En s'approchant, par la voie aménagée spécialement, on découvre les bassins animées de jets d'eau entourant l'édifice disposant d'une baie vitrée surmontée d'ondulations aux effets aquatiques. Hormis quelques aménagements à l'extérieur, notamment pour le parking, cet édifice, dont la première pierre a été posée en 2012, est fin prêt à accueillir son public. Entre artistes, personnalités médiatiques et amateurs de belles harmonies, le public est venu en masse pour cette ouverture fortement attendue. Une demi-heure avant l'ouverture, annoncée pour 19h, les portiers sont déjà dépassés et les discussions s'échauffent à l'entrée. Les mélomanes sont pourtant un public bien pacifique et un simple ruban délimitant un circuit pour la file d'attente aurait suffi à gérer la foule. De l'autre côté de la bâtisse, l'ambiance est différente. Les délégations officielles se suivent sur le tapis rouge déroulé devant l'entrée VIP et le ministre de la Culture affiche un grand sourire de satisfaction. L'ambassadeur de Chine, Yang Guangyu, est là, ainsi que de nombreux représentants du corps diplomatique accrédité à Alger. On annonce également le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le président de l'Assemblée populaire nationale, Mohamed Larbi Ould Khelifa. D'autres ministres sont également au rendez-vous à l'image de Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, qui assiste régulièrement aux concerts de l'Orchestre symphonique. A l'intérieur du hall, on découvre les gigantesques lustres étincelants et les colonnes parcourues de motifs végétaux. L'intérieur de la salle de spectacles est également tapissé de pétales décorant murs et plafond. Avec une capacité de 1400 places, le public s'installe à son aise, tandis que les officiels prennent places dans le balcon étagé. A 20h, l'inauguration se fait toujours attendre. Mais le spectacle est dans la salle avant d'être sur scène. On tente de reconnaître les acteurs, chanteurs, cinéastes, plasticiens, dramaturges et autres présentateurs télé parmi la «famille culturelle» présente au grand complet. Les commentaires vont bon train : «Untel a pris de l'âge, une telle a pris du poids…» On discute également de la salle et notamment de son emplacement qui fait débat. En effet, l'Opéra est l'un des premiers grands édifices culturels érigés en périphérie, à 15km du centre-ville d'Alger. Certains déplorent l'accès difficile, particulièrement pour les piétons. D'autres avancent que cet emplacement offre au contraire des facilités d'accès et de stationnement par rapport au centre-ville engorgé. Il faut souligner également que la population de la commune d'Ouled Fayet ne cesse d'augmenter à la faveur d'une urbanisation rampante entre cités AADL et social, résidences de luxe, buildings de grandes entreprises, résidence universitaire… La présence d'un grand établissement culturel n'y est donc pas incongrue, à condition d'en assurer l'accès via les transports en commun. Après s'être habitué à faire leur shopping dans les grands centres commerciaux de la banlieue est (Bab ezzouar, Bordj El Kiffan, Mohammadia…), les Algérois devront s'habituer à se diriger vers l'ouest pour accéder à l'opéra qu'on présente déjà comme un pôle culturel. C'est le nouveau visage de la capitale qui se dessine. 20h30, les musiciens de l'Orchestre symphonique national font enfin leur entrée sous un tonnerre d'applaudissements. Le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, se réjouit de l'ouverture de l'Opéra d'Alger qu'il qualifie de «valeur ajoutée à la vie culturelle, artistique et créative». Il ajoute qu'au-delà du bâtiment, l'Opéra est aussi le symbole de la synergie entre plusieurs disciplines artistiques : musique, poésie, théâtre… Il lance à ce propos le défi aux artistes algériens de «meubler cet Opéra par leurs créations». M. Mihoubi ne manque pas de remercier les Chinois pour ce précieux cadeau (d'une valeur de 30 millions d'euros). Il reconnaît que tout le travail reste à réliser pour «faire de cet opéra un espace d'ouverture sur l'universalité et de rencontre des peuples à travers la musique». Ce sera notamment la mission de Noureddine Saoudi, directeur de l'Opéra d'Alger, qui affiche un profil original entre l'art et la science. Membre fondateur des associations de musique andalouse Essendoussia et El Fakhardjia, il est aussi chercheur en géologie et en préhistoire (directeur du CNRPAH de 1994 à 2001). Espérons qu'il saura allier la créativité de l'artiste à la rigueur du scientifique pour la gestion de cet établissement qui abritera l'Orchestre symphonique national, le Ballet national ainsi qu'un ensemble de musique arabo andalouse regroupant les trois écoles algériennes (Constantine, Alger et Tlemcen). Place enfin à la musique sous la baguette remuante du maestro Amine Kouider. Etant donné les circonstances, le programme est composé de courtes pièces et d'extraits variés. L'orchestre ouvre son programme avec le chant Li anaka mithli touhibou el djazair (Parce que tu aimes comme moi l'Algérie) composé par Noubli Fadhel sur des paroles de Azzedine Mihoubi, en sa qualité de poète bien entendu. Cette marche héroïque aux accents orientaux est chantée par Nada El Rayhane en dialogue avec la chorale de l'OSN. Comme une inauguration d'opéra ne pouvait se faire sans extraits d'opéra, les jeunes et brillants artistes lyriques, Anissa Hadjrassi et Amara Hadj Aïssa nous offrent une interprétation pleine de fraîcheur d'un extrait de La Traviata de Verdi. C'est toujours sous le signe de la jeunesse que la sémillante Louiza Hamadi s'attaque au monument pianistique qu'est le Concerto n. 2 pour piano de Serguei Rachmaninov. Entre les deux, l'orchestre interprète un extrait du célébrissime Lac des cygnes de Tchaïkovsky qu'on aimerait voir interprété un jour avec les danseurs du Ballet national. La deuxième partie du programme privilégie la fusion avec un Mozart El djazayri mélangeant compositions classiques et sonorités orientales à la manière du projet Mozart l'Egyptien de Hughes de Courson. Le qanoun de Hacène Benalioua et le oud de Ryad Boualem naviguent sur les harmonies du compositeur autrichien et les rythmes du tar, du bendir et de la derbouka. Les trois écoles de musiques arabo-andalouses sont ensuite représentées par Abbas Righi, Lila Borsali et Samir Toumi dans Noubat El Andalous. Le tour d'Algérie se poursuit avec la rugueuse guesba de Taleb Noureddine et la zorna enchantée de Hocine Bouifrou. La chorale ajoute enfin son grain de sel avec des interprétations de chansons populaires de différentes régions d'Algérie ainsi qu'un Carmina Burana de Carl Orff sur des paroles de Rabah Kadem célébrant la Révolution algérienne. Conquis par le spectacle, le public ne tarit pas d'applaudissements et de youyous. La joie de l'inauguration passée, tout le défi reste de produire un contenu à la hauteur du luxueux contenant.