Si certains élus semblent optimistes, d'autres affirment qu'«on ne peut mettre la charrue avant les bœufs» et demandent d'abord le renforcement de leurs prérogatives et attributions. «La crise a été provoquée par l'inefficacité des choix économiques du gouvernement, mais maintenant que les choses se sont compliquées, on tente d'endosser la responsabilité aux présidents d'APC qui sont au bas de l'échelle dans la hiérarchie de l'Etat», souligne Amar Brara, président de l'APC de Timezrit, une commune rurale sise à l'extrême sud-est de Boumerdès. Selon lui, la nouvelle orientation du gouvernement est à saluer certes, mais elle doit être accompagnée de réformes en profondeur, à commencer par la mise en place d'un nouveau cadre juridique permettant un bon fonctionnement des services déconcentrés de l'Etat et une meilleure prise en charge des préoccupations des citoyens. Dépourvue de ressources, la commune de Timezrit vit grâce aux subventions qui lui sont octroyées par l'administration centrale. «L'année dernière, nos recettes étaient évaluées à 5 millions de dinars. Elles proviennent essentiellement de la taxe d'activité professionnelle», a-t-il indiqué, ajoutant que les taxes foncière, d'assainissement, d'habitation et de l'environnement n'ont jamais été recouvrées par les services municipaux. Les APC sans autorité de dissuasion Pourquoi ? M. Brara cite, à titre d'exemple, que les foyers de la commune ne sont pas dotés de compteurs d'eau par l'ADE. «On sait très bien que la taxe d'assainissement est incluse dans la facture d'eau. Si les foyers de ma localité sont dotés de compteurs, l'APC sera gagnante dans l'affaire», a-t-il expliqué, précisant que même le trésorier intercommunal n'a pas suffisamment de moyens et de pouvoirs pour recouvrer les taxes. M. Brara parle aussi des difficultés pour lutter contre l'informel. «Sans la création d'une police communale, pourtant prévue dans le cadre du code communal, on ne pourra rien faire. Le jour du marché hebdomadaire, les commerçants étalent leurs marchandises devant le siège de l'APC et la polyclinique, et personne ne peut les inquiéter ou leur demander de payer les droits de place, car la municipalité ne compte aucune structure de sécurité. Comment voulez-vous obliger les citoyens à payer la taxe de pollution quand on n'a pas d'autorité de dissuasion ?» se demande-t-il, reprochant au gouvernement de vouloir décentraliser la responsabilité, mais pas le pouvoir et les moyens permettant le bon fonctionnement de la commune. Contrairement à leurs collègues de Timezrit, certains élus de la commune de Boumerdès avouent que ce n'est pas l'argent qui leur manque. «Nos recettes dépassent 500 millions de dinars par an. Mais ce montant n'est rien par rapport aux biens dont dispose la commune», dira le président de la commission financière à l'APC, M. Hamoud, avant de dénoncer les lourdeurs bureaucratiques et autres entraves rencontrées pour identifier les biens de la commune. Éliminer les entraves bureaucratiques Intervenant dans ce sens, un autre élu de l'Assemblée souligne que même l'instruction n°096 envoyée en mars dernier aux administrations locales par le ministère de l'Intérieur «afin de renflouer les caisses des communes à travers la valorisation des ressources patrimoniales et leur exploitation» n'a pas été suffisamment vulgarisée. En effet, rares sont les municipalités qui ont commencé à recenser leurs biens afin d'augmenter leurs recettes. Beaucoup de services semblent ignorer l'existence de cette instruction qui recommande aux élus locaux de «jouer un rôle actif et plus dynamique dans la recherche constante des produits fiscaux domaniaux et leur recouvrement effectif». «On a trouvé d'énormes difficultés pour recenser nos biens. Parfois, on a été obligé d'aller à l'agence foncière et les services des Domaines pour pouvoir les identifier, mais ces derniers ne jouent pas leur rôle, bien qu'ils connaissent notre patrimoine mieux que nous. Leurs services mettent parfois des années pour régulariser la situation de biens de la commune», déplore-t-il. A défaut de faciliter la tâche des élus, ils exigent des actes de propriété même pour les projets réalisés par l'Etat, tels que les marchés couverts et les crèches, pour permettre à l'APC de le céder par adjudication. L'administration oblige aussi les APC à céder les foires par adjudication, alors qu'il y a un décret qui autorise de le faire de gré à gré. Un ex-président de l'APC de Souk El Had rappelle que «la première ressource des communes est le foncier, or celui-ci est géré par les agences foncières qui parfois vendent des parcelles sans rien donner au propriétaire». «La loi autorise les APC à réaliser des investissements et à contracter des crédits bancaires, mais les banques leur exigent des garanties. Et leur seule garantie est le foncier», explique-t-il. A Timezrit et dans d'autres communes rurales, la priorité des élus est toute autre. Le président de l'APC se plaint du blocage de nombreux projets de développement à cause des opposions de propriétaires terriens, citant le programme des 150 logements, la maison de jeunes, le CFPA, la salle de sports et la bibliothèque. Tous ces projets ne sont pas entamés en raison du manque de foncier et l'absence de l'autorité de l'Etat, la localité n'étant dotée d'aucune structure des services de sécurité. Redéfinir les missions du CF et du TI M. Brara suggère aussi l'affectation d'un représentant de chaque secteur au niveau de la commune pour éviter les retards et les surcoûts dans la concrétisation des projets de développement. Selon lui, les président d'APC sont à la merci des subdivisionnaires des directions de wilaya. «Les services de la commune doivent tous être sous l'autorité du maire, sauf celui de la justice», a-t-il suggéré avant de dénoncer le diktat des contrôleurs financiers (CF) et le non-respect de la souveraineté de l'Assemblée. «Le CF est devenu un véritable élément de blocage. Il est censé contrôler ce qui relève de la finance, mais il s'immisce dans le travail des élus en rejetant des dossiers parfois pour des motifs infondés», a-t-il regretté. Un avis partagé par le vice-président de l'APC de Naciria, M. Oubraham. Selon lui, les CF mettent généralement plus de deux mois pour viser une consultation ou un marché, liant ce problème à la charge de travail et le manque d'effectifs. Certains, ajoute-t-il, couvrent une dizaine de communes et traitent même les dossiers liés au budget des hôpitaux et des CFPA de «leur» région. Idem pour les trésoriers intercommunaux (IT) qui, selon nombre d'élus, n'assurent pas leur mission convenablement. «Eux aussi n'ont pas de moyens et travaillent dans des conditions pénibles. Certains couvrent jusqu'à six communes et n'ont pas de pouvoir de dissuasion. Ils travaillent avec des fichiers très anciens, car rarement actualisés par les Assemblées. La plupart se contentent d'envoyer les courriers pour recueillir l'impôt, mais ils ne peuvent rien décider contre ceux qui ne payent pas. Ensuite, ils ne remettent jamais la liste des noms de ces derniers aux APC. C'est pourquoi on retrouve, par exemple, des entreprises et des commerçants qui n'ont jamais payé la taxe d'ordure», relate un ex-président de l'APC de Souk El Had. Faire confiance aux élus Autre problème, M. Brara trouve anormal d'accorder des subventions aux communes sous forme de projets. «Ce n'est pas au wali de nous imposer ce qu'on réalisera dans notre localité. Cela signifie qu'il ne nous fait pas confiance. Les subventions de wilaya ou autre doivent normalement nous être attribuées sous forme d'enveloppes financières et c'est à l'Assemblée de décider où la dépenser en respectant l'ordre des priorités. Le contrôle peut se faire a posteriori par les organismes habilités», a-t-il plaidé. Il y a quelques mois, l'APC s'est vue confier la mission de délivrer les passeports biométriques, la CNI, la carte grise, le permis de conduire mais ces missions n'ont pas été accompagnées de moyens humains. «Le Premier ministre nous a interdit de recruter ou de permaniser ceux qui travaillent dans le cadre du pré-emploi. Je me demande comment on va faire fonctionner les services communaux ?» s'interroge-t-il. Même s'ils divergent sur le détail, les élus interrogés sur la nouvelle approche du gouvernement s'accordent tous à dire que l'Etat doit mettre à leur disposition les instruments juridiques adéquats qui leur faciliteraient la tâche de mobilisation des ressources à même d'amortir la crise que traverse le pays.