aux ayants droit des tailleurs de pierres le droit d'accès au capital décès ainsi qu'une prise en charge matérielle des orphelins, en attendant une solution radicale au problème, tant au plan sanitaire que juridique et éco-social, afin que les T'koutis puissent mener une vie digne dans un univers rocailleux, tel que la commune de T'kout. L'inapplicabilité des lois en Algérie Il est vrai que depuis, a été pris le 30/08/2010 le décret exécutif relatif à la protection des tailleurs de pierres qui s'ajoute au code du travail (la loi n° 90-11 relative aux relations de travail). Le code prévoit explicitement au chapitre 01: «Droit des travailleurs», un principe fondamental, celui de l'hygiène du travailleur. L'article 05, alinéa 04, indique bien que : «Les travailleurs jouissent des droits fondamentaux… l'hygiène, la sécurité et la médecine du travail.» A cela s'ajoute la loi n° 88-07 relative à l'hygiène, la sécurité et la médecine du travail, le décret n° 05-12 relatif aux prescriptions particulières d'hygiène et sécurité, le décret n° 91-05 relatif aux prescriptions générales de protection applicables en matière d'hygiène et de sécurité en milieu professionnel, le décret n° 93-120 relatif à l'organisation de la médecine du travail, le décret n° 02-427 relatif aux conditions d'organisation de l'instruction, de l'information et de la formation des travailleurs dans le domaine de la prévention des risques professionnels, le décret n° 05-09, etc. Mais qu'en est-il de l'«Application» de tous ces textes ? Qu'a-t-on fait de cet arsenal ? N'est-il pas temps aujourd'hui de s'interroger sur l'application de ces textes ? Où sont-elles les instances chargées du contrôle et du suivi ? Sachant que la loi n° 90-03 relative à l'inspection du travail (modifiée et complété par l'ordonnance 96/01) prévoit dans son article 02 : «L'inspection du travail est chargée d'assurer le contrôle de l'application des dispositions législatives et réglementaires relatives aux relations individuelles et collectives de travail, aux conditions du travail, d'hygiène et de sécurité des travailleurs.» L'inspection du travail et la médecine du travail également se dotent-elles vraiment des moyens humains et matériels pour assumer un tel fardeau ? Les articles 09, 10, 11 de ladite loi prévoient encore mieux : «Sous réserve des dispositions de l'article 10 ci-dessus, lorsque l'inspecteur du travail constate au cours de sa visite un danger grave et imminent pour la santé et la sécurité du travailleur, il saisit le wali ou le président de l'Assemblée populaire communale territorialement compétent pour prendre toutes mesures utiles.» Y a-t-il une mesure qui ait été prise dans ce sens-là pour éviter cette hécatombe ? Non ! Car c'est la fuite en avant. De la Harga aux tailleurs de pierres ! La solution adoptée par nos responsables semble être la «solution typique» pour tout problème surgissant dans la vie de ce peuple. Rappelons-nous, l'APN, en 2008, a adopté contre toute attente une loi amendant le code pénal et incriminant le fait de la harga, au même moment où la société civile et la communauté internationale également plaidaient pour une prise en charge des harraga comme étant des victimes. Comme le fait de réduire ainsi tout un drame national en une burlesque problématique. Celui du «vide juridique». Le décret n°10-201 relatif à la protection des tailleurs de pierres et les mesures exceptionnelles contre les dangers du taillage de pierres publié au Journal officiel n° 51 le 06 septembre 2010 venant confirmer ce «label algérien», au moment même où la vie législative connaissait «une diarrhée aiguë» en matière de promulgation de lois. De nos jours, il ne suffit pas de légiférer davantage, mais il faut mettre également les moyens logistiques pour appliquer ces textes, bien évidemment cela nécessite des moyens, des compétences et surtout une volonté politique pour concrétiser l'objectif de ces législations. Ce qui n'est pas souvent le cas dans notre pays. Prévenir «coûte moins cher que guérir» Le proverbe «Prévenir mieux que guérir», chez les tailleurs de pierres de T'kout, prend un second sens, à savoir «Prévenir coûte moins cher que guérir» bien que la maladie soit incurable, une prise en charge annuelle d'un tailleur de pierres atteint de la maladie de la silicose par un établissement sanitaire public coûte à l'Etat 800 000,00 DA (d'après les spécialistes), alors qu'une campagne de prévention contre les dangers de cette maladie aurait épargné non seulement la vie d'un bon nombre d'entre eux, mais aurait évité également des dépenses inutiles. Une campagne de prévention ne coûte en aucun cas à l'Etat pas même 1/10e de ce qui a été dépensé lors du projet faramineux «Alger capitale de la culture arabe», pour ne citer que cet exemple. Une frange de la population, qui a choisi d'assurer son gagne-pain par la sueur de son front, ne mérite en aucune manière un tel traitement, au moment même où d'autres ont choisi aveuglement des voies qui leur ont parfois coûté la vie.