Cloués sur leur terre, d'autres parcourent des kilomètres pour rejoindre des terres fertiles louées à 150 000 DA par saison ou encore ce nomade qui essaie de perpétuer une tradition ancestrale : leur point commun est l'élevage des moutons. Aujourd'hui, ils sont confrontés à une nouvelle situation dénommée « guerre des territoires ». Une réalité qu'El Watan Week-End a explorée pour vous. A perte de vue, s'allongent des terres steppiques, arides et ingrates. Au loin, entre les montagnes de Lahdeb, des troupeaux apparaissent. A trois-cents km au sud d'Alger, nous voilà dans la wilaya de Djelfa, au royaume du mouton. Ici, le cheptel, estimé à quelque quatre millions de têtes est le plus important d'Algérie. De manière générale, 80% de la production de bétail se trouve concentrée sur les Hauts-Plateaux, une région qui n'occupe pourtant… qu'un dixième de la surface du pays. Un mois avant l'Aïd el Kebir, nous sommes partis à la rencontre d'éleveurs isolés… « L'élevage n'est plus comme avant », nous confie Chaibout El Cheikh, 46 ans, rencontré à Hassi El Ouch, à 50 km au nord de Djelfa. Les yeux ridés, le teint buriné par le soleil, coiffé d'un chèche blanc, il rappelle son troupeau à l'ordre « Ach… khay khay… » pour mieux expliquer. « Avant, on ne se bagarrait jamais pour des territoires. On faisait juste attention à ne pas mélanger nos cheptels. Mais avec la sécheresse, les temps ont changé…. » La sécheresse et le surpâturage - le nombre de moutons dépassent de dix fois la capacité d'accueil des terres de pâture utilisées, entraînant une érosion des sols dramatiques- contraignent désormais chacun à respecter les frontières des pâturages.Pour Chaibout El Cheikh, le quotidien se résume au même rituel, été comme hiver. Fini la transhumance. Tous les matins, à l'aube, il sort ses moutons et ses brebis de leur bergerie, à Dahiet Ben Alia, à 60 km au nord de Djelfa. C'est ainsi que ses aïeuls avaient baptisé cette terre qu'il n'a pas quitté depuis sa naissance. Le berger vit depuis quatre ans à quelques mètres de ses 500 têtes, dans une maison faite de toub, protégée par de la tôle et du grillage, où l'odeur prégnante des moutons rend l'air difficilement respirable. Pas d'eau, pas d'électricité, pas de chaleur humaine. Sa femme et ses sept ou huit enfants –il ne sait pas exactement- sont partis vivre à Hassi Bahbah, plus près de l'école, à une cinquantaine de kilomètres. « Avant, j'enviais le mode de vie des Algériens du Nord, mais j'ai changé d'avis, confie l'homme, taciturne, en entamant son déjeuner, de r'fis (boulettes de semoule mélangée avec des dattes émiettées) accompagné de lait de chèvre trait le matin même. Dieu merci, on est bien ici… » Son seul revenu : son cheptel, qui le nourrit et lui permet de tirer de confortables revenus pour entre autres, acheter des agneaux. Pendant l'Aïd, il vend à peine trente ou quarante têtes, à 25 000 DA pièce environ. il se nourrit avec, vend quelques moutons au besoin. « Et si j'ai besoin d'argent pendant l'année, j'en vends un ou deux. » La famille Ath el Mouhouv, des kabyles, installée dans la région après avoir fui les Français, ont transformé leur terre en une véritable ferme moderne où ils sont une dizaine à y travailler. Une véritable oasis au milieu de terres arides. Avec un hangar en charpente métallique, des bassins d'eau remplis à l'aide d'un surpresseur connecté à un puits, le tout encerclé par un grillage et gardé par des chiens. « Désertification, manque d'eau, guerre de territoires… Face aux problèmes, nous avons décidé de nous barricader, expliquent-t-ils Nous élevons quelque 400 agneaux, à l'aide d'outils modernes, en plus de la plantation d'arbres fruitiers ». Dans ces vastes zones, des no man's land où chaque ville est séparée d'une autre de plus de quarante kilomètres, trouver des terres fertiles pour l'élevage est un souci de tous les jours. Un no man's land où le seul souci des occupants est de trouver des terres fertile pour l'élevage. A Oued M'barek, à quelque 70 km au nord-est de Djelfa, un point d'eau connue par les bergers de la région, Mabrouk, 25 ans, se repose. Il a déjà parcouru plus de 10 km avec son troupeau. « En plus de ma propriété, j'ai loué un territoire d'environ deux ha pour 150 000 DA, à 10 kilomètres, pour que je puisse nourrir mes moutons, raconte-t-il. Il ne reste plus rien de ce métier. Les meilleurs terres ont été achetées par les barons de la région ! Nous sommes soumis à leur diktat, et nous devons payer ! » Avant que son frère vende la moitié pour acheter un hôtel sur la côte algéroise, Mabrouk possédait plus de mille bêtes. Aujourd'hui, il élève surtout des béliers, objet d'une attention particulière. Il en a déjà vendu à un Algérois, pour 70000 DA tête, qui anime des arènes sauvages de la banlieue algéroise. « Mais pour l'Aïd, précise-t-il, j'ai mis un cheptel entier de cent têtes de côté. Car à partir de maintenant, ils ne doivent plus manger de l'herbe verte, pour ne pas prendre du gras. » A 90 km au nord-est du chef-lieu, Belkheir Ben Doudani, à 20 ans, fait paître ses troupeaux près de sa kheima dressée sur une colline. Il s'est installé à Hdjer El Melh depuis quatre mois et devrait repartir d'ici une dizaine de jours. Il fait partie des rares nomades à perpétuer les traditions ancestrales. A longueur d'année, il sillonne la région de Ghardaïa jusqu'à El Bayadh à l'Ouest, et de Laghouat jusqu'à Aïn Oussara au Nord et propose ses services aux autres éleveurs. Car les nomades ne connaissent ni propriété, ni location. En ces temps de disette, les nomades posent encore un autre problème que les sédentaires n'ont réussi à résoudre qu'en monnayant leurs terres. Le nomade, qui possède 300 têtes, prend en charge les troupeaux de l'éleveur sédentaire dont il occupe les terres. Le coût du service : une tête sur cinq. Sa vie : voyager sans cesse, découvrir ce qui se cache derrière l'horizon. Mais comme les autres, son champ d'intervention se rétrécit de plus en plus…