C'est le constat auquel sont parvenus les dirigeants des six monarchies sunnites du golfe Persique, réunis lundi à Riyad en Arabie Saoudite, pour examiner un projet d'union politique entre elles. L'idée avait été officiellement lancée en décembre dernier par le roi Abdallah d'Arabie Saoudite. De plus en plus effrayé par l'éventualité de voir Téhéran se doter de la bombe atomique et régner sur le Moyen-orient, le souverain du royaume wahhabite multiplie, en effet, les initiatives pour protéger sa traditionnelle zone d'influence. Dans un premier temps, cette nouvelle structure – qui succéderait à l'actuel Conseil de coopération du Golfe (CCG) – regrouperait le royaume saoudien et Bahreïn. Ce choix n'est, bien entendu, pas fortuit. Seule monarchie peuplée d'une majorité de chiites mais dirigée par des sunnites, Bahreïn est secoué depuis plus d'un an par une révolte des disciples d'Ali qui réclament une meilleure représentation politique. Bien entendu, Riyad craint de voir ce petit pays tomber à terme dans les bras de Téhéran. Face à un tel risque, les Saoudiens ont ainsi préféré prendre les devants. La tension entre l'Iran chiite et l'Arabie Saoudite sunnite s'est aggravée après le déploiement en 2011 de forces saoudiennes à Bahreïn pour défendre la dynastie sunnite face à un mouvement de révolte de la majorité chiite, accusée d'être soutenue par Téhéran. Cette crise s'est accentuée avec la répression du soulèvement en Syrie dont le régime est un allié de Téhéran, l'influence grandissante de l'Iran en Irak après le retrait américain et la résurgence d'un conflit territorial entre la République islamique et les émirats sur trois îles du Golfe. Peu avant l'ouverture du sommet, le roi de Bahreïn, Hamad Ben Issa Al Khalifa a ainsi estimé que cette union est «la réponse aux changements et aux défis que nous rencontrons aux plans régional et international». «L'option de l'union est une urgence», avait également insisté dimanche le Premier ministre de Bahreïn, Khalifa Ben Salmane Al Khalifa. Il avait ajouté que les pays du CCG devraient «renforcer leur coordination dans les domaines sécuritaire et militaire en se dotant d'une structure unifiée pour assurer leur défense». Les avertissements saoudiens Toutefois, entre dire et faire, il y a tout un fossé que n'arrivent toujours pas à combler les initiateurs du projet. Face justement aux difficultés rencontrées pour mettre en œuvre leur projet, les dirigeants des six monarchies du Golfe ont décidé de «poursuivre l'étude d'un projet d'union». Les ministres des Affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (CCG) doivent «poursuivre l'étude» du projet et «soumettre leurs recommandations à un sommet» extraordinaire du CCG à Riyad, a annoncé le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Saoud Al Fayçal, lors d'une conférence de presse. L'intervenant n'a pas expliqué les raisons qui empêchent encore cette union de se concrétiser dans l'immédiat. Néanmoins, il a averti Téhéran de ne pas s'immiscer dans les relations entre l'Arabie Saoudite et Bahreïn. Le prince Saoud Al Fayçal répondait certainement aux membres du Parlement iranien qui a «condamné» le projet. Cet avertissement ne semble toutefois pas faire peur aux Iraniens qui paraissent peu enclins à rester passifs à l'égard de ce projet qu'ils perçoivent comme une menace. Pour preuve, les autorités iraniennes ont appelé hier à des manifestations vendredi avant de qualifier Bahreïn et l'Arabie Saoudite de «laquais» des Etats-Unis. Le Conseil de coordination de la propagande islamique, qui organise les manifestations officielles, a dans un communiqué demandé aux Iraniens de manifester après la prière du vendredi «contre le plan américain d'annexion de Bahreïn par l'Arabie Saoudite et pour exprimer leur colère contre les régimes laquais d'Al Khalifa et d'Al Saoud». «Ce complot dangereux (d'union) est le résultat du triangle funeste américano-britano-sioniste pour empêcher les révoltes populaires de s'étendre et contrôler la crise à Bahreïn que le régime d'Al Khalifa est incapable de régler», a ajouté le Conseil iranien dans le communiqué. «Les dirigeants d'Al Saoud et d'Al Khalifa doivent savoir qu'avec ce genre de complot, ils ne pourront pas empêcher le mouvement populaire à Bahreïn et le mouvement de réveil islamique dans la région», a-t-il écrit. La question de Bahreïn est sensible en Iran, où un courant conservateur nationaliste au sein du régime islamique considère toujours cette île, contrôlée par la Perse avant d'être colonisée par la Grande-Bretagne puis d'accéder à l'indépendance en 1971, comme une province iranienne. «La République islamique, qui préserve l'intégrité territoriale de l'Iran, a le droit de vouloir le retour d'une province séparée de la patrie islamique», n'a pas hésité à affirmer hier Hossein Shariatmadari, directeur du quotidien ultraconservateur Kayhan nommé par le guide suprême iranien, Ali Khamenei. «Les Bahreïnis se considèrent comme des Iraniens et selon des rapports ils ont le désir d'un retour à l'Iran», a-t-il ajouté. En attendant de connaître l'épilogue de ce nouveau bras de fer entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, il est à rappeler que l'annonce par Riyad de transformer le CCG en union avait quelque peu surpris les observateurs dans la mesure où cette organisation n'a jamais vraiment fonctionné. 31 ans après sa création, le CCG n'a toujours pas réussi à instaurer une intégration économique entre ses membres. Il peine également à réaliser l'union douanière, entrée en vigueur en 2003 mais dont la concrétisation est désormais renvoyée à 2015, alors qu'un projet d'une monnaie unique, annoncé initialement pour 2010, semble en panne. Politiquement, les monarchies du CCG se présentent en rangs dispersés : seuls Bahreïn et le Koweït ont des Parlements élus ayant le pouvoir de légiférer, et les partis politiques sont bannis dans les six pays. Il y a lieu de rappeler aussi que l'idée d'une union saoudo-bahreïnie a suscité des remous à Bahreïn où cheikh Ali Salmane, le chef du Wefaq, principal groupe de l'opposition chiite, a exigé que le projet soit soumis par référendum à la population, majoritairement chiite.