A Draâ Errich, localité située à 20 km à l'ouest d'Annaba, le gouvernement veut aménager un territoire d'une superficie globale urbanisable s'étendant sur quelque 1344 hectares avec un périmètre d'extension de 681 ha, soit un total de 2025 ha (plus de 20 km2), indique Rachid Bougueddah, directeur général de l'Etablissement public d'aménagement de la ville Draâ Errich. Mais, l'ambition gouvernementale de faire émerger du néant une ville appelée à accueillir pas moins de 250 000 âmes, 50 000 logements et 470 équipements publics n'est-elle pas le meilleur exemple qui confirme le diction qui dit mettre la charrue avant les bœufs ? Car le projet a été mis en route, mais sans aucune assise juridique. En effet, contrairement à ses semblables créées par décret exécutif : 01/04/04 pour Bouinane (Blida), 01/04/04 pour Boughezoul (Médéa), 18/09/06 pour Hassi Messaoud (Ouargla), 28/11/07 pour El ménéa (Ghardaïa), et enfin le décret n° 04/275 du 01/04/04 pour Si Abdellah (Alger), la ville nouvelle Draâ Errich est, quant à elle, officiellement inexistante : comment peut-on alors engager de l'argent public en l'absence d'un quelconque instrument juridique ? Une question que d'aucuns se posent, surtout lorsque Ismaïl Bouhdjila, le P/APC de Oued El Aneb — commune dont relève Draâ Errich — confirme la réalisation en cours de 817 logements par l'Office de promotion et de gestion immobilière (OPGI), de 2400 par l'Agence nationale de l'amélioration et du développement du logement (AADL), ainsi que de 140 autres unités par l'Entreprise nationale de promotion immobilière (ENPI). Au total, détaille pour sa part M. Bougueddah, suivant le Plan général d'aménagement, lequel, faut-il le souligner, n'a pas encore été approuvé par la commission interministérielle, devraient être réalisés, d'ici à 2029, 50 000 logements, tous segments confondus. Sur les 27 000 relevant de programmes publics, 10 000 unités ont déjà été confiées à l'ENPI, 10 000 à l'AADL et 7000 à l'OPGI, et ce, en plus de 470 équipements publics touchant tous les secteurs socio-économiques. Ainsi, il est question d'aménager environ 9 millions m2 entre logements et équipements publics. Toujours selon le patron de l'EPIC Draâ Errich, environ 10 000 logements, tous opérateurs confondus, sont en cours de réalisation. Les premières tranches, soit 5000 unités, devraient être livrées à partir de fin 2016, le reste une année après. Or, à en croire le P/APC de Oued El Aneb, pas l'ombre d'un projet d'équipement public (éducation, santé, administrations), ni d'un quelconque aménagement extérieur n'a été, à ce jour, lancé. Mieux, «ils ne sont même pas inscrits, à l'exception d'un lycée» s'indignera-t-il. Idem pour les VRD (voiries et réseaux divers) et les amenées. «Les travaux pour la construction par les chinois et les Turcs de logements s'accélèrent puisqu'il est question de livrer vers la fin 2016 au moins 5000 sur les 10 000 logements en cours de réalisation, alors qu'autour rien n'a encore été fait ?», s'interroge t-il. Le réseau d'AEP n'est pas, lui aussi, encore mis en place : «Si on a mis près de trois ans pour réaliser à peine 30% des travaux de construction de deux petits réservoirs d'une capacité de 500 m3, combien d'années faudrait-il attendre pour mettre sur pied de grands équipements tels que les établissements de santé, les stades, les routes, le pôle universitaire, etc. qui sont prévus à la ville nouvelle Draâ Errich ?» «Et ce, ajoutera le maire, sans parler des espaces publics, d'autant plus qu'il existe une circulaire gouvernementale datant de près d'une dizaine d'années qui interdit toute livraison de logements dans le cadre des Zones d'habitat urbain nouvelles (ZHUN) sans aménagement des espaces extérieurs». Se voulant rassurant, le patron de l'Epic de Draâ Errich, affirme pour sa part que les études de réalisation des amenées (gaz, électricité, eau potable et fibre optique) ont été engagées. «Aussi, 16,54 milliards de DA ont déjà été affectés aux travaux de viabilisation». Et d'ajouter : «La volonté politique de mener à terme le projet de la ville nouvelle existe. Le 30 mars dernier, s'est tenue une importante réunion ayant regroupé les ministres de l'Habitat et des Travaux publics, ainsi que la direction générale de Sonelgaz pour débattre des dispositions à prendre dans l'immédiat en vue d'accélérer les choses. Car, et il faut le reconnaître, l'élan du début a brutalement freiné. Le projet avance au ralenti». Est-ce à comprendre que l'Etat n'a plus les moyens de sa politique, rationalité budgétaire oblige ? Ou bien, ce qui s'apparente à un désengagement des pouvoirs publics s'explique-t-il par la dimension réelle de la future new city de Draâ Errich ? Tout porte à le croire. A cette dernière, les pouvoirs publics ont, en réalité, conféré le statut de pôle urbain et non pas celui de ville nouvelle. «Draâ Errich ne figure pas dans le Schéma national d'aménagement du territoire (Snat) qui prévoit la création de villes nouvelles. La finalité étant de désengorger les grandes villes de Annaba, Alger, Constantine et Oran qui concentrent près de 60% de la population algérienne et de peupler les régions des Hauts-Plateaux et du Sud», précise l'urbaniste Rachid Bougueddah. Et c'est justement à ce sujet que le P/APC IsmaÏl Bouhdjila est sceptique : «Draâ Errich est considéré comme pôle urbain, alors que par définition un pôle urbain est une unité urbaine offrant au moins 10 000 emplois. Et Draâ Errich est appelé à pourvoir le marché du travail de plus de 100 000 emplois. Curieusement, El ménéa (Ghardaïa), Hassi Messaoud (Ouargla), ou encore Bouinane (Blida), de moindre importance, ont le statut de ville nouvelle. Mieux, selon la loi 02-08 relative à l'aménagement du territoire, le statut de Draâ Errich correspond à celui de ville nouvelle». A ses yeux, le buzz médiatique suscité au lendemain du lancement du projet Ville nouvelle Draâ Errich s'avère aujourd'hui légitime, car il s'est avéré être un énième slogan politique : «On avait annoncé en grande pompe la création d'une ville nouvelle. Aujourd'hui, le langage a changé. C'est d'un pôle urbain qu'on parle du côté des officiels politiques». Autre fait curieux : en 2007, l'ancien ministre délégué chargé de la ville, Abderrachid Boukerzaza, avait publiquement déclaré que «tous les projets de villes nouvelles initiés pour la plupart durant les années 1980 ont leur décret exécutif et que les plans d'aménagement de chaque ville étaient prêts ainsi que les montages financiers», tient à rappeler O. D., architecte exerçant dans un organisme public. Près d'une dizaine d'années après, Draâ Errich est toujours en attente d'un hypothétique décret. «Draâ Errich ne peut même pas prétendre au statut de pôle urbain. En réalité, elle est assimilable à une Zone d'habitat urbain nouvelle (ZHUN), car le déploiement d'un projet de l'envergure d'une Ville nouvelle ne peut être possible sans assise juridique. Notre lecture : Annaba se débat depuis bien des années dans une grave crise de logement. Les réponses à cette crise est Draâ Errich, la future nouvelle cité-dortoir», affirme avec dépit l'architecte. «Le problème en Algérie est que depuis des années on ne fait que jouer le rôle de pompier, répondre aux urgences de l'heure, sans se projeter sur l'avenir. Il n'y a pas de maturation ni d'analyses sociologiques en matière d'aménagement du territoire», déplore-t-il. A ce constat amer que d'aucuns partagent, M. Bougueddah, diplômé de grandes écoles d'urbanisme internationales, est déterminé à faire de son plan d'aménagement de Draâ Errich une belle œuvre concrète : «Une grille d'équipements publics modernes a été élaborée suivant des indicateurs socio-urbains, tous secteurs confondus, un plan local de l'habitat (PLH) bien étudié, réalisation à la livraison et un plan pluriannuel. L'édification de cette nouvelle ville est un challenge que nous relèverons. Pour cela, travailler en étroite concertation est ce à quoi nous appelons nos collègues des entités et administrations concernées par le projet. Créer une ville où vont vivre plus de 250 000 âmes est tout sauf une sinécure.»