Les travaux de réhabilitation des immeubles dans la capitale ont concerné jusqu'ici les édifices qui se trouvent sur les artères principales et les grands boulevards. En pénétrant dans les quartiers situés au cœur d'Alger-Centre, le visiteur est surpris par l'état de dégradation et de vétusté des bâtiments qui constituent l'essentiel de la cité. A partir de l'avenue Pasteur, dont les immeubles ont été majoritairement restaurés, toutes les ruelles perpendiculaires qui aboutissent à la rue Dr Saadane ont été délaissées, du moins mises en attente. Cela renseigne sur la démarche des pouvoirs publics dont la consistance se limite à prendre en charge seulement «ce qui saute au yeux», le reste constitue l'envers du décor. Il est donc relégué au second plan. En dépassant cette apparence de façade, on est devant des immeubles tellement délabrés que l'on se demande par quel miracle peuvent-ils tenir encore debout, notamment les ruees du 19 Mai 1956, Ghar Djabilet et Rachid Tidjani. En traversant le boulevard Dr Saadane, dont les immeubles font face au siège du gouvernement, on entame la rue Jugurtha qui serpente jusqu'au Télemly. Cette fraction de la ville, qui a subi les aléas du temps, s'apparente à un ghetto. Le visiteur est emporté dans une perception autre. Les odeurs, les sensations et même les bruits changent. L'air est rempli d'humidité, une exhalaison de renfermé envahit l'espace. Les immeubles qui se juxtaposent dans un alignement parfait arborent des allures de bidonvilles suspendus, tant la vétusté a gagné les moindres parties de ces édifices dont la construction remonte à l'époque coloniale. Les balcons ont perdu des fragments entiers, ce qui en reste pend dangereusement sur la tête des passants, telle une épée de Damoclès. «Il ne se passe pas un hiver sans qu'un balcon ne cède sous l'effet des eaux pluviales», confie un habitant de la rue. En montant vers le boulevard Krim Belkacem, les immeubles de style haussmanien laissent progressivement place à d'autres plus modernes, particulièrement dans les rues Lyes Amar et Lamara Lambarek qui surplombent le siège du gouvernement. On est frappés par le contraste dont les limites se dessinent par les contours d'immeubles institutionnels abritant Sonelgaz et Algérie Télécom. A la rue Lamara Lambarek, il suffit de se mettre en surélévation sur un trottoir pour apercevoir la beauté exaltante du siège du gouvernement. Dès que l'attention se relâche, on retourne dans le microcosme singulier que forment ces ruelles. Pour descendre au boulevard Dr Saadane, des escaliers aussi vétustes et insalubres que les bâtiments y conduisent. «Si ces escaliers continuent à être fonctionnel, c'est du ressort du miracle, car à la moindre chute de pluie, les riverains que nous sommes s'attendent au pire. D'ailleurs, comme vous pouvez le voir, de petits glissements de terre sont visibles», assure un habitant de l'immeuble n° 26. Des immeubles sans entretien depuis 30 ans A l'intérieur des immeubles, les cages d'escalier, sombres et insalubres, amorcent un parcours sinueux et improbable. Pour atteindre les appartements des étages supérieurs, il faut nécessairement franchir ces escaliers accrochés aléatoirement aux murs, d'où pendent des fils électriques et la toile d'araignée. Ce qui reste d'un ascenseur dissimule un enchevêtrement de ferraille rouillée. «Cela fait 30 ans que cet ascenseur est en panne. On nous a toujours promis de le réparer, mais la concrétisation n'est pas pour demain. Maintenant on n'ose plus demander une chose pareille, cet ascenseur est irrécupérable», assure un habitant du bâtiment 24. Toutes les cages d'escalier sont délabrées, aucun immeuble n'a échappé à ce triste sort. «Alger est une ville à l'architecture typiquement coloniale. Après l'indépendance, nous n'avons pas su la préserver. Par manque d'entretien, les immeubles ont subi des dommages souvent irréversibles», explique un habitant de l'immeuble n° 26 situé en bordure des escaliers qui font jonction entre la rue Jugurtha et la rue Lamara Mabarek. Outre la vétusté des bâtiments, l'insalubrité et le manque d'hygiène font partie intégrante de l'environnement dans lequel évoluent les habitants. «La collectivité locale ne fait pas son travail. Le ramassage des déchets ménagers semble représenter une tâche difficile, que dire alors des autres missions plus importantes», affirme un résidant. Et de poursuivre : «Notre cadre de vie est complètement altéré, alors que nous habitons le cœur de la capitale. C'est dommage ! Même les trottoirs n'ont pas été refaits depuis 30 ans dans certaines ruelles.» Alger est une ville très belle avec son architecture haussmanienne, il est du devoir des pouvoirs publics de trouver les meilleurs mécanismes pour la sauvegarder. «Ce n'est pas au citoyen de prendre en charge une ville comme Alger. Le citoyen est seulement un élément de cette prise en charge. Les pouvoirs publics sont défaillants sur tous les plans. Ils sont incapables de gérer quoique ce soit», concluent nos interlocuteurs.