– Le président Bouteflika est absent pour raison de maladie. Dans quelle mesure cela pourrait avoir des incidences sur le fonctionnement des institutions et surtout sur l'avenir politique immédiat ? La transparence est demandée sur l'état de santé du Président, qui demeure un mystère. Le pays est entré, depuis 2005 (début de sa maladie) dans une phase d'instabilité. Le verbiage officiel relatif à sa maladie trouve peu de poids auprès de l'opinion publique. Pour le FLN et le RND, il se trouve, après son hospitalisation à Paris au Val-de-Grâce en 2005, dans une remarquable condition physique et en très grande forme concernant ses facultés intellectuelles, disposant de toute son énergie et de sa vigueur. Qui dit mieux ? Le pouvoir est caractérisé par le mensonge officiel. Bougherbal, sénateur désigné du tiers présidentiel, peut dire ce qu'il veut, d'autres ont dit pire que lui, mais pas en tant que professeur de médecine. Non, non et non, trois fois non. La dignité humaine, il ne faut cesser de la proclamer et de la défendre, de la protéger toujours davantage. Appolon, le dieu grec de la beauté, de la lumière et des arts, amoureux de Cassandre lui accorda le droit de prédire l'avenir. Comme elle se refusa à lui, pour la punir, il décida que personne ne croirait à ses prédications. Et depuis tous les cassandres ne font que prêcher dans le désert. Pour Blaise Pascal, «l'homme est ainsi fait que tout est organisé pour qu'il oublie qu'il va mourir, surtout s'il a déjà un pied dans la tombe». On cache la vérité, on la travestit. Mais il n'y a pas qu'Alger, la capitale, il y a aussi l'Algérie profonde qui scrute le ciel. Les astres sont taquins, les boules de cristal s'embuent et les voyantes disent que la fin du pouvoir se dessine, s'annonce, et le futur président ne sera pas un ancien du système politique, mais un homme de la génération d'indépendance — pourquoi le ciel et même le septième ciel élimine les femmes — qui tiendra les commandes du pays, va réformer en profondeur les institutions politiques et refaire une nouvelle architecture administrative. Il ne faut pas s'égarer et revenir à la maladie du Président, car ce qui se joue à présent conditionne l'avenir du pays. – Le Président a-t-il encore la capacité physique de diriger le pays ?
Il faut écouter Fidel Castro qui renonce à exercer le pouvoir. Parce qu'il ne peut rien contre la biologie qui le prive de ses moyens physiques : «Je trahirais ma conscience si j'occupais une responsabilité qui requiert mobilité et dévouement total, ce que je ne suis pas physiquement en état de fournir.» Les Algériens éprouvent l'étrange sensation que le pays est laissé en déshérence à cause de la maladie du Président. Le pays est mal géré et du pire ne peut émerger le meilleur. Le pouvoir échappe de plus en plus au Président. En réalité, ce sont les fonctionnaires qui dirigent le pays, mais ils ne savent pas dans quel sens s'orienter, car il faut un sens. Que chacun d'eux se demande ce qu'il faut faire pour l'Algérie, avant de dire ce que l'Algérie peut faire pour lui. C'est le niveau zéro de la politique. Peut-être, il est temps de dire stop, non à cette politique. L'ouverture et le renouveau sont indispensables. Le Président démissionnera-t-il de toutes ses fonctions en raison de sa maladie grave et durable, prévue par l'article 88 de la Constitution ? Il est arrivé à ses limites, il ne peut pas rebondir. Il doit démissionner en raison de sa maladie. La lutte pour la succession est ouverte, tout est bloqué, aucune initiative n'est prise alors qu'il suffit de lire et relire Machiavel qui est le livre de chevet du DRS pour trouver la solution. Si elle consiste à garder le système politique. Il faut répéter avec force ce que nous disons depuis un certain temps dans le calme et la pondération parce que la rigueur est nécessaire quand on exprime une position politique : le Président doit partir parce qu'il n'a pas la capacité physique nécessaire pour assurer ses fonctions. Il doit passer la main parce que la maladie rend indispensable son retrait. Le rejet d'un 4e mandat est profond et massif. Sans agressivité dans la forme, mais sans ambiguïté sur le fond, le président doit partir. Il ne faut pas hésiter à plagier la formule célèbre de Cromwell : «Au nom de Dieu, monsieur le Président partez.» – Quel bilan faites-vous justement des trois quinquennats de Bouteflika ?
Il faut exercer un droit d'inventaire sur les trois quinquennats sur le plan économique et social. L'Algérie va sortir de cette période de détresse ce qui est un espoir à la mesure du désespoir. Renverser la régression de 15 ans, ce qui est aussi un espoir. A quoi sert la richesse de la nation ? A améliorer le sort du peuple ou à enrichir les clans au pouvoir. Il faut dessiner à la fois une analyse sans complaisance de la situation sociale et économique du pays et une image originelle de ce qui peut être la situation à prendre pour transcender la situation actuelle. L'Algérie est coupée en deux : celle des riches toujours plus riches et celle des pauvres de plus en plus nombreux. La pauvreté qui s'installe avec son lot de misères est le destin d'une partie sans cesse croissante du peuple. Les actes de suicide se multiplient. Le chômage est un drame humain doublé d'un désastre économique. Au nom des souffrances sociales qui s'accumulent, il y a le chômage qui s'aggrave, l'inflation à deux chiffres par certains produits qui réduisent à la misère des centaines de milliers d'Algériens qui souffrent de la faim sans fin alors que les riches se gavent jusqu'à l'indigestion. La misère épuise parfois le sens de la vie et les suicides se multiplient. La justice sociale est l'un des éléments fondamentaux de la cohésion sociale. La situation est explosive de par les inégalités sociales criantes. Les grandes disparités des revenus peuvent tourner à la violence à partir de n'importe quel prétexte. Une étincelle suffirait à déclencher l'incendie. Le pouvoir ne prend pas en compte la dimension politique des nombreuses grèves qui se déroulent dans le pays. Il a démontré son insuffisance dans le domaine social. Mais aussi dans celui de l'économie. L'ultralibéralisme tolérant à tous les excès complaisants, à tous les abus imposés par le président est porteur non seulement d'une injustice sociale mais d'inefficacité économique. C'est une nécessité politique et une exigence éthique de recenser les maux qui affectent et les défis qui guettent la société. Le pouvoir a du mal à contenir les revendications sociales non satisfaites qui engendreront des émeutes. Le ministre de l'Intérieur engage l'épreuve de force contre les syndicats autonomes. – Sous la poussée des insurrections qui ont secoué certains pays arabes, le pouvoir avait décidé d'engager des «réformes politiques». Deux ans après, quel jugement portez-vous sur cette démarche ?
Le pouvoir qui voulait empêcher que le Printemps arabe ne soit écouté, entendu, suivi et tenant compte des chambardements qui se sont déroulés dans l'espace et dans le temps au niveau planétaire et régional avec la Tunisie, l'Egypte, le Yémen et la Syrie, a engagé des réformes. Le Président s'est adressé aux Algériennes et aux Algériens après près de deux ans de silence dans un discours soigneusement préparé pour lui assurer un impact maximum et gagner la société à sa volonté pour non seulement garder le pouvoir, mais pour rester le maître du jeu, celui qui propose, décide et dispose. Au-delà du pouvoir, c'est la santé du Président et son aptitude à gouverner qui sont posées. Après une apparition publique, il disparaît durant des semaines pour se reconstituer, car le dopage crée des effets collatéraux. Il a annoncé que les décisions seraient prises en dehors de la commission Bensalah par lui seul comme par le passé dans la solitude de sa conscience. Il veut tout organiser, tout régenter tout contrôler. Il ne demande pas au peuple son avis sur les réformes, il l'ignore. Il n'est pas à l'écoute des Algériens, ne prend pas en compte leurs revendications, car ils subissent la politique au lieu de la conduire. Et pour employer le poids des mots qu'il faut exprimer, ils n'ont pas le contrôle de leur destin. Une réflexion de Saint Exupéry exprimée dans Vol de nuit me revient à l'esprit : «Il n'y a pas de fatalité extérieure mais une fatalité intérieure ; vient une minute où l'on se découvre, alors les fautes vous attirent comme un vertige.» Le pouvoir ne doit pas être l'organisateur de l'instance de consultations, mais seulement un partenaire parmi les autres. Les réformes requièrent d'installer à la tête de cette instance une femme ou un homme en dehors du pouvoir, cultivé(e), d'une grande tolérance, apprécié(e) pour sa vision, sa stratégie, sa tactique, ses compétences, sa conviction, sa générosité et son humanisme. La commission Bensalah qui pensait détenir la clef des réformes a servi de facteur en transmettant au Président les doléances de ses interlocuteurs, pour la plupart alliés ou ralliés du pouvoir et partisans du statu quo. Les réformes n'ont rien réformé, ni l'Etat ni le système. Les Algériens qui s'inscrivent dans les réformes initiées par le pouvoir, sachant que la dictature ne se réforme pas, intègrent dans les faits le système politique et le dernier pouvoir qu'il a engendré. Le système politique est le même depuis 1962, et le pouvoir tient à le conserver. Le Président qui est préoccupé par son seul destin personnel ne retient que ce qu'il veut des réformes et les remodèle à sa guise.
– Un projet de révision de la Constitution est en cours d'élaboration dans les arcanes du pouvoir. Que peut-on en attendre ?
L'Algérie a expérimenté de nombreuses Constitutions en peu de temps pour avoir le respect des règles du jeu qu'elles impliquent ; peu appliquées, elles sont usées et révisées. Une Constitution se juge à sa capacité de durer et de s'adapter à des situations les plus diverses. Il faut changer le pouvoir avant de changer la Constitution. Rien d'essentiel ne changera dans la Constitution, dans le sens de la démocratie, de la liberté et de la justice, tant que durera ce pouvoir. La révision constitutionnelle est inopportune avant le départ du Président, au pire elle sera dangereuse. La République algérienne démocratique et populaire est établie sur un double mensonge. Elle n'est ni démocratique ni populaire. La prochaine dénomination doit être «République algérienne». La prochaine Constitution doit consacrer la démocratie juridique, régime du droit et de l'Etat de droit, détentrice de la souveraineté du peuple et de la souveraineté du droit. Trois conditions sont nécessaires pour réaliser la démocratie qui est la libre participation du peuple à la conduite de son destin, des élections libres avec l'alternance ou l'alternative, la séparation des trois pouvoirs, le respect des libertés individuelles et collectives. Depuis Montesquieu et Tocqueville, on sait que la séparation des pouvoirs et leur équilibre est la clef de la démocratie. Il faut réhabiliter le Parlement et faire de la justice un pouvoir à part entière. L'indépendance et le pluralisme de l'information constituent la base de la démocratie et de l'Etat de droit. La liberté d'expression doit être préservée selon le principe «ni exclusion ni exclusive». L'égalité avec l'homme est une des conditions de la liberté de la femme. Le Conseil constitutionnel qui est la plus haute juridiction, la seule dotée du pouvoir d'annuler les décisions du suffrage universel, est un élément essentiel de l'Etat de droit quand il contrôle la constitutionnalité des lois, le respect de la hiérarchie des normes juridiques, la primauté du droit. Droits et devoirs additionnés, cela s'appelle responsabilité. Tamazight est un élément constitutif, une dimension irréductible de l'identité nationale, dont elle est une partie indivisible. Si la culture berbère et la langue qui la véhicule ont triomphé des vicissitudes d'une histoire tourmentée, c'est parce qu'elles sont une réalité irréductible et incontournable, le prolongement de la dignité humaine qui relève de la libre participation de la personne humaine à la conduite de son destin pour établir ou maintenir ses droits, sa liberté, sa dignité. Revendiquer tamazight qui a son vocabulaire, sa phonétique, sa syntaxe est un droit. La promouvoir est un devoir. La diversité culturelle et linguistique fait la richesse du peuple et de son unité. La culture c'est l'esprit fécondé par la liberté. La reconnaissance de tamazight comme langue officielle se fera tôt ou tard, sauf que le temps perdu ne se rattrape jamais. – Depuis son arrivée au pouvoir, Bouteflika opère la troisième révision de la Loi fondamentale. Pourquoi ce recours permanent et «abusif» à la modification de la Constitution ?
Les problèmes majeurs relatifs à l'Etat de droit ne viennent pas de l'imperfection de la Constitution, mais de la violation manifeste par le pouvoir de la lettre et de l'esprit de la Constitution. Il y a une violation réfléchie de la Constitution par le renforcement progressif du pouvoir personnel avec les trois révisions de la Constitution faite par le Président et pour lui, il s'est octroyé tous les pouvoirs. L'axiome du Président est le pouvoir pour le pouvoir. La révision de la Constitution du 12 novembre 2008 avait pour objectif de ne pas limiter les mandats présidentiels, de lui confier tous les pouvoirs exécutifs et de ravaler le gouvernement au simple rang de pouvoir exécutant. Il a accaparé le domaine de la compétence du gouvernement. La pensée unique a engendré un homme providentiel à l'esprit monarchique qui a confisqué la souveraineté populaire et la citoyenneté. Il applique la formule gaullienne : «Le Président décide, le gouvernement exécute et le Parlement soutient.» Le président américain, Obama, a dénoncé, le 11 juillet 2009, au Ghana, «ceux qui utilisent les coups d'Etat et le changement des Constitutions pour rester au pouvoir». Le Président se succède à lui-même sans le peuple, malgré lui et contre lui. Qui peut empêcher le Président d'aller au bout de son ambition, un 4e mandat ou un mandat à vie. Affairisme, pouvoir personnel et dictature sont les trois piliers du pouvoir. Le Président s'est emparé de l'Etat qui dispose du peuple, garde le pouvoir par les moyens de la dictature. La seule constante de la pratique politique que le pouvoir maîtrise parfaitement est la fraude électorale. Les Algériens ont en mémoire les fraudes massives qui ne mènent pas à la démocratie, mais à la normalisation de la société. La dictature avec son machiavélisme politicien a fait surgir des profondeurs de la nation, après 14 ans d'Etat policier omniprésent et omnipotent qui a dépouillé le peuple algérien de ses droits, un immense besoin de liberté et de justice. Bouteflika doit passer la main. Quitter la scène politique par une fin de règne qui peut être écourtée, parce que la maladie rend indispensable son retrait. Changer le Président plutôt que de se fier aux mensonges de ceux qui parlent de l'amélioration de son état de santé, est une urgence, un impératif. – Des observateurs politiques voient, dans le déballage des scandales de corruption, une lutte acharnée entre différentes factions du régime. Etes-vous de cet avis ? Quel est l'enjeu que cacherait cette bataille ?
La corruption est inséparable de l'exercice du pouvoir. Elle est à tous les niveaux et dans tous les domaines. Ce qui ne peut être étouffé c'est ce grand nombre de prédateurs qui échappent à la justice. Il est temps d'ouvrir un débat sur l'impunité. L'Algérie est le pays des nantis, des privilégiés qui profitent de l'opacité de la gestion des revenus pétroliers pour détourner des sommes importantes, couverts par la justice qui courbe l'échine sous le joug des puissants. Dans un pays où la corruption gangrène la justice, l'impunité demeure reine. La corruption ronge le pouvoir et particulièrement les proches du Président. Deux anciens ministres de la Justice, l'un est ancien président du Conseil constitutionnel, l'autre président en titre, proches du Président sont susceptibles d'être poursuivis en justice pour corruption. C'est une situation intolérable, une banqueroute morale qu'il ne faut pas laisser passer sous silence. Il faut en finir avec l'ère de la corruption du pouvoir. Il y a des dirigeants compétents, très nombreux, et des juges au-dessus de tout soupçon, mais le fruit pourri dans le panier gâte le reste. Ils ont des dossiers les uns sur les autres, se tiennent et se conditionnent mutuellement. Le Président, qui n'accepte pas d'être critiqué, contredit, ne supporte ni contradiction, ni rival potentiel, même pas le DRS qui l'a porté au pouvoir et l'a maintenu envers et contre tous en 2004 et en 2009, a perdu la bataille. Il dispose de l'argent – nerf de la guerre – mais le général de corps d'armée, Mohamed Mediène, dit Toufik, a l'arme fatale : les colonels. Après les règlements de comptes, les comptes. – Comment analysez-vous les rapports de force entre les différents centres de pouvoir ? Le Département du renseignement et de la sécurité a-t-il la main haute sur le pouvoir et d'autres secteurs de la société ?
La vraie filière pour accéder au pouvoir passe par l'armée. Porté au pouvoir par l'armée, Bouteflika affirme son autonomie de décision et refuse d'être son otage ou son exécutant. Il veut se libérer des faiseurs de rois qui l'ont fait roi. Il dit qu'il est le seul centre de décision. Il évoque haut et fort que le pouvoir c'est lui et personne d'autre. Il ne se définit pas comme le protégé de l'armée, mais comme son protecteur. Il a instauré le culte de la personnalité, fait orchestrer les éloges qui mettent en relief la justesse de ses décisions, la profondeur de ses analyses, la population ayant seulement le droit de l'applaudir, le devoir de l'acclamer. Il a réduit la télévision à la seule fonction de reproduire ses discours. Il a accentué le système de cooptation et de copinage en vigueur sous le FLN, parti unique. Il ne tolère aucune opposition sauf quand elle se soumet et devient celle du pouvoir. Les rapports de force ne favorisent pas une issue démocratique. L'ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui fait partie de ceux qui mangent le fromage et le dessert après le repas, a parlé un mois après les élections législatives pour dire : «L'échec est collectif.» C'est un aveu d'échec politique, économique, social et culturel. Terminus, tout le monde descend, le Président en tête. Il faut partir ensemble ou les uns après les autres. Les trois leaders de la majorité présidentielle, Belkhadem, Ouyahia et Soltani sont partis. Le tour du Président est venu. Pour gagner la confiance des masses populaires, il faut donner l'exemple, vivre avec elles et comme elles. L'impertinence, cette forme douce de rébellion, pour peu qu'elle serve une cause généreuse, ouvre un chapitre d'écoute efficace. Heureux ceux qui n'attendent rien du pouvoir, car ils ne seront pas déçus. Des courants profonds et divergents qui ne relèvent pas du secret divisent la société. L'armée est partie prenante dans le jeu politique. Le débat sur elle, qu'il faut ouvrir, car il est le chemin de sortie de crise, fait peur à ceux qui s'en méfient comme à ceux qui s'en réclament, car ce débat est explosif. Un coup d'Etat est toujours la conséquence d'un échec militaire que l'armée n'arrive pas à réparer. Les présidents changent, passent et parfois trépassent, mais l'armée demeure. L'Algérie n'a pas fait l'économie du pouvoir militaire, mais est-ce seulement une étape ? La démission forcée des présidents Chadli et Zeroual pose de manière brutale le problème du rôle politique de la hiérarchie militaire, des décideurs de l'armée. La pérennité du système politique est confortée par la rente pétrolière. Les tensions s'avivent au sommet de l'Etat. Des courants profonds divisent le sérail. Il y a des différences réelles, profondes stratégiques au sommet de l'Etat. La confrontation, qui n'est pas encore frontale mais diffuse entre l'armée et le Président, fait d'eux des adversaires déclarés ou virtuels. Le DRS, qui est présent partout et dispose des relais dans la société civile, préserve ses prérogatives politiques. Il détient le pouvoir et exerce son influence sur la vie publique. Il a pris la grave responsabilité, lourde de conséquences de porter à la magistrature suprême, en avril 1999, Bouteflika. Va-t-il participer ou installer une République fondée sur une démocratie juridique qui consacrerait le régime de l'Etat de droit ? La lutte pour la succession de Bouteflika est ouverte, mais tout est bloqué. Aucune initiative n'est prise. – L'aspiration au changement démocratique est puissante chez les Algériens, mais elle n'arrive toujours pas à trouver sa traduction politique. Pourquoi, selon vous, les forces d'opposition démocratique peinent à construire un projet politique capable de rendre possible le changement ?
Il règne un climat d'incertitude, de doute et d'interrogations chez les Algériens qui cherchent à réunir une société profondément divisée par ses antagonismes politiques et sociaux, pour dégager une réflexion commune élaborée avec une grande ouverture d'esprit, passage obligé pour rassembler et mobiliser des énergies démocratiques. Des voix écoutées par le peuple doivent parler pour rassembler les énergies populaires qui vont dans le sens du changement démocratique, parce qu'il s'agit d'abord de leur combat qui peut donner un peu de relief à l'absurdité de notre condition et des chances raisonnables de le réussir. Tous ceux qui par des chemins différents partagent les mêmes valeurs, la souveraineté du pays et la citoyenneté et poursuivent le même objectif, la démocratie doivent se retrouver. Le crépuscule qui s'étend sur le pouvoir entrevoit l'aube de la démocratie. Devons- nous subir l'avenir, l'assumer ou le prendre en charge ? Aux dérives graves du pouvoir, il n'y a pas d'autre solution que l'opposition dans un front démocratique. L'opposition est une espérance pour l'avenir. L'obligation politique est de militer ave détermination pour l'avenir. Nous sommes dans une impasse qui perdure et exaspère et nous voulons en sortir. Il est du devoir des Algériens de tout mettre en œuvre pour créer une volonté commune, d'agir ensemble. En tout temps et en tout lieu, la démocratie est un programme commun des opposants. Comment unifier l'opposition qui étale au grand jour ses divisions ? Elle ne doit pas se présenter en ordre dispersé, dépasser ses divisions et réaliser une stratégie commune, un consensus réel et non de façade. Que les courageux se lèvent et appellent au rassemblement. Un courant rassembleur et unitaire, novateur et constructeur, exige la cohésion de la ligne politique. Le pays est malade d'une opposition en miettes et impuissant. C'est la méthode de chacun pour soi et surtout pour moi qui prévaut. Il faut changer de système politique et de pouvoir pour sauver l'Algérie. La jeunesse, qui est une alternative démocratique à la vieille génération politique, est seule capable de transformer la société par sa détermination, sa compétence, la somme de sincérité, d'idéalisme et d'intégrité qui l'anime. – Comment voyez-vous le passage du système autoritaire vers un Etat de démocratie ?
Les Algériens n'ont plus confiance en leur système politique constitutionnel qui n'a aucune légitimité démocratique. La verticalité du pouvoir fait du président un pharaon. Il faut avoir le courage et la volonté de faire face aux errements d'un pouvoir dictatorial. Les Algériens se battent et débattent pour la fin de la dictature pour la démocratie, la liberté et la justice. En tant que sujets cherchant à devenir des citoyens, les Algériens doivent se battre toujours par les moyens légaux, pacifiques pour se libérer de la dictature. Rappeler aux Algériens que défendre la démocratie est un acte citoyen. Il faut libérer le pays de la dictature pour établir la souveraineté populaire et la citoyenneté. La personne humaine ne peut avoir des droits là où elle n'est pas élevée d'abord à la citoyenneté politique. L'opinion publique doit comprendre, approuver et soutenir l'avenir fait de démocratie, de liberté et de justice, inscrit dans le présent. Le crépuscule qui s'étend sur le pouvoir entrevoit l'aube de la démocratie. Le passage vers un système démocratique se fera par une transition pour éviter la violence. Les acteurs seront les jeunes (filles et garçons). Cela implique d'appeler au pouvoir deux générations de l'après-indépendance issues du militantisme qu'il soit politique, syndical, associatif ou humanitaire. La place de la femme, sa citoyenneté entière et l'égalité de ses droits sont les conditions essentielles de la modernisation. Comme aux moments clés de l'histoire de l'Algérie, ils faut poser des actes forts et fondateurs et installer à la tête du pays un leader ayant des relations fortes avec les Algériens.