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« Il est temps que la jeunesse soit fière de ses aïeux »
Messaoud Djennas. Ecrivain et Pr d'ophtalmologie
Publié dans El Watan le 25 - 11 - 2009

Qu'ils se seraient rencontrés, qu'ils auraient discuté, ils ne se seraient, assurément, pas dit autre chose. Il fallait une sacrée dose d'audace à ce professeur d'ophtalmologie, passionné d'histoire avant de devenir écrivain, pour promener, à travers le temps, des personnalités marquantes de notre passé et les asseoir autour d'une table pour les faire dialoguer dans son dernier ouvrage(1). Le professeur Messaoud Djennas, puisque c'est de lui qu'il s'agit, que reconnaîtront ses patients, ses collègues et étudiants puisqu'il a dirigé, durant 20 ans (1971 à 1991), le service d'ophtalmologie du CHU Issad Hassani (ex-Beni Messous), nous avertit dans son avant-propos qu'il n'a nullement « la prétention » d'avoir écrit « un livre d'histoire », car il se défend d'être un historien. Même si la rigueur toute scientifique de cet ouvrage, de prime abord déroutant, ne laisse pas transpirer une approche d'amateur, le souci de son auteur est d'inviter la jeunesse algérienne, en premier lieu, mais aussi les lecteurs avertis, à une réflexion sur l'histoire de l'Algérie depuis la colonisation française jusqu'au début du troisième millénaire.
Au commencement...
En 1943, alors que je n'avais pas encore 18 ans, j'avais adhéré au PPA, parti qui activait dans la clandestinité. Ce qui m'a amené à la chose politique dès mon jeune âge. Puis, comme tous les Algériens, j'ai vécu intensément les tragiques événements du mois de mai 1945. J'ai conservé cette activité militante même en France où j'ai fait mes études de médecine. Cet intérêt pour la politique était sous-tendu par une passion pour l'histoire, car j'ai toujours pensé, et ce, depuis que j'étais étudiant, que si vraiment on veut se consacrer à la politique dans le sens noble du terme, il est essentiel de connaître l'histoire. Parce que le passé explique le présent et permet de conjecturer l'avenir.J'ambitionnais, une fois mes études médicales achevées, de préparer une licence en sciences politiques et une licence en histoire. Pour faire de la politique autant avoir des connaissances solides de la vie politique. Mais avant même de terminer mes études, la guerre de Libération nationale a commencé. Mon projet universitaire est tombé à l'eau. Je suis rentré à Alger. J'ai connu la guerre de l'intérieur. J'ai vécu la Bataille d'Alger avant de découvrir les camps de concentration. Et à l'indépendance, j'avais fait une analyse politique de la situation. J'en ai conclu que la politique n'était pas pour moi.
Et pour quelles raisons ?
J'avais constaté des choses qui n'étaient agréables ni à voir ni à dire. Je m'étais dit qu'il y a suffisamment de gens qui s'en accommodent, grand bien leur fasse et qu'il y aura certainement des intellectuels de valeur qui vont essayer d'agir pour le mieux. Il y en a eu, et de valables. Quant à moi, je suis d'abord médecin, alors je vais m'occuper de médecine. Ceci dit, j'ai quand même toujours été intéressé par l'évolution de la chose politique aussi bien chez nous qu'ailleurs.
C'est votre intérêt pour la chose politique qui vous a amené à écrire ?
Ah, non ! L'écriture c'est autre chose. Je n'avais pas une vocation particulière pour l'écriture, quoique je m'y étais, parfois, livré. Je ne parle pas du côté médical. En tant que professeur, j'ai produit des communications. Mais parallèlement, il m'arrivait, de temps à autre, d'avoir des idées, des réflexions que je couchais et que je mettais de côté. Trois, quatre, cinq, six pages, dix pages sans avoir jamais publié quoi que ce soit. L'âge aidant, j'ai pris une première retraite, celle de professeur, j'ai quitté l'hôpital et l'université en janvier 1991. puisque j'avais une peur bleue de la retraite, je me suis dit : « Une retraite sans activités, c'est l'antichambre de la mort. » Je me suis donné un délai et me suis dit : « Pourquoi n'écrirai-je pas mes souvenirs ? » Sans aucune ambition, je ne suis ni écrivain ni historien. Je voulais faire le point sur ma vie, bien que ce que j'ai fait de ma vie ne soit pas quelque chose d'extraordinaire. Et ça a été l'objet de mon premier livre. Quant au deuxième(2), il répond au souci d'apporter quelque chose à notre jeunesse, laquelle, hélas, ne connaît pas l'histoire de son pays.
C'est la question que je voulais vous poser, c'est donc le souci…
D'être utile. La vraie solution se trouve à l'école. Elle est du ressort du système éducatif. Ce dernier, vous le savez aussi bien que moi, a failli. L'histoire a été falsifiée, malmenée et mal enseignée. Imaginez-vous… quand on raconte à nos élèves, à nos lycéens et à nos enfants que la guerre de libération et la Révolution ont été déclenchées par une organisation, dont je ne citerai pas le nom… El Ouléma, qui n'avaient rien à voir avec la préparation, ni le déclenchement de la guerre, vous voyez un peu. L'éducation qui devait prendre en charge l'enseignement de l'histoire a échoué. Il appartient donc à ceux qui ont vécu des situations de s'impliquer. C'est à notre génération qui a été témoin, elle qui a eu le privilège de vivre des événements extraordinaires, de témoigner. Chacun a vécu une séquence de l'histoire de l'Algérie, qu'il se doit de rapporter de la façon la plus objective et la plus rigoureuse possible. Il s'agit d'intéresser le plus grand nombre de nos concitoyens, particulièrement les jeunes. J'ai tout expressément adopté, pour l'écriture de mon second ouvrage, un style qui est accessible, sans toutefois choquer l'intellectuel, car ce n'est quand même pas « un sous-produit » littéraire, mais je le voulais à la portée de l'Algérien de formation moyenne. Nos jeunes ignorent l'histoire du pays. Aussi, ai-je pris le soin d'en présenter tout un pan depuis 1830 jusqu'à l'an 2000. Toutes les séquences historiques sont dûment vérifiées. Ils n'ont qu'à se référer à la liste des ouvrages consultés, plus d'une cinquantaine. Puis, j'ai constaté qu'au terme de chaque séquence historique, il y avait deux ou trois personnalités qui émergeaient et dont les idées se confrontaient ou se complétaient. C'est alors que j'ai pris l'initiative de les faire dialoguer, mais en observant deux principes directeurs : 1- le respect absolu de la pensée politique de chaque dialoguiste ; 2- le respect absolu de la réalité historique. Les dialogues sont, certes, imaginés mais les initiés se rendent compte que les interlocutions demeurent scrupuleusement conformes aux faits tels qu'ils se sont déroulés dans l'histoire. Le contenu des entretiens ne viole en rien la réalité ni la pensée politique des personnages mis en situation. L'objectif c'est d'essayer de mettre en phase le jeune lecteur avec son propre passé et les personnages qui l'ont animé. Peut-être qu'un style pas trop académique, ou un récit historique traditionnel risque de le rebuter, c'est la raison pour laquelle j'ai opté pour cette méthode, disons, plus didactique, par souci pédagogique.
Une histoire vivante en quelque sorte…
Deux personnalités qui dialoguent et au terme de chaque séquence, normalement, je dis bien normalement, on appréhende bien ou assez bien, en tous les cas davantage, les personnages mis en situation.
Mais ce sont des dialogues impossibles... Lorsque vous mettez en scène Mohamed Boudiaf et l'Emir Abdelkader, les réalités politiques des époques vécues par l'un et l'autre sont totalement différentes. N'avez-vous pas l'impression que vous forcez le trait ou que vous créez une vive torsion temporelle pour placer les deux acteurs historiques l'un en face de l'autre ?
Alors là pas du tout. L'Emir Abdelkader a déposé les armes en 1847, il a tiré les leçons de son expérience de résistant. Il a vu que les Français massacraient son peuple. Ils ont affamé, enfumé des populations entières. Il les a combattus avec ardeur. La France a failli à tous ses engagements. Bien plus tard, d'autres Algériens vont analyser les causes de son échec et vont les recenser, et à ce moment-là, les successeurs seront dans des conditions beaucoup plus favorables que lui. Ils n'ont pas hésité à reprendre les armes et le combat, là où lui les a déposées. Voilà le fil conducteur. Voilà la substance de l'entrevue virtuelle imaginée entre l'Emir Abdelkader et Mohamed Boudiaf. Boudiaf dit à l'Emir : « Si vous avez déposé les armes parce que…, parce que…, parce que… Nous, animateurs du mouvement nationaliste politique, avons œuvré, pendant des années et des années, pour amener la France à aborder de façon rationnelle le problème colonial mais elle a refusé et il n'y a pas de solution pacifique. Il ne nous reste que le recours aux armes. » Autrement dit, Boudiaf dit : « Vous avez déposé les armes pour telles et telles autres raisons, nous les reprenons pour telles et telles autres raisons. » Il y a continuité dans l'action.
Il y a quatre personnages en définitive : vous, l'auteur et les deux interlocuteurs. Le lecteur, de telle façon, vous ne l'influencez pas ?
Je ne veux surtout pas l'influencer. Je lui donne des éléments d'information. Je lui présente les personnalités. Je lui présente Ferhat Abbas et sa politique d'assimilation jusqu'à 1942/1943, je lui présente Messali, je lui présente Ben Badis, etc. Le lecteur se fait sa propre opinion parce que je suppose qu'une fois informé, il est suffisamment documenté, non pas pour juger mais pour comparer les points de vue de Abbas et de Messali par exemple. N'oubliez pas que les dialogues que je propose sont toujours précédés d'un cadrage situationnel historique qui est rigoureusement fidèle aux faits tels qu'ils se sont déroulés et rapportés par les historiens. Le lecteur a une double information : l'une concerne l'évolution de l'histoire et l'autre les personnalités qui ont joué un rôle dans une phase historique donnée.
Il y a des absents dans votre ouvrage. Les communistes par exemple...
Les communistes y sont absents parce qu'ils étaient absents par leur politique…
Il y a des communistes qui ont milité…
Dans un débat sur la Radio nationale, la Chaîne III, il y avait un jeune éditeur qui m'avait fait la même remarque à peu près. Je lui ai dit : « Citez-moi un seul communiste qui a joué un rôle décisif dans l'histoire de la politique algérienne. » En revanche, il y a eu des Algériens communistes, pas des communistes algériens, il y a nuance… Ce n'est pas le Parti communiste qui s'est engagé dans la guerre de libération.
Avez-vous quelque chose sous presse ?
Je suis en train de peaufiner Aguellids et royaumes de Numidie, ce sont deux siècles avant JC. Je me pose la question de savoir si Massinissa avait raison de s'allier à Rome contre Carthage et Syphax ? Est-ce que Syphax avait raison de s'allier à Carthage contre Massinissa ? Je ne veux pas être prétentieux, mais j'éprouve une certaine sympathie pour Syphax. Je regrette, à ce propos, que nos historiens et les gens de nos jours ne connaissent l'histoire qu'à travers les écrits des Latins Tite live, Salluste, etc. Ils ont influencé les historiens modernes, car ces derniers éprouvent peut-être quelque paresse à aller chercher eux-mêmes les sources nombreuses. Alors, ils prennent pour argent comptant tous les écrits des auteurs latins. Même Julien, même Gsell, reprennent les mêmes historiens anciens. Il faut se débarrasser de la tutelle étrangère. C'est difficile, car nous n'avons pas assez de documents, nos ancêtres n'ont pas assez écrit. S'ils ont écrit, leurs écrits ont disparu. Il est temps que les gens de ce pays soient fiers de leurs aïeux.
1-Pr. Messaoud Djennas. Vivre c'est croire. Casbah Ed. Alger 2006
2-Algérie résistance et épopée. Dialogues à travers le temps 1827 - 2000. Casbah Ed. Alger 2009


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