Les bouleversements inhérents au «Printemps arabe» continuent à impulser leurs influences sur la région arabe, avec des bouleversements dans la douleur et des évolutions dans la pondération. Les dirigeants des six pays du Conseil de coopération du Golfe, relativement épargnés par les contestations, (hormis le Bahreïn) veulent passer à un autre niveau de leurs relations et annoncent un projet d'union politique, économique et militaire. Officieusement, l'idée n'a qu'un but principal : réduire l'influence de l'Iran dans le monde arabe. Dans ce projet, voulu notamment par l'Arabie saoudite, les pays du CCG conserveraient leur souveraineté, mais ils prendraient des décisions communes en matière de politique extérieure, de sécurité, de défense et d'économie. Le CCG, créé depuis plus d'une trentaine d'années, est une Alliance régionale militaire et politique, réunissant l'Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, le Qatar, les Emirats arabes unis et le Sultanat d'Oman. Bahreïn, le plus petit des membres en termes de superficie, dirigé par la dynastie sunnite des Al Khalifa est le théâtre, depuis l'an dernier, d'une contestation de la majorité chiite, durement réprimée. En mars 2011, et pour faire face à la contestation populaire légitime, l'armée saoudienne est intervenue pour étouffer une première vague de contestation, dans un contexte de tension extrême. Pour Riyad, le coupable est tout trouvé : l'Iran encouragerait, en sous-main, la minorité chiite à Bahreïn et en Arabie saoudite à la sédition. Téhéran dénonce la répression dont est victime une communauté bien particulière et l'interventionnisme saoudien qui s'en est suivi. La majorité des membres du Parlement iranien a «condamné» l'idée d'union. «Les dirigeants saoudiens et bahreïnis doivent savoir que cela va renforcer l'unité du peuple bahreïni, face aux forces d'occupation (saoudiennes) et la crise à Bahreïn va être transférée en Arabie saoudite et pousser la région vers l'insécurité», ont averti des élus iraniens. L'insinuation est à peine voilée, quant à l'autre risque induit par ce projet, c'est les 15% de chiites saoudiens installés dans les provinces pétrolières, juste en face de Bahreïn, qui se révolteront à leur tour pour réclamer leurs droits. Une menace qui risque fortement de devenir réalité. Depuis un an, des incidents réguliers éclatent entre manifestants et forces de l'ordre, dans les zones chiites. Et à chaque fois, comme Manama, Riyad accuse l'Iran de pousser les chiites saoudiens à protester. C'est une véritable guerre froide irano-saoudienne qui est actuellement en cours dans la région, sur fond de positions géopolitiques indéterminées. Cependant, l'idée d'une union renforcée susciterait des réserves au sein même du CCG, dont certains membres redoutent qu'elle ne serve, avant tout, les intérêts exclusifs de l'Arabie saoudite. L'idée d'une union, lancée en décembre par le roi Abdallah d'Arabie saoudite, intervient dans un contexte de crispation des relations avec l'Iran, accusé clairement par ses voisins arabes d'ingérence dans leurs affaires intérieures. Le groupe n'a, cependant, toujours pas réussi, 31 ans après sa création, à instaurer une intégration économique entre ses membres. Il peine, notamment, à réaliser une union douanière, entrée en vigueur symboliquement en 2003 et dont la concrétisation est désormais renvoyée à 2015, alors qu'un projet d'une monnaie unique, annoncé initialement pour 2010, semble relégué aux calendes grecques. Il y a eu le refus du Sultanat d'Oman d'en faire partie et le différend entre Abou Dhabi et Riyad, à propos du lieu du siège de la Banque centrale du Golfe. L'Arabie saoudite avait déjà eu à proposer des initiatives, telle la récente proposition de joindre le Maroc et la Jordanie au CCG pour faire face aux «dangers» du Printemps arabe menaçant, qui sont restées lettre morte. Une idée vite enterrée, après avoir été reçue avec méfiance par des membres du Conseil. Les monarchies du CCG sont loin de se ressembler : seuls Bahreïn et le Koweït ont des Parlements élus, l'activité de l'opposition n'est pas légalisée dans les six pays. L'idée d'une union des monarchies du Golfe suscite déjà une agitation à Bahreïn, où le chef du Wefaq, principal groupe de l'opposition chiite, cheikh Ali Salmane, a exigé que le projet soit préalablement soumis à référendum populaire. L'absence remarquée du Sultan d'Oman, Qabous Ben Saâd et de l'émirati Cheikh Khalifa Ben Zayed, lors du dernier sommet consultatif à Riyad, montre que l'idée est loin de faire l'unanimité. L'Arabie saoudite semble ne plus avoir la même prééminence à l'intérieur du CCG. Plusieurs monarchies du Golfe se sont affranchies de cette influence et ne passent plus par l'étape Riyad pour traiter avec les grandes puissances. M. B.