Née en 1964 à Grenoble d'un père algérien et d'une mère française, Dounia Bouzar, docteur en anthropologie du fait religieux et de la laïcité, est régulièrement conviée sur les plateaux de télévision pour témoigner de son expérience forgée à travers la création du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI), rebaptisé Centre de prévention de déradicalisation et du suivi individuel (CPDSI), lequel a reçu l'aval des autorités françaises. Dans ses interventions, elle essaie surtout d'apporter une lecture sereine de l'islam et de battre en brèche les arguments islamophobes. Marie-Castille Mention-Schaar est scénariste, réalisatrice et productrice. Elle est cofondatrice de la société de production Vendredi Film qui a financé quelques grands films, dont ceux réalisés par Antoine de Caunes. Son premier long métrage, Ma première fois (2012) en tant que réalisatrice est un mélodrame romantique dans lequel elle relate sa première grande histoire d'amour avec son compagnon décédé. Elle passe la même année au registre social en s'inspirant de faits réels traités sous le mode de la comédie. Cela donnera Bowling (2012) sur la révolte d'une petite ville s'opposant à la fermeture de la maternité puis Les Héritiers (2014) qui se passe dans une classe de lycée de la banlieue parisienne. La deuxième a un jour convaincu la première, au départ réticente à l'intrusion d'une caméra lors de ses séances de «désembrigadement», de la laisser assister à ces dernières, pour écrire un scénario qui donnera plus tard une fiction cinématographique au titre évocateur, Le Ciel attendra, sortie sur les écrans français le 5 octobre. Et ma foi, là où le documentaire s'avérait impossible à faire avec les vrais acteurs puisés dans la réalité, Marie-Castille Mention-Schaar a réussi une véritable prouesse en réalisant une fiction avec deux comédiennes confondantes de vérité et de crédibilité. Sonia Bouzara (Noémie Merlant), issue d'un couple mixte, père algérien (Zinedine Soualem, très convaincant) et mère française, Catherine (lumineuse Sandrine Bonnaire), et Mélanie Thenot (Naomi Amarger), dont la mère Sylvie (Clotilde Coureau, émouvante) est divorcée, s'inscrivent toutes deux dans un parcours d'embrigadement djihadiste saisi à des moments différents de leur état psychologique. Le personnage de Sonia, 17 ans, très tôt radicalisé, est sur le point de commettre un attentat quand elle voit la police débarquer dans sa chambre. Le deal alors passé avec les autorités lui évitera un centre fermé, à charge pour les parents de la surveiller et de pointer régulièrement au commissariat. Pour Mélanie, dont on comprend, dès le début, qu'elle a rejoint Daech en Syrie, on revoit le parcours qui a été le sien. Elle tombe entre les mains d'un rabatteur qui devient «son prince» et va la détourner de la vie de jeune fille lambda, qui a pour hobby le violoncelle. Elle va donc se convertir et troquer son instrument de musique contre un jilbab intégral. Et comme souvent dans la réalité, la manipulation passe essentiellement par internet. Son «prince» elle ne le rencontrera jamais physiquement. En effet, ce dernier, à la technique de manipulation éprouvée, va jouer sur la vulnérabilité de la jeune adolescente en plein questionnement métaphysique sur le sens de la vie et ne disposant d'aucun repère établi ni assez d'expérience existentielle pour comprendre le mécanisme machiavélique auquel elle succombe. Car, nous dit la réalisatrice : «Des enfants qui ont été entourés, choyés, mais qui vivent en même temps dans une société qui a beaucoup de mal à faire de la place à la jeunesse et à leurs rêves. Quelles sont les utopies qui nous meuvent aujourd'hui ? A quoi peut-on encore adhérer ?» La cinéaste Marie-Castille Mention-Schaar a parfaitement saisi les failles de ces adolescentes qui ont soif de pureté et d'absolu, ardemment en quête d'un idéal où se réaliser et se projeter. Elle ajoute ainsi : «Elles sont sincères quand elles tombent amoureuses de cet ‘idéal' d'amour. Celui où on les met sur un piédestal. Un amour ‘pur', un amour ‘vierge'». Et, dès lors, ces filles, prisonnières d'un traquenard enraciné dans leur tête, se retrouvent totalement dépourvues de libre arbitre, leur conscience individuelle diluée dans un délire communautaire qui occulte leur famille au profit de la «confrérie des sœurs» avec lesquelles elles sont embarquées dans un projet commun plus fort que leur propre réalité. Ce qui fait la véracité du récit, c'est qu'il ne cache rien du processus de «désembrigadement», souvent présenté dans des desseins politiciens. Or, dans la réalité, celui-ci n'est jamais linéaire. Il est fait d'allers-retours entre exaltation et dépression, lucidité et obscurantisme, rémission et reprise du mal. Donnant de sa personne, Dounia Bouzar joue ici son propre rôle et sa connaissance pointue de l'islam et de ses prescriptions apparaît comme le seul barrage efficace pour ramener ces gamines sur le chemin d'une foi qu'elles n'ont connue que dévoyée, désincarnée et instrumentalisée. Pour la cinéaste, «le film parle de ce moment tellement fragile qu'est l'adolescence, où l'on a soif de pureté et d'engagement et où l'on passe si violemment d'un extrême à l'autre (…) On est contre les profs, les parents, contre ce qui représente l'autorité. On conteste l'organisation de la société et sa fondamentale injustice !» Comme disait un adage soixante-huitard, être contre tout ce qui est pour… Et l'on comprend mieux pourquoi les rabatteurs de l'immense entreprise djihadiste ont fait des adolescentes leur cible principale. Pour sa fiction, Marie-Castille a su opter pour une construction et une dramaturgie très pertinentes, chacun des deux parcours étant «raconté à l'envers», ce qui accroît le phénomène de compréhension pour le spectateur. Nul doute que Le Ciel attendra deviendra une œuvre de référence dans la mesure où elle met à mal nombre de clichés. Les deux protagonistes sont des converties françaises qui ne viennent pas des cités. Elles appartiennent à la couche moyenne. Rappelons que, dans la réalité, 50% des jeunes filles embrigadées sont issues de la France profonde, d'autant qu'internet, instrument du pire et du meilleur, est aujourd'hui partout.