Les étudiants vénézuéliens qui battent le pavé à la plazza Venezuela ne sont pas sans rappeler les manifestants égyptiens de la place Tahrir. Les étudiants qui insistent sur le caractère pacifique de leur «révolution» et réclament à coups de slogans le «départ» du président Maduro rééditent le même modus operandi des révolutionnaires du «printemps arabe» : mobilisation à travers les réseaux sociaux pour contrer le black-out des médias gouvernementaux, sit-in et campements dans la rue. Face à la contestation, les chavistes au pouvoir crient au complot impérialiste et traitent les étudiants de «fascistes» à la solde des Etats-Unis. Dans un premier temps, le président Maduro avait promis un plan pour tenter de répondre à la grogne croissante à Caracas et en province, avant de se rétracter et d'appeler ses partisans à investir la rue à leur tour pour contrer les étudiants. L'appel lancé au lendemain de la sanglante confrontation du 12 février et qui s'est soldée par 3 morts par balles, des dizaines de blessés et des centaines d'arrestations dans les rangs des étudiants n'a pas manqué d'envenimer la situation. Depuis la dernière semaine, la capitale Caracas vit au rythme des affrontements entre pro et anti-Moduro : jets de pierres et de cocktails Molotov contre gaz lacrymogènes et tirs à balles réelles, qui seraient l'œuvre de milices paramilitaires dans ce pays où les armes surabondent entre les mains de civils. Sur le terrain des affrontements, des journalistes étrangers ont été agressés et délestés de leurs cameras par les pro-Maduro qui se livrent à des expéditions punitives, forts de la complicité des agents de l'ordre, sous silence des médias vénézuéliens, dont les télévisions continuent de s'abstenir de diffuser les images des «incidents», craignant manifestement de subir le sort de la chaîne NTN24, suspendue de diffusion jeudi soir. La chaine colombienne NTN24, surnommée El djazira latino, a été nommément accusée par le président Maduro de «manipulation et de promotion de la violence» dans le discours à travers lequel il avait appelé ses partisans à «sauver la révolution bolivarienne». Dans ce contexte de black-out médiatique, les étudiants vénézuéliens, très actifs sur les réseaux sociaux, multiplient les appels et diffusent en continu les images des exactions policières et les assauts des «collectifs» de la révolution bolivarienne qui tentent de bâillonner les étudiants contestataires. Sur la Toile, des internautes n'ont pas manqué de comparer les images des jeunes chavistes qui chargent les attroupements à moto aux baltaguis pro-Moubarak qui tentaient de disperser la foule à dos de chameaux un certain printemps 2011. Les analogies entre les révolutions du printemps arabe et le mouvement de contestation estudiantin vénézuélien semblent, effectivement, bien troublantes dans la forme, mais là s'arrêtent les similitudes, car si l'on considère la genèse des événements et le contexte politique dans la région, l'on s'aperçoit que le «printemps latino» était déjà en marche depuis plusieurs années. Genèse «Expresarese es libertad» «Expresarese es libertad» (Liberté d'expression) était le cri de ralliement originel du mouvement étudiant vénézuélien en 2007, réagissant, à l'époque, contre la fermeture de radio Caracas télévision et la politique liberticide du l'ancien président Hugo Chavez. Le mouvement constitué par des étudiants non partisans qui réclamait plus de liberté d'expression et le droit de participer dans les affaires publiques sans être affilié politiquement aux organes bolivariens du pouvoir est depuis victime d'agressions et de persécutions par les association estudiantines assujetties par le gouvernement de l'ancien président Chavez. Les étudiants qui étaient aussi aux premiers rangs des opposants au remaniement de la Constitution pour faire sauter le verrou de la limitation de mandats présidentiels par Chavez avaient également manifesté au terme de son troisième mandat pour dénoncer le silence sur son état de santé quelques semaines avant sa mort. «Les étudiants qui avaient scandé ‘‘vive le cancer'' avaient certes choqué plus d'un», nous apprend Gabriel, un étudiant activiste vénézuélien sur Facebook, «mais la véritable maligne métastase est bien sa succession par les chavistes patentés et leur ‘‘démocratie'' absolutiste». L'opposition accuse le président Maduro d'avoir succédé à son mentor à la faveur de la fraude électorale, comme elle impute au gouvernement chaviste d'être responsable de la misère effroyable qui sévit dans le pays depuis l'année de l'accession au pouvoir d'Hugo Chavez. Pourtant, fort à l'époque de la formidable manne financière issue du boom pétrolier à son arrivée en 1999 aux commandes de ce pays : grand producteur pétrolier et détenteur des plus grandes réserves prouvées en pétrole dans le monde. Les étudiants avec lesquels nous nous sommes entretenus sur les réseaux sociaux se disent plus patriotiques que les jeunes des «collectifs chavistes bolivariens», n'étant pas motivés par les privilèges corrupteurs du pouvoir. Mais au fur des discussions, ils ne nous ont pas dissimulé non plus leur sympathie avec leur soutien pro-démocratique à l'extérieur du pays, y compris des ONG américaines et dénoncer «l'hypocrisie» des chavistes qui fustigent les échecs de la globalisation des systèmes libéraux, alors que la corruption règne sous d'autres visages dans le système de la révolution bolivarienne. En effet, il existe de très fortes inégalités sociales au Venezuela, près de 60% des habitants s'entassent dans des barrios (quartiers pauvres) à Caracas, la capitale du pays, qui compte le plus de millionnaires en Amérique latine. «Les chavistes feignent la surdité depuis des années aux bruits des cacerolada (casseroles sur lesquelles frappent les ménagères le soir pour manifester leur dénuement)… Mais «nous ne savions pas que tenir une casserole ou une poêle était un acte de terrorisme», avait déclaré la députée de l'opposition, Delsa Solorzano, suite à l'arrestation d'étudiants pour avoir tapé sur des casseroles pour protester contre les résultats de la présidentielle d'avril dernier. «C'est la misère et la montée de la violence, créations de la dictature fardée des chavistes qui motivent notre mouvement, tout le monde sait que c'est le viol de l'étudiante de l'Etat de Tachira qui a déclenché la colère, et pas seulement celle des étudiants. Le nombre de meurtres dans le pays est des plus élevés dans le monde ! Nous revendiquons la paix», réclame Gabriel, l'étudiant vénézuélien qui arbore le mot «paz» (paix) peint sur le front dans sa photo de profil sur Facebook. Sur la Toile, les «collectifs» bolivariens arborent quant à eux les étendards rouges, symboles des Bolivars, et sans conjecturer sur la suite que pourraient prendre les événements, force est de constater que la division politique qui marque le Venezuela depuis arrivée de Chavez a fini par scinder la jeunesse vénézuélienne en deux camps qui s'affrontent avec deux notions antagoniques de la «révolution».