En périodes d'embellie, tout le monde est serein et profondément assoupi par la manne annuelle. On bénit le pétrole et on y investit davantage. En périodes de déprime, tout le monde se réveille, maudit le pétrole, crie à l'urgence d'une guérison du syndrome hollandais et prône pour l'investissement dans l'économie de production et l'indépendance des hydrocarbures. Mais il suffit d'une nouvelle éclaircie du baril pour voir tout le monde contracter, à nouveau, le virus hollandais et ainsi de suite. Le meilleur remède, pour lutter contre ce mal, est de le traiter comme si le pétrole finira demain et investir dans ce dernier comme s'il y en aura encore pour des siècles. Personne, pas même les partisans d'Hubbert, ne peut présager la fin de l'or noir. Trouver encore plus de pétrole pour fabriquer de l'argent frais et éradiquer la «Dutch Disease» reste l'unique solution à préconiser. C'est le cas de l'Algérie qui, profitant d'une bonne tenue du marché pétrolier durant la dernière décennie (2001-2010), a engrangé un cumul d'environ 430 Milliards de dollars (MMUS$), hissé ses réserves de change à plus de 180 MMUS$ en 2011, réduit sa dette extérieure à moins de 5 MMUS$, importé pour plus de 30 MMUS$ par an, et concrétisé certains projets de développement socio-économiques (transport, logement, etc.) et tout cela rien qu'en exportant des hydrocarbures issus de gisements conventionnels vieillissants. Puisque notre pays n'arrive toujours pas à exporter autre chose que ces produits, et en attendant de pouvoir y arriver, force est de nous verser davantage dans la recherche pétrolière en développant l'attractivité des zones très peu ou mal explorées où les efforts d'exploration ont été interrompus, abandonnés ou négligés pour diverses raisons. Dans les différents congrès internationaux, nos géologues et spécialistes ont toujours affirmé que les bassins sédimentaires algériens demeurent encore sous-explorés (on estime que seulement le tiers du domaine minier est exploré) et les volumes escomptés (restant à découvrir) sur l'ensemble des bassins seraient de l'ordre de… 600 fois les réserves initiales en place de Hassi Messaoud, pour le pétrole, et de 3 fois les réserves de Hassi Rmel, pour le gaz. Où se cachent donc tous ces volumes ? Sur le plan comptable, ces hypothèses semblent être bien corroborées par le nombre important de découvertes réalisées annuellement par Sonatrach et ses partenaires associés, à l'exemple des 138 découvertes entre 2001 et 2010, pour 686 forages d'exploration réalisés (29 découvertes rien que pour l'année 2010). Mais sur le plan économique, ces découvertes n'ont totalisé qu'un milliard de tonnes équivalent-pétrole (TEP) en place, soit 14 millions de barils équivalent-pétrole (BEP) récupérables par découverte, ce qui paraît insignifiant devant les investissements engagés et les présumés volumes escomptés. Nous devrons être moins triomphalistes quant à la mesure de la performance de la recherche pétrolière, par le seul nombre de découvertes réalisées ou par le taux de succès exploratoire. Durant les dix dernières années, ce taux, estimé à 20%, correspond à un résultat commercial (ou économique) assez marginal. La production cumulée durant la décennie 2001-2010 (tous hydrocarbures confondus) avoisine les 2200 millions de TEP et le taux de renouvellement des réserves par le biais de ces découvertes ne dépasse guère les 14% (produire 100 et en découvrir 14). En plus, le coût de découverte, paramètre économique-clé de mesure de l'attractivité d'un domaine minier, dépasse les 3 dollars par baril, alors qu'il était inférieur à un dollar dans les années 1990. Ce genre de constat géologique et économique, surtout quand il est étalé sur plusieurs années d'efforts de recherche, peut trahir le potentiel réel d'un domaine minier (qu'il soit algérien ou autre), car il sert généralement de baromètre de base pour les compagnies pétrolières étrangères désireuses d'investir. Ces dernières détiennent, pour chaque pays, un fichier actualisé des résultats sur les 5 à 10 années écoulées.Ce fichier détermine les priorités d'investissements de la compagnie. On comprend aisément les raisons du rush des années 1990, lorsque les compagnies pétrolières, dont des majors, ont envahi le domaine minier algérien, quand ce dernier avait enregistré un record en matière de taille de découvertes dans le bassin de Berkine. Durant les deux années 1994 et 1995, il a été découvert 600 millions TEP pour seulement 15 découvertes (9 en 1994 et 6 en 1995), soit près de 40 millions TEP en place par découverte. Aujourd'hui, et malgré le nombre plus élevé de découvertes annuelles, les volumes mis en évidence demeurent très marginaux (une modique moyenne de 7 millions TEP en place par découverte), au point où le pays ne figure plus dans le top 10 des destinations convoitées. Au cours de ces dernières années, c'est plutôt dans les pays comme l'Argentine, l'Australie, l'Irak, la Malaisie, le Mozambique, etc., que les meilleures découvertes (en volume) ont été réalisées et sans que leur nombre soit plus important que celui atteint en Algérie durant la même période. Pourtant, les bassins algériens sont prometteurs Economiquement parlant, le territoire algérien peut être considéré comme un ensemble de vastes bassins sédimentaires susceptibles de renfermer de grandes accumulations commerciales de pétrole et de gaz. Pourquoi ? Ces bassins (environ une douzaine dont 3 au Nord et 9 au Sud) occupent, en effet, plus de 70% de la superficie du pays et font partie des types les plus prolifiques de la planète. (Intracratoniques au Sud et intramontagneux au Nord du pays). Selon les écoles et les critères de classification, on distingue 7 à 10 types de bassins sédimentaires dans le monde, mais l'essentiel des réserves connues est associé à seulement 3 ou 4 types de bassins dont justement les intracratoniques et les intramontagneux. Les efforts de recherche et les réserves prouvées algériennes sont cantonnés dans des régions bien précises au sud du pays, tandis que les bassins nord, ainsi que certaines zones sahariennes, n'ont pratiquement jamais été réellement sollicités pour révéler leur éventuel potentiel. Il est vrai que le choix des zones à explorer a toujours été piloté par les conditions et les conjonctures du moment : guerre de libération, priorités régionales, type d'hydrocarbure privilégié, stratégie de partenariat, conditions sécuritaires, etc. Les bassins nord : le goût d'inachevé Au nord du pays, la recherche pétrolière a pourtant été ébauchée assez tôt, vers la fin du XVIIIe siècle, dans le bassin du Cheliff, suite aux observations d'indices de surface. En 1895, un forage a pu découvrir, pour la première fois en Algérie, le petit gisement de Aïn Zeft qui a été exploité sur une trentaine d'années. En 1915, on découvre le gisement de Tliouanet, près de la ville de Relizane. Ce gisement, dont la production s'est arrêtée en 1945, continue à ruisseler en surface jusqu'à nos jours. En 1948, on découvre, à 500 mètres de profondeur, le gisement d'Oued Gueterini, non loin de la ville de Sour El Ghozlane, etc. Toutes ces découvertes, en majorité accidentelles ou basées sur les indices de surface, étant donné les moyens et les techniques de l'époque, montrent que les bassins nord pourraient être pourvus d'un potentiel pétrolier qu'il faut évaluer avec les techniques et les concepts actuels plus appropriés. Les efforts de recherche au nord du pays ont été interrompus vers 1956 à cause de l'extension de la guerre de libération, durant laquelle les activités pétrolières ont subitement cessé, pendant qu'elles se poursuivaient dans des régions sahariennes, supposées épargnées par la guerre. Aujourd'hui, et malgré quelques efforts, les bassins nord restent encore les moins explorés du pays, bien que nos géochimistes tablent sur un reste à découvrir de 340 milliards de barils de pétrole en place. Les bassins sud : le privilège du pétrole On découvre ainsi, en 1953, le premier gisement de gaz de Berga, dans la région d'In Salah (bassin ouest saharien) mais après quelques découvertes d'huile, en 1956, dans les régions est du Sahara (Edjelleh, Tiguentourine, Zarzaitine, etc.) les travaux de recherche de gaz au Sahara ouest furent, à leur tour, abandonnés, négligés ou suspendus à cause de la ruée vers l'or noir, à l'est du Sahara. Dans les années 1990, après la loi 86-14, alors que les partenaires étrangers se bousculaient dans les bassins «huileux» de l'est saharien, le «plan gaz» national a contraint Sonatrach, alors hybride, à revenir, en force, opérer les zones gazières du Sahara ouest et parfois les zones à haut risque et les blocs rendus par les partenaires. Aujourd'hui, les principales compagnies de la loi 86-14 sont en phase d'exploitation et rares sont celles intéressées par l'exploration des zones vierges. Présentement et bien que les deux tiers du domaine minier algérien restent inexplorés (selon nos spécialistes), la semi-exploration à moindre risque (recherche dans les zones d'appoint aux gisements) semble prendre largement le dessus sur l'exploration de type wildcat (zones vierges). Une question se pose : qui de Sonatrach ou du partenaire étranger va opérer ces zones inexplorées, considérées à risque ? Sonatrach le faisait un peu sous le statut hybride, mais dans le cadre de la nouvelle loi (05-07) sur les hydrocarbures, la compagnie nationale avait déjà choisi, en 2005, les blocs qu'elle a désirés garder momentanément et rendu à l'Etat les surfaces jugées à haut risque. En effet, selon cette loi, Sonatrach-SPA est supposée être une compagnie purement commerciale et doit avoir, en principe, ses blocs, ses priorités, sa stratégie et, enfin, ses propres objectifs. A l'instar des compagnies étrangères, elle doit soumissionner et préférer les blocs juteux à moindre risque géologique et économique, ce qui est de plus légitime car Sonatrach «hybride» avait opéré, il faut le dire, sans standard ni stratégie propre. Sa seule mission, en tant qu'outil de développement, était de générer de la richesse pour le pays sans se fixer d'objectifs. Elle n'en avait pas d'ailleurs car, contrairement à une mission, un objectif à atteindre doit être chiffré dans le temps (ex : réserves à découvrir par année, coût de la découverte en tête puits, production, bénéfices, etc.). Selon cette nouvelle loi, les blocs libres ou rendus par Sonatrach et les partenaires étrangers atterrissent chez le propriétaire (l'Etat) pour être lancés en appel d'offre par Alnaft. Les 3 derniers appels d'offres : les raisons de l'échec Un des buts de la nouvelle loi (05-07) est d'attirer davantage d'investisseurs étrangers et multiplier le nombre de contrats de recherche. Il n'en est rien, du moins pour le moment : 41 contrats ont été signés durant les 5 années ayant précédé la nouvelle loi et seulement 9 contrats ont été concrétisés (dont un avec Sonatrach en 2011) durant les 5 années ayant suivi cette loi. Pourtant, une centaine de blocs, répartis sur 36 périmètres ont été mis en concurrence durant les 3 derniers appels d'offres entre 2008 et 2010, et ces périmètres étaient assez diversifiés (6 périmètres seulement ont été repris dans 2 appels d'offres et aucun périmètre n'a fait l'objet de 3 reprises). La qualité de ces périmètres ne semble pas pouvoir justifier totalement le manque d'engouement des partenaires. En effet, les périmètres en question se trouvent, pour la plupart, dans des zones relativement explorées (existence de bonne couverture sismique, de puits parfois positifs, voire d'anciennes découvertes de Sonatrach, etc.). D'ailleurs, pas moins de 50 à 60 partenaires expriment, à chaque appel d'offres, leur intérêt pour la participation aux sessions des data room (séances d'accès et d'analyse des données des périmètres en concurrence). Le problème réside visiblement dans certains termes économiques pour le moins rebutants, d'autant que beaucoup de dispositions contractuelles ne peuvent se négocier, car édictées par la loi sur les hydrocarbures. Aussi, la réactivité de l'interface managériale reste un des principaux critères d'un partenariat recherché et désiré. Pour les mêmes conditions contractuelles et législatives, il est très rare qu'une compagnie soumissionne, à nouveau, pour un périmètre qu'elle a déjà connu ou rendu. En conséquence, la tendance est clairement régressive de 2009 à 2011 : 4 contrats en 2009 (pour 16 périmètres en concurrence), 3 contrats en 2010 (10 périmètres) et seulement 2 contrats en 2011 (10 périmètres). A la limite, en cas de non preneur, les périmètres iront inévitablement grossir le fleuve d'abandon par le propriétaire lui-même, du moins pour le bid qui suit. Parmi ces périmètres, il y a ceux peu explorés mais aussi ceux victimes de leur présumé faible potentiel. Au prix actuel (et vraisemblablement futur) du baril et compte tenu des besoins du pays en matière de développement économique et social, ces surfaces dormantes méritent d'être réhabilitées et promues au cas par cas. Pour les périmètres inexplorés, et puisque la loi fait garder à Sonatrach le rôle de créateur de richesses pour la collectivité nationale, il ne serait qu'opportun de charger la compagnie nationale d'y opérer des phases de prospection pour le compte de l'Etat. Sonatrach en sera rémunérée et bénéficiera d'une priorité (préférence nationale) en cas d'appel à la concurrence pour la recherche dans le périmètre prospecté (la primauté de la recherche sur la prospection sera maintenue). L'avantage est que la nouvelle loi autorise des forages stratigraphiques en période de prospection, ce qui n'était pas très explicite dans la loi 86-14 qui limite les travaux de prospection à la seule sismique. Le partenaire étranger, lui, ne vient plus pour prospecter (comme par le passé) mais pour rechercher et de préférence dans des blocs à moindre risque géologique et surtout économique. Concernant les blocs explorés, mais à potentiel présumé marginal (ils sont nombreux), il serait intéressant de les relancer en appel d'offres avec des termes économiques et fiscaux plus attractifs. On sait qu'il existe beaucoup de blocs abandonnés, après seulement 2 ou 3 puits négatifs ou à faibles indices, alors qu'ils peuvent receler des hydrocarbures, d'autant que les blocs unitaires du domaine minier algérien se caractérisent par des superficies assez vastes et ne doivent être condamnés hâtivement. Le célèbre gisement de pétrole d'Ekofisk, en mer du Nord, n'a-t-il pas été découvert après le forage d'une centaine de puits secs ? Ce gisement, dont les réserves initiales récupérables dépassent les 3 milliards de barils, continuera à produire jusqu'à l'an 2050. A Hassi Messaoud, on compte environ une centaine de puits négatifs. Et si ces derniers ont été réalisés avant la découverte du champ ? Aussi, de l'avis des modélisateurs géochimistes de l'époque, la grande structure de Hassi Messaoud n'est pas éligible au piégeage du pétrole. Aujourd'hui, aussi, on peut se tromper (autres temps, autres déficiences). Restons encore «conventionnel» Beaucoup d'autres exemples de par le monde nous enseignent que le manque d'expertise et les erreurs d'interprétation des données géologiques et géophysiques, traduites en puits négatifs, peuvent condamner un périmètre et comme preuve, en Algérie, beaucoup de compagnies ont réussi là où d'autres ont échoué. Il est vrai que les progrès technologiques ont énormément contribué à d'importantes découvertes, mais le facteur humain en termes de discernement et d'expertise doit se positionner en amont du prêt-à-porter technologique. Comparativement à la période 1986-2000, la décennie 2001-2010 était plus confortée en matière de dépenses annuelles soutenues par l'embellie du marché pétrolier, qui a autorisé d'allouer d'importants budgets pour le secteur amont comme, par exemple, plus de 12 milliards de dollars pour la seule année 2011. Mais durant cette décennie, bien qu'on ait foré nettement plus (une moyenne de 68 forages par an contre 28 pour la période 1986-2000), on a découvert moins d'hydrocarbures (1milliard contre 2 milliards de TEP) et l'apport par découverte a chuté de 19 millions TEP en place pour la période 1986-2000, à seulement 7 millions TEP pour la décennie 2000-2011. Cela ne signifie nullement que le Peak Oil plane sur le domaine minier algérien, mais cela nous interpelle tout simplement à mieux faire pour réhabiliter nos bassins sédimentaires et identifier ces immenses réserves conventionnelles escomptées par nos spécialistes, avant de biaiser nos moyens humains et financiers vers de plus rudes épreuves comme l'investissement précoce dans les hydrocarbures non conventionnels et en particulier le contraignant gaz de schiste. Ce dernier n'est, en fait, pas une nouveauté mais un vieux concept, aujourd'hui de rescousse, pour des besoins absolus et urgents en gaz, notamment aux Etats-Unis, dont nous ne pouvons épouser, dès à présent, les motivations. Pourquoi ? Primo, les Américains ont commencé à forer les shale gas en 1821 dans le Dévonien de Fredonia (New York) et ont abandonné cette technique suite à la découverte du pétrole conventionnel par le colonel Drake en 1859. Les revoilà, à nouveau, besoin en gaz oblige, faire de cet antique concept un projet de grand envergure (le GSGI-Globale Gas Shale Initiative). Ils ont introduit, en 1980, une taxe incitatrice encourageant les opérateurs à exploiter ce type de gaz et à exporter l'expertise américaine à l'étranger. Cette taxe, ayant expiré en 2000, a été prorogée pour stimuler davantage l'exploitation des schistes et assurer l'indépendance énergétique en matière de gaz. Ils ont même interdit aux propriétaires terriens de s'opposer aux forages des schistes dans leur propriété. Secundo, avec plus de 490 000 puits de shale gas, une production de 60 milliards de m3 et un coût de production très bas (2-3 dollars/million BTU), les USA ont largement le monopole de cette technique, mais surtout les raisons d'y investir beaucoup comparativement aux recherches du gaz conventionnel, devenues presque secondaires pour eux. Sur le plan géologique, il est vrai que les réserves et les succès des forages shale gas devraient être supérieurs à ceux du gaz conventionnel (il n'y a, en principe, pas de puits secs pour les shales gas) mais le succès économique n'est pas nécessairement garanti pour tout le monde, surtout quand le prix du gaz reste bas comme il l'est maintenant. Un gisement de shale gas se déplète très rapidement, sa durée d'exploitation pourrait être très limitée (3 à 5 années au plus) et la surface drainée par un puits vertical n'est que de quelques dizaines d'acres seulement (à titre indicatif : 30 acres est l'équivalent d'un dixième de kilomètre carré (km2) alors que la surface de drainage pour un gaz conventionnel peut dépasser 3km2, d'où la nécessité de beaucoup de forages horizontaux déjà très onéreux. En outre, le shale gas demande une infrastructure particulièrement lourde et complexe, notamment en matière d'installations pour le stockage de sable, de produits chimiques et de ces milliers de mètres cubes d'eau (de 10 000 à 15 000m3 par puits, de quoi satisfaire les besoins journaliers d'une population de 80 000 à 100 000 habitants ou remplir 4 ou 5 piscines olympiques !). Pour des pays non initiés, cette armada peut porter le coût de production jusqu'à plus de 16 dollars/million BTU (mmBTU), alors qu'ils importent du gaz conventionnel à un prix de 3 à 6 dollars /mmBTU seulement. Une autre épreuve, et pas la moindre, est celle de l'environnement. Les produits chimiques injectés dans le puits lors de la fracturation contiennent des éléments lourds radioactifs qui peuvent contaminer la nappe phréatique ou atteindre la surface en cas de fuite d'étanchéité. Par ailleurs, la multiplication des blocs fracturés créera des zones de faiblesse et engendrera des tremblements de terre localisés. Sous la pression des députés écologistes de nombreux pays, pourtant beaucoup plus nécessiteux en gaz naturel que l'Algérie, ont fait marche arrière même si les opérateurs (business oblige) écartent les risques de contamination des nappes phréatiques par une bonne cimentation du puits (Et si OKN-32, foré dans la région d'Ouargla, visait les shale gas ?). Notre pays a pourtant toujours été en tête de liste des respectueux de l'environnement au point où, par exemple, l'interdiction, en Algérie, du torchage du gaz associé peut embarrasser le développement de certains gisements pétroliers (quand ce gaz n'est pas commercial) alors que dans beaucoup de pays (dont des donneurs de leçons d'environnement) le torchage est toujours d'actualité. La carte mondiale des shale gas est encore au stade embryonnaire et son industrie controversée. Il a été recensé, jusqu'ici, une cinquantaine de bassins schisteux dans le monde, répartis sur une trentaine de pays dont essentiellement les Etats-Unis et le Canada en Amérique du Nord, quelques pays d'Europe, le Maroc et l'Afrique du Sud pour notre continent. Personnellement, je pense que l'Algérie fait partie des régions secondaires probables. En effet, les meilleurs bassins de shales gas seraient ceux où la roche mère (argileuse) n'a pas (bien) expulsé sa matière organique et celle-ci doit avoir une teneur en carbone organique (COT) minimal comprise entre 4 et 10%. Les bons shale gas sont d'ailleurs définis comme «gaz de roche mère qui n'a pas subi de migration primaire». Le grand potentiel de nos bassins en gaz conventionnel laisse supposer que malgré leur immense étendue, nos roches mères (suffisamment «essorées» lors de la migration primaire) seraient des shales gas à réserves récupérables limitées. Par ailleurs, les modèles les plus prédominants sont ceux des roches mères de type II. La principale roche mère silurienne des bassins algériens est du type I et en plus, elle est relativement profonde. Comme dans toute «nouveauté» la spéculation et la confusion sont on ne peut plus larges pour ce qui est des chiffres des réserves. Pour chaque région dans le monde, on recense plus d'une dizaine de chiffres différents selon la source et la date de publication. Quant aux réserves mondiales, Rogner (un économiste en énergie) les a estimées, en 1997, à 16110 TCF et selon un rapport de 2009, établi par l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les réserves mondiales techniquement récupérables seraient de 6350 TCF, en 2011 Energy information administration (EIA) annonce le chiffre de 23500 TCF, etc. Pour les shales gas, l'heure n'est vraisemblablement pas encore aux (bons) chiffres. Les Américains semblent bien réussir la «shale boom revolution». Jusqu'ici, il n'y a aucune production commerciale en dehors des Etats-Unis, mais il y a ce risque, pour tout le monde, de subir le revers de la médaille. La généralisation de l'exploitation massive de ces schistes, avec le concours d'autres pays, va augmenter rapidement les réserves mondiales et faire baisser davantage le prix du gaz (déjà bas) au point où leur rentabilité pourrait être remise en cause. Et si les shale gas, puis les shale oil, arriveraient à satisfaire les besoins des énergétivores, c'est la part de marché et la clientèle des rentiers qui seront immédiatement étriquées et leur manne annuelle avec. L'impact des shale gas sur les rentiers pétroliers L'idée précaire d'une OPEP de gaz imposant les prix ne sera que plus utopique. Notre gaz, pourtant conventionnel, a déjà connu des tourments avec la «Directive gaz» européenne bien avant ce «printemps schisteux». Pour un pays comme l'Algérie, riche en gaz classique et grand exportateur de surcroît, il serait plus réfléchi de suivre, de près, la veille technico-économique du non conventionnel plutôt que de mettre, de sitôt, la main à la pâte. Avec une population de 35 millions d'habitants et un domaine minier inexploré à 66%, l'Algérie, qui ne consomme qu'un petit TCF par an, n'est pas encore confrontée à des besoins pressants en gaz (et encore moins en gaz de schiste) comme le sont ces grands consommateurs menacés par la dépendance énergétique à l'exemple des Etats-Unis (une consommation annuelle de 24 TCF et une population de 311 millions d'habitants). En plus, nos réserves prouvées en gaz conventionnel tariront dans 56 ans, celles étasuniennes dans 12 ans. Rien ne nous motive d'importer des stratégies «prêt-à-porter» spécifiques aux tiers. Nous devons d'abord finir de bien découvrir nos hydrocarbures conventionnels avant de postuler (éventuellement) pour le «Next Barnett».