«Nous sommes en train de tirer le diable par la queue», lâche El Hadi, patron de restaurant, ajoutant que «la seule façon d'éviter la reproduction des incidents de l'année dernière, c'est soit d'annuler carrément le traditionnel défilé de chars sur les grands boulevards du centre-ville, soit de le faire à Bouhraoua, à proximité du palais des expositions, où la configuration du terrain est propice à une bonne maîtrise sécuritaire.» Et puis le cœur n'y est pas, l'esprit n'est pas à la fête alors que le M'zab est endeuillé. Mais les autorités n'en démordent pas, bien qu'aucun programme n'ait été communiqué, la date du 23 mars reste maintenue pour l'ouverture, coïncidant avec le lancement de la campagne électorale pour la présidentielle du 17 avril prochain. Le 27 mars est prévue la clôture de cette 47e édition du salon national du tapis, mais aucune autre indication sur le nombre d'exposants, leur région d'origine et les divers métiers qui seront présents n'ont été précisés par ceux en charge de la communication qui, comme d'habitude, pointent aux abonnés absents. A titre de rappel, la 46e édition a été chahutée, dès son entame, par des chômeurs et des militants des droits de l'homme. Du jamais vu depuis que cette fête existe, aucune fausse note depuis près d'un demi-siècle, mais l'année dernière, la fête a tourné à l'émeute et des gaz lacrymogènes ont été utilisés par les forces de l'ordre pour disperser des centaines de jeunes chômeurs qui ont investi le parcours que devait prendre la procession de chars (camions habillés de tapis et de produits artisanaux de la région) pour la parade d'ouverture, parcours le long duquel un impressionnant cordon de sécurité était mis en place, ce qui n'augurait déjà rien de bon. Scandant les habituels slogans exigeant du travail et des logements et dénonçant la corruption et la dilapidation des deniers publics par de hauts responsables de l'Etat, ils se sont surtout amassés en face de la tribune officielle où s'étaient installés les officiels et le directeur général de l'artisanat au ministère du Tourisme, Benabdelhadi Ahmed. Face aux grandes grilles d'entrée du siège de la wilaya, il y avait deux places stratégiques pour se faire entendre et surtout se faire voir de l'assistance. Des centaines de visiteurs venus des quatre coins d'Algérie, profitant des vacances scolaires pour visiter cette belle vallée qui, à l'instar de toute la région du sud connaissait alors des soubresauts sociaux. Avant l'arrivée des officiels, quelques militants des droits de l'homme ont même réussi à franchir les barrières de sécurité et à se hisser sur la tribune officielle où ils ont scandé des slogans hostiles au pouvoir avant d'être neutralisés et embarqués manu militari par les forces antiémeutes qui ont vite fait de rappliquer. Il faut dire qu'en quelque sorte, ils ont réussi à gâcher cette fête puisque les festivités qui n'ont pas dépassé 30 minutes ont été réduites au strict minimum par rapport aux années passées quand celles-ci duraient toute la matinée avec les traditionnels groupes folkloriques qui égayaient le parcours avec leur zorna et leur karabila qui détonaient le baroud à profusion, témoin obligatoire et incontournable de toute fête au Sud. Des familles entières ont paniqué et demandé alors l'intervention des policiers pour être extraites du magma de jeunes qui les ont noyés dans la masse. Elles ont été rapidement secourues par les policiers qui les ont exfiltrées et accompagnées vers un emplacement à peu près plus sûr, mais l'inquiétude se lisait sur leurs visages. Reviendront-ils cette année ? Rien n'est moins sûr. Les organisateurs ont une lourde responsabilité à assumer en ces temps bien instables, a fortiori avec la flambée de violence qui a provoqué mort d'hommes et d'innombrables dégâts. Le risque étant latent et patent, espérons que la sagesse l'emportera sur l'ego des responsables et que cette manifestation économique et culturelle à la fois soit carrément annulée.