Alg�rie : chroniques d�une exp�rience post-coloniale de modernisation de Lahouari Addi en librairie Lahouari Addi vient de publier aux �ditions Bar- zakh un ouvrage intitul� Alg�rie : chroniques d�une exp�rience post-coloniale de modernisation qui est un recueil d�articles parus dans la presse nationale, dont Le Soir d�Alg�rie. Les articles des d�bats de l��t� 2008 et 2010 sont reproduits � c�t� d�autres qui sont autant d�approches stimulantes pour analyser la soci�t� alg�rienne dans ses dimensions historique, socio- logique et politique. Nous publions en exclusivit� l�introduction in�dite de cet ouvrage qui para�t de mani�re opportune � la veille d��lections l�gislatives importantes pour l�avenir politique du pays. R. N. Les textes pr�sent�s dans ce recueil ont �t� publi�s dans la presse nationale entre 1999 et 2011 � diff�rentes p�riodes. Ils rel�vent de ce qui peut �tre appel� le �journalisme universitaire �, c�est-�-dire de r�flexions plus ou moins �labor�es � destination du grand public. Le journalisme universitaire allie la rigueur acad�mique � l�exigence p�dagogique et a pour ambition de s�adresser � un large public ; l�objectif �tant de mettre � sa disposition des analyses reposant sur les acquis th�oriques des sciences sociales et portant sur l�exp�rience alg�rienne dans ses diff�rents aspects, notamment politique et id�ologique. Pour un chercheur en sciences sociales, la soci�t� alg�rienne est un laboratoire o� il apprend � articuler, ou plut�t � valider, des approches th�oriques par l�observation empirique. En Alg�rie, tout est projet : la soci�t�, l�Etat, l��conomie, la modernit� Le pays a beaucoup d�atouts, dont le principal est la puissance vitale de sa jeunesse. Si cette puissance vitale �tait mobilis�e dans le cadre d�un projet de modernit�, et encadr�e par des �lites qui ont le sens des perspectives historiques, le pays r�aliserait des pas de g�ant vers le progr�s social. Malgr� des apparences d�immobilisme, la soci�t� est travaill�e par une profonde dynamique et par des contradictions qui prennent leur origine dans l�histoire et qui se r�v�lent dans les pratiques des individus, surtout dans les repr�sentations et les aspirations. M�me s�ils ont �t� �crits � chaud dans des conjonctures particuli�res, ces textes gardent un int�r�t analytique parce qu�ils traitent de tendances lourdes, relatives aux dynamiques sociales et aux contradictions politiques qui marquent l��mergence d�une soci�t� nouvelle et la construction d�un Etat moderne. Ils sont �crits dans un langage accessible au grand public avec l�espoir de contribuer � raffermir la culture g�n�rale indispensable � l�esprit civique et � la formation d�un espace public o� le citoyen prend conscience qu�il est un sujet de droit. En tant que sociologue, j�aime rappeler que l�Alg�rie est une soci�t� nouvelle, issue de communaut�s traditionnelles d�truites par la colonisation. La soci�t� est un concept sociologique qui d�signe, pour l�analyser, le lien social dans la modernit�. En r�alit�, la soci�t� alg�rienne est en formation et l�individu est en train d��merger. Ceci explique les contradictions dans les pratiques quotidiennes, le malaise des g�n�rations pr�c�dentes, les frustrations des g�n�rations nouvelles, la violence dans l�espace public et le degr� de conflictualit� trop �lev� dans les rapports familiaux. Dans cette introduction, je souhaite insister sur deux choses. La premi�re est que les sciences sociales sont li�es � la modernit� et � son projet cherchant � permettre � l�individu de devenir un acteur de l�histoire. Elles cr�ent les conditions intellectuelles d�une prise de conscience individuelle et collective pour agir sur la soci�t� en vue de la rendre vivante, cr�ative et humaine. Les diff�rentes disciplines des sciences sociales ont un objectif intellectuel d�clar� en rapport avec le processus de subjectivation, qui permet � l�individu de r�aliser qu�il est une conscience et non une cr�ation ossifi�e du monde organique. La soci�t� n�est pas un groupement naturel ; elle est une cr�ation culturelle. C�est pourquoi ces sciences sont ph�nom�nologiques et non positivistes. La sociologie fait de l�individu un acteur capable de modifier les conditions de la reproduction sociale au-del� des habitus h�rit�s du pass�. L�histoire apprend aux hommes qu�ils ne sont pas les prisonniers d�un encha�nement fatal qui transforme le pass� en pr�sent. L��conomie politique indique que la richesse n�est pas un don de la nature mais le r�sultat de l�activit� humaine. La sociologie politique montre que le pouvoir est un ph�nom�ne social qui ob�it aux lois de l�anthropologie humaine, etc. Issues de la rupture philosophique op�r�e par Descartes et Kant, ces sciences ont pour vocation d�accro�tre les capacit�s des individus � agir sur les structures sociales qui ont tendance � se cristalliser, � devenir rigides. En s�opposant � la r�ification, les sciences sociales lib�rent des �nergies qui renouvellent l�humanit� de l�individu. Dans cette perspective, le pass� et la culture h�rit�e des g�n�rations pr�c�dentes cessent d��tre des contraintes pour devenir des sources d�inspiration. Si aujourd�hui, l�Alg�rie est mat�riellement sous-d�velopp�e, c�est parce qu�elle est intellectuellement pauvre. Elle n�arrive pas � faire rena�tre l�humanisme de sa culture et � r�inventer la tradition en conciliant l��thos et les aspirations nouvelles. Je fais r�f�rence � Descartes et Kant parce que ces deux philosophes ont op�r� une rupture intellectuelle qui a pr�par� les conditions �pist�mologiques des sciences sociales. Cette rupture aurait pu �tre r�alis�e par les h�ritiers de Ibn Sina et Ibn Roshd si le Kalam n�avait pas �touff� la philosophie musulmane. Se r�approprier aujourd�hui la philosophie occidentale � comme les mu�tazilas s��taient appropri�s la philosophie grecque �, ce n�est pas reproduire la d�pendance intellectuelle ou la d�culturation. L�objet de la philosophie �tant l�Homme dans ses dimensions anthropologiques, le d�fi aujourd�hui n�est pas de rejeter Descartes ou Kant sous pr�texte qu�ils sont europ�ens. Le d�fi est de renouer le fil rompu entre eux et la philosophie musulmane de laquelle ils ont appris la pens�e de Platon et d�Aristote. Il s�agit surtout de lire Descartes, Hobbes, Machiavel, Rousseau, Kant, Marx, Durkheim, Weber� avec la sensibilit� de notre culture arabo-islamique. La philosophie musulmane a �t� universelle avec Ibn Roshd lorsqu�elle s��tait appropri�e la philosophie grecque, qui �tait au Moyen-Age la pens�e intellectuelle la plus �labor�e et la plus coh�rente de l�humanit� m�diterran�enne. Aujourd�hui, il faut s�impr�gner de la philosophie occidentale pour donner naissance � des Kant, des Husserl et des Ricoeur musulmans. La deuxi�me observation que je voudrais faire, c�est que la modernit� � laquelle aspire le pays exige une r�flexion audacieuse et profonde sur le ph�nom�ne du pouvoir et requiert une culture politique aliment�e par la connaissance scientifique. Je me suis sp�cialis� dans la sociologie politique, au d�but des ann�es 1980, quand j�ai acquis la conviction qu�aucun pays ne peut se moderniser si le pouvoir politique ne devient pas public. L�Alg�rie est riche de l��chec de son exp�rience politique, qui commence avec Boumedi�ne qui a cherch� g�n�reusement � distribuer les richesses au peuple et qui a mis en �uvre un d�veloppement �conomique prometteur. Il a �chou� parce qu�il refusait de partager le pouvoir, c�est-�-dire qu�il refusait de rendre public le pouvoir. Il s��tait appropri� le pouvoir, tout le pouvoir, pour faire le bonheur du peuple. Il ne savait pas que le bonheur d�un peuple ne d�pend pas du prince, f�t-il le plus g�n�reux. Boum�di�ne s��tait enferm� dans une contradiction qui allait �tre fatale pour l�Alg�rie : il a privatis� ce qui est public (le pouvoir) et il a rendu public ce qui est priv� (l�activit� marchande). Or, il n�existe pas d��conomie cr�ative si le pouvoir n�est pas public. La Chine est une exception qui confirme peut-�tre la r�gle, mais la Chine est grosse d�une r�volution d�mocratique qui, t�t ou tard, mettra en ad�quation les capacit�s productives de la soci�t� avec le caract�re public du pouvoir. Les pays de l�Europe de l�Ouest n�ont commenc� � se d�velopper que lorsqu�ils ont mis fin aux monarchies patrimoniales. En Alg�rie, l��lite issue de la guerre d�ind�pendance ne s�est pas appropri�e le pays, mais elle a privatis� l�Etat, ce qui a bloqu� les dynamiques du progr�s. Il y a deux choses qui fascinent et attirent l��tre humain : le pouvoir et la richesse. Dans le pass�, avoir du pouvoir donnait acc�s � la richesse. La modernit� en Europe a rompu ce lien en mettant en place une administration de type w�berien, o� le revenu du fonctionnaire est financ� par les imp�ts des usagers du service public et non par la pr�dation. Il y a une crainte cependant que la richesse donne acc�s au pouvoir, voire le contr�le. La soci�t� moderne s�est dot�e de m�canismes (�lections, alternance, s�paration des pouvoirs, libert� d�expression�) pour att�nuer ce risque. La r�volution institutionnelle qui donne au pouvoir son caract�re public est un pr�alable au d�veloppement. C�est avec ma sensibilit� et la culture th�orique que j�ai acquise � l�universit� que j�aborde l�exp�rience alg�rienne pour en faire un objet de recherche et d�analyse. Le travail du sociologue n�est cependant pas individuel ; il est collectif. J�esp�re que ce recueil suscitera des vocations parmi les �tudiants en sciences sociales et qu�il les convaincra que la sociologie n�est pas un discours sur des discours, mais une pratique r�flexive qui rend possible la construction sociale de soi et la d�construction des repr�sentations fig�es. A l�exception du texte mis en guise de conclusion, ce recueil ne traite pas des r�volutions d�mocratiques dans le monde arabe qui ont commenc� en Tunisie le 17 d�cembre 2010. Cependant il montre � l��vidence que, concernant l�Alg�rie, l�Etat de droit et la d�mocratie appartiennent � ces perspectives historiques. L. A. Alg�rie : chroniques d�une exp�rience post-coloniale de modernisation- Lahouari Addi. �ditions Barzakh - 9, Lot Petite Provence - 16035 - Hydra. T�l. : 021 694 914.