Abderrahmane Hadj-Nacer, économiste et ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, et Lahouari Addi, professeur de sociologie politique, ont animé hier pendant presque trois heures une rencontre-débat sur un thème d'actualité : «Algérie, réflexions sur une nation en construction». Cette rencontre-débat, qui a eu lieu à la salle de conférences de l'hôtel Es Safir à Alger, en présence d'un public nombreux, a été organisée par les éditions Barzakh et par El Watan Week-end. «C'est la première fois que nous organisons un débat avec un partenaire média à partir de deux ouvrages récents. Notre mission est de nourrir et de susciter le débat par des livres. Il nous semble important que les intellectuels et les personnes qui ont une certaine expérience historique puissent témoigner», a déclaré Sofiane Hadjadj, un des responsables des éditions Barzakh. Il y a deux mois, cet éditeur a publié, dans la collection «Le cours des choses», un essai de Lahouari Addi, Algérie, chroniques d'une expérience postcoloniale de modernisation. En 2011, Barzakh a édité un essai de Abderrahmane Hadj-Nacer, La martingale algérienne, réflexions sur une crise. Les deux ouvrages sont des succès en librairie. Le journaliste Noureddine Azouz, qui a modéré le débat d'hier, a parlé de «regards croisés d'intellectuels» n'ayant pas le même parcours ni les mêmes horizons universitaires. Le débat a été divisé en plusieurs axes : «Centralité croissante dans la société algérienne de la rente liée aux hydrocarbures» ; «Désintérêt croissant de la population et de la jeunesse à l'égard du processus politique officiel» ; «Evolution de la dynamique islamique au sein de la société » et «L'influence négative du nouveau contexte politique régional et le caractère chaotique des transitions en cours». «C'est la première fois que je m'adresse à un public lors d'une conférence à Alger après 35 ans d'activité universitaire. Je suis heureux de la forte présence du public. Cela prouve qu'il existe une demande de débat (…) En tant qu'universitaire, comme mes collègues, j'avance des problématiques et j'émets des hypothèses qui ont besoin d'être débattues et critiquées publiquement», a déclaré Lahouari Addi, plaidant pour l'élargissement de la réflexion sur le passé et l'avenir de l'Algérie. «Aujourd'hui, l'Algérie fête le cinquantième anniversaire de l'indépendance, un anniversaire d'une importance capitale. Où en sommes-nous par rapport au projet national ?», fut la première question posée par Noureddine Azouz. «Les nouvelles générations veulent aujourd'hui avoir leur rôle dans la gestion de l'économie et de la politique. Ceci est légitime et nécessaire. Actuellement, les quadras gèrent, en général. Mais ils font exactement ce que nous avons fait aussi et ce que ceux qui nous ont précédé ont fait aussi : essayer de tout inventer. Cette idée de recommencer à zéro et de faire table rase du passé m'a effrayé. A chaque fois qu'on a décidé de faire table rase du passé, on a essayé de faire pire que ceux qui ont précédé», a déclaré Abderrahmane Hadj-Nacer. Il s'est interrogé ensuite : «Est-ce que cela a un sens de dire que l'Algérie existe ? De prétendre à une certaine spécificité, un mot à la mode, lorsqu'on est Algérien au milieu du contexte maghrébin, arabe, africain et méditerranéen ? Comment réagissent les gens à ce sentiment d'être Algérien ? A-t-on existé par le passé ?» L'intervenant est remonté à la préhistoire pour dire que le centre de gravité du monde «était chez nous». «Pourquoi se fait-il que dans le temps, nous étions en avance et qu'aujourd'hui, nous sommes en retard ? Une question à laquelle je n'ai qu'une réponse technique : la présence de l'eau qui était un vecteur de richesse. C'est pour cela que nos ancêtres étaient en avance par rapport à la Méditerranée et au Sahel», a encore expliqué M. Hadj-Nacer. Pour recréer le lien national, il faut, selon lui, mobiliser toutes les ressources pour réussir, dépasser la haine de soi et accepter l'autre. Lahouari Addi a appelé à «historiciser» les concepts liés à la nation et à la société. «La nation s'appuie sur la société. Et la société est une construction historique (…). L'Algérie est en train de construire la société et l'Etat dans le sens moderne. L'Etat n'est pas un pouvoir central. L'Etat, c'est la citoyenneté, c'est l'organisation politique de la société civile. L'Algérie porte les marques d'une singularité historique liée à son passé. L'une des caractéristiques du système politique algérien est que l'Algérie a d'abord créé une armée, ensuite un Etat ! Et c'est l'armée qui a créé cet Etat…», a soutenu Lahouari Addi. Selon lui, le régime algérien adore le peuple et déteste la société. Nous reviendrons largement dans notre prochaine édition sur ce débat, assez rare en Algérie par sa profondeur et sa rigueur intellectuelle.