Entre le Collectif de défense de la mémoire de Lounès Matoub et sa veuve Nadia qui dénoncent les tentatives de l'Etat de récupérer et pervertir sa mémoire et son combat, et sa sœur Malika qui dit être abandonnée toute seule dans ce grand chantier, l'affaire n'est pas close. Entre le musée dédié à la mémoire de Lounès qui devait être financé par l'Etat et le film sur le Rebelle qui a été interdit par le ministre de la Culture au réalisateur Bachir Derrais, la «guerre» vient juste de commencer. Que deviendront la mémoire et le patrimoine de Lounès Matoub après l'intérêt soudain qui lui est porté par le pouvoir, auquel lui-même s'est opposé toute sa vie ? Retour sur ce dossier avec les membres du Collectif pour la défense de la mémoire de Lounès Matoub dont on a célébré hier le 63e anniversaire de sa naissance, sa veuve, Nadia Matoub, et sa sœur Malika. A l'issue du sommet mondial des défenseurs des droits humains, qui s'est tenu du 29 octobre au 1er novembre derniers en France, auquel plus de 150 défenseurs dans le monde ont assisté avec la présence de toutes les organisations mondiales de défense des droits humains, un rassemblement symbolique a été organisé sur la place des luttes, le Trocadéro, à Paris, face à la Tour Eiffel, en hommage à toutes les personnalités du monde qui ont marqué l'humanité par leur combat pacifique et par la teneur de leurs valeurs universelles. Parmi celles choisies aux côtés de Mandela, de Martin Luther King ou de la nouvelle génération représentée par la jeune défunte élue brésilienne, Marielle Franco, assassinée en mars dernier à Rio de Janeiro et dont le portrait était brandi par sa petite sœur présente sur place, celui de Lounès Matoub était bel et bien présent parmi les grands. Reconnu parmi les personnalités qui ont marqué le monde, Lounès Matoub devient non seulement la fierté des Nord-Africains, mais celui de l'Afrique toute entière et des gens qui s'inspirent de son combat. Au moment où le monde lui reconnaît ces qualités, en Algérie on en est encore au stade du débat autour de son patrimoine et sa mémoire, sans protection aucune et devient en plus matière à toutes les récupérations, notamment de la part de l'Etat et du pouvoir. Ce dernier ne laisse passer aucune occasion pour atteindre cet objectif, lui qui n'a pas réussi à le faire du vivant de l'indomptable. Comme preuve à ce sujet, le film sur Lounès Matoub que devait réaliser Bachir Derrais, dont la sortie du film sur Larbi Ben M'hidi est toujours suspendue par les deux ministères, celui des Moudjahidine et celui de la Culture, a été «officiellement bloqué par ce dernier». Dans une lettre adressée au réalisateur en novembre dernier, le ministère de la Culture a informé Bachir Derrais que «sa demande d'effectuer des repérages sur les lieux qui devaient abriter le tournage lui a été refusée suite à ‘‘l'opposition'' de la famille du Rebelle, chose que nient et sa sœur Malika et sa veuve Nadia» (lire interview de Bachir Derrais, ndlr). «Scandalisés» par tout ce qui se passe autour de la mémoire et du patrimoine de Lounès Matoub, depuis notamment la dernière et vingtième commémoration de son assassinat et par ce qu'ils qualifient de «tentatives de l'Etat d'instrumentaliser la mémoire du Rebelle», des dizaines d'artistes, d'universitaires, de documentaristes et d'activistes associatifs et politiques vivant dans l'Hexagone ont créé un Collectif de défense de sa mémoire pour dénoncer ce qu'ils estiment être «la volonté de l'Etat de pervertir son combat». Né le 24 novembre dernier à la suite d'une réunion tenue à Paris, le Collectif pour la défense de la mémoire de Lounès Matoub, qui souhaite avoir de l'écho en Kabylie, crie au scandale et rappelle que «la mémoire de Lounès Matoub appartient, avant tout, au peuple kabyle et amazigh». Pour les initiateurs, il n'y a pas que l'histoire du film non autorisé par le ministère de la Culture qui fait tache d'huile, il y a aussi des affaires plus graves. «Nous dénonçons l'attitude de l'Etat algérien après que ce dernier a osé annoncer le financement du projet de musée dédié à Lounès Matoub à Taourirt Moussa, en Kabylie, lequel musée intégrerait la maison de celui qui, toute sa vie durant, a combattu ce pouvoir qui n'a jamais caché son racisme et son anti-amazighité», explique le collectif dans sa première déclaration, rendue publique le 19 septembre dernier. Contrôle Sous un ciel gris et quelques gouttes de pluie parisienne en cette période de fin d'année et d'un hiver qui s'annonce glacial, le collectif a organisé à la mi-décembre dernier sa quatrième réunion dans un café parisien du 11e arrondissement. Une cinquantaine de personnes y ont assisté. Parmi lesquelles on pouvait reconnaître l'écrivain et ancien journaliste Youcef Zirem, des activistes toutes tendances confondues et le président de l'association Tamazgha, Masin Ferkal, qui est l'un des principaux initiateurs du collectif. L'ambiance était tendue. Il faut dire que le sujet est complexe, car il s'agit là de la mémoire et du patrimoine culturel et matériel du rebelle Lounès Matoub. Dans leur majorité, les présents étaient intrigués et en colère. Ils ne comprenaient pas comment les choses en sont arrivées à ce stade. Sur l'affiche de l'appel à cette réunion, on pouvait lire ce message adressé par les participants au Rebelle : «Nous ne laisserons jamais tes ennemis venir souiller ta mémoire ni pervertir ton combat.» Sans trop tarder, le premier intervenant est entré dans le vif du sujet et a dénoncé «le comportement de la sœur de Lounès, Malika Matoub, qui, selon lui, a ouvert les portes de la maison Matoub à n'importe qui, notamment aux représentants du pouvoir qui l'a assassiné en 1998 et qui a tiré à balles réelles sur lui en 1988». Les organisateurs, dont Masin Ferkal, ont tenté de le rappeler à l'ordre, en lui expliquant qu'«il ne s'agit pas là d'accuser les membres de la famille Matoub mais de parler des manœuvres de l'Etat algérien qui tente par tous ses moyens de prendre le contrôle sur la mémoire de Lounès». Mais l'intervenant, lui, a refusé d'abdiquer et a demandé aux organisateurs de respecter son droit à donner son avis, ce qui a été soutenu par une partie des présents. «Il faut situer les responsabilités et dire la vérité. Il est inacceptable de voir les représentants d'un Etat qui a tué Lounès s'asseoir avec arrogance dans son salon, notamment à l'occasion du 20e anniversaire de son assassinat. Comment a-t-on pu laisser entrer le ministre de la Culture, le wali de Tizi Ouzou et le patron du FCE, Ali Haddad, dans la demeure de Lounès Matoub ? C'est inadmissible. S'ils ont réussi ce coup, c'est grâce à Malika qui leur a donné cette occasion en or. Sinon, ils n'auraient jamais pu y parvenir et ils le savent très bien. Et puis, cette histoire du musée que Bouteflika veut financer à la demande de la fondation et de Malika Matoub ! Ils ont quand même eu le culot de le faire ! Les Kabyles et les Amaizghs sont-ils aussi insensibles à ce point ? Nous ne devons pas rester les bras croisés», s'est-il emporté. Et d'ajouter : «Nous avons même vu des religieux chanter chez lui la veille de la dernière commémoration. Nous sommes choqués et scandalisés par ce comportement indigne qui n'est pas du tout à l'image de Lounès. Malika Matoub doit s'expliquer et doit prendre ses responsabilités.» Honorer En effet, après l'annonce du ministre de la Culture sur son compte Twitter, une dépêche de l'APS, publiée le 20 août dernier, est venue confirmer l'information. La demande de financement et du soutien pour la réalisation d'un musée dédié au patrimoine culturel et artistique de Lounès Matoub, dans son village natal à Taourirt Moussa, émise par la fondation Matoub Lounès, présidée par sa sœur Malika Matoub, a été approuvée par Abdelaziz Bouteflika. Ce projet sera désormais financé par «la présidence de la République», ce qui a suscité l'indignation et des réactions hostiles envers la sœur du Rebelle et du projet lui-même. La veuve de Lounès Matoub, Nadia, n'a pas tardé à s'exprimer publiquement sur l'affaire. Dans un communiqué rendu public le 9 septembre dernier, elle a déclaré être «catégoriquement contre l'idée d'un musée financé par le pouvoir algérien». Elle affirme même avoir «déposé plainte pour avoir sa part de l'héritage afin d'empêcher l'Etat de récupérer les biens du Rebelle et les mettre dans ce musée qu'il compte financer». «Je tiens à informer l'opinion publique de ma ferme opposition à ce projet qui aura comme conséquence de dénaturer les biens matériels de Lounès Matoub. Le projet, tel qu'il est annoncé par les autorités algériennes, prévoit même d'intégrer la maison familiale dans l'édifice du musée. Sa demeure qui abrite ses souvenirs les plus précieux, à l'exemple de ses instruments de musique et des prix qui lui ont été décernés, doit rester telle qu'il l'a laissée, à savoir le reflet de sa vie et de son parcours. Je refuse que la mémoire de Lounès soit souillée et que son combat soit perverti et instrumentalisé», a déclaré sa veuve Nadia. Rencontrée à Paris au mois de décembre dernier, cette dernière affirme qu'«un Etat qui n'a pas fait la lumière sur l'assassinat de Matoub Lounès ne peut prétendre vouloir honorer sa mémoire». «Je considère ce projet comme une atteinte gravissime à sa mémoire, comme ce fut aussi le classement de la maison de Lounès comme patrimoine national algérien qui a été suspendu l'année dernière. Il y a un acharnement contre sa mémoire. L'Etat, qui a refusé de lui reconnaître le statut de victime et de reconnaître sa responsabilité dans ce qui s'est passé, lorsque les gendarmes, qui ont tenté de le tuer, ont tiré à balles réelles sur lui en 1988, veut honorer quoi en Lounès ?» s'interroge-t-elle. Et d'ajouter : «On sait que les gendarmes qui l'ont criblé de balles n'ont jamais été inquiétés. Et je ne parle même pas de la justice algérienne qui n'a pas encore fait la lumière sur son assassinat ! Qu'ils m'expliquent une chose ! Que veulent-ils honorer exactement en Lounès ? Le chanteur et le poète libre ? Si c'est sa liberté d'expression pour laquelle il s'est battu que le pouvoir veut honorer, pourquoi alors se comporte-t-il comme il le fait actuellement vis-à-vis du blogueur Merzouk Touati et de ceux qui se battent pour leurs idées ? L'Etat algérien veut s'immiscer dans la mémoire de Lounès. Pire, il veut la contrôler.» Terrain La mère de Lounès, Nna Aldjia, est malade, comme nous l'a affirmé par téléphone Malika Matoub. Elle est hospitalisée en France auprès de sa fille. Une rumeur sur sa mort a même circulé sur les réseaux sociaux. Mais elle été vite démentie par la famille. Difficile, donc, pour Malika de se déplacer en ces temps difficiles pour ce qui lui reste de l'odeur de son frère rebelle. Interrogée sur l'histoire du musée, Malika dit être «étonnée de l'ampleur de la diffamation et du manque d'informations des membres de ce collectif qui la critiquent». «D'abord, qui sont ces gens-là ? Et où étaient-ils quand nous avions besoin d'eux pour préserver la mémoire et le patrimoine de Lounès ? Seule ma belle-sœur Nadia a le droit de se poser des questions. Les autres n'en ont aucun !», fustige-t-elle. Ce n'est pas tout, car lors de notre entretien, Malika a tenu à remettre les pendules à l'heure, notamment sur le contenu du projet du musée. «Qu'ils sachent une bonne fois pour toutes qu'il ne s'agit pas d'intégrer la maison de Lounès dans ce projet de musée. Cette dernière restera une demeure familiale pour tous les ayants droit. L'idée, c'était de réaliser un musée privé, mais pour ce faire, j'avais, ainsi que la fondation, besoin d'un terrain. J'ai juste émis une demande pour que l'Etat accepte d'octroyer l'assiette de terrain sur lequel se trouvent des classes adjacentes à notre maison. Nous ne voulons même pas que ce projet soit celui de la direction de la culture. Il sera celui de la fondation Matoub Lounès si tout se passe comme on l'a prévu. Quant aux financements dont tout le monde parle, nous ne sommes même pas arrivés à cela. Donc, que les gens arrêtent de spéculer sur des choses qu'ils ignorent», insiste Malika. Et d'ajouter : «J'ai frappé à toutes les portes kabyles, en vain. J'ai attendu longtemps, sans que personne ne bouge le petit doigt. Basta ! Je n'avais même pas de quoi payer le siège de l'association qui abritait une partie des archives de mon frère à Montreuil. J'ai dû fermer les portes et chercher un autre endroit pour les cacher. Où étaient ces gens-là qui me critiquent aujourd'hui ? Et puis, ils doivent savoir que pour préserver les vêtements de Lounès, sa demeure, ses écrits, ses instruments et son environnement, c'est tout un travail qui demande à la fois des fonds et du temps à consacrer. J'étais toute seule à le faire. Pourquoi personne n'est venu me demander si j'avais besoin de quelque chose ? Ou c'est plus facile de taper sur Malika ! Il ne reste que les femmes, et si vous voulez savoir, nous avons cédé, ma mère et moi, nos parts de l'héritage à la fondation pour que personne ne les oriente ou ne les revendique à l'avenir. Sinon, pourquoi personne de ce collectif ne m'a invitée à assister à ces réunions pour donner mon avis et répondre à leurs interrogations puisqu'il s'agit de Lounès et de moi ? Qu'on me donne la parole et on verra s'ils continueront à ouvrir leur bouche ou pas !» ONDA La question du financement du musée a irrité Malika qui dit en avoir «marre des gens qui la critiquent mais qui ne vont pas dans le concret des choses». Sauf que le sujet n'est pas clos. Une question revient souvent dans la bouche des gens intéressés par ce dossier. Ces derniers n'arrivent toujours pas à assimiler, malgré la situation expliquée par Malika, un financement venu du pouvoir et avec l'approbation de Bouteflika. Selon eux, cette situation reste inexpliquée pour les nombreux Kabyles qui le suivent, qui connaissent son combat et qui l'idolâtrent ? Malika répond à ce sujet : «La situation a tellement tardé et les choses ont été tellement abandonnées que j'ai fini par prendre la première main qui m'a été tendue. Je ne peux plus attendre», confie-t-elle. Et d'ajouter : «Il faut savoir que Matoub, qui s'est inscrit à l'Office national des droits d'auteur et des droits voisins (ONDA) depuis 1978, ouvre droit au financement de l'Etat. Mais je suis prête à y renoncer, mais à une seule condition : que les Kabyles et les gens qui critiquent ma démarche décident de prendre en charge le projet. Le patrimoine et la mémoire de Matoub ne peuvent plus attendre. J'ai engagé un bureau d'étude pour l'analyse du projet. J'ai des architectes qui travaillent avec moi et qui sont prêts à rencontrer les gens. Qu'on ouvre un compte bancaire et qu'on décide tous d'y participer s'ils ne veulent réellement pas que les financements viennent d'ailleurs. Sinon, parler pour parler, j'en ai eu assez. J'ai arrêté d'écouter ce son de cloche.» Alors que des sujets plus importants restent en suspens, comme c'est le cas du dossier sur la vérité sur l'assassinat de Lounès, en Algérie certains passent leur temps à amuser la galerie en faisant tout pour prouver que le Rebelle était bel et bien «musulman» avant sa mort, le cas de l'ex-parlementaire de Béjaïa, Ferrad Mohand Arezki, qui prêche même l'écriture de tamazight en lettres arabes. Ce dernier a été foudroyé par les critiques des membres du collectif. Dans une déclaration pour El Watan Week-end, à l'issue de la dernière réunion du collectif Masin Ferkal, qui qualifie Ferrad de «panarabiste au service de l'islamisme et de l'arabisation de l'Algérie», dénonce : «Les gens qui touchent à la mémoire de Lounès et de ce qu'il a été sont contre ses idéaux et contre son combat, notamment pour l'amazighité. Ces gens ont intérêt plutôt à se taire. Matoub, nous l'aimons avec tout ce qu'il était. Il est notre symbole à toutes et à tous.» Malika avoue que dans la réalité, Matoub n'«est pas aussi considéré par les professionnels comme beaucoup d'entre eux le prétendent». Elle affirme que «peu de ces derniers paient, malheureusement, ses droits d'auteur». Elle a évoqué plusieurs maisons d'édition kabyles qui ne «déclarent pas les quantités exactes de ses CDs vendus» ou les chaînes télé basées en Algérie comme à l'étranger, comme le cas, selon elle, de BRTV qui «diffuse ses chansons sans payer, au même titre que d'autres artistes aujourd'hui vivants les droits d'auteur exacts de Lounès Matoub», auprès de l'ONDA ou à d'autres organismes similaires, notamment en France. «Cet argent des droits d'auteur m'aurait beaucoup aidée pour mener à bien certains travaux de la préservation de la mémoire ou de la protection du patrimoine de Lounès», s'indigne-t-elle. Travaux L'autre sujet qui a été évoqué dans les différentes réunions que les participants ont tenu à dénoncer, c'est celui des travaux entrepris par Malika dans la demeure de Lounès. Nadia dit même avoir «introduit une affaire en justice dans laquelle elle a demandé l'arrêt de ce qu'elle qualifie de massacre de l'environnement qu'a laissé Matoub». Tout en faisant endosser la responsabilité au pouvoir algérien, Nadia, qui refuse d'accuser en quoi que ce soit sa belle-sœur Malika, dénonce : «L'environnement de Lounès a été transformé. C'est le sien et c'est lui-même qui l'a créé. Les gens qui voudront se recueillir sur les lieux où il a vécu aimeraient bien retrouver son environnement. Pourquoi vouloir le transformer ?» s'interroge Nadia. Sur ce point là encore, Malika a donné ses justificatifs et a expliqué, selon ses déclarations, que les travaux effectués étaient «nécessaires plus de vingt ans de l'assassinat de Matoub». Malika songe même à «organiser à l'avenir des portes ouvertes au public afin de permettre aux amoureux du Rebelle de visiter sa demeure», annonce-t-elle pour El Watan Week-end. «De quoi se mêlent-ils si je décide de changer la dalle de sol de ma maison ? C'est chez moi et chez mes parents. Les gens qui me critiquent, notamment ceux du collectif, disent qu'il y a des modifications et il semble qu'ils ont même des preuves. Mais c'est quoi ça encore ! Cela fait 20 ans que Lounès est mort. Il a commencé à construire cette maison en 1984. Il y a du ravalement à faire. Les poutres qui tiennent le toit ont failli tomber avec l'érosion. Dois-je les refaire ou laisser la maison s'écrouler ? Nous avons des infiltrations d'eau un peu partout dans la maison. J'ai même perdu un instrument de Lounès à cause de cela. Mon frère a laissé une chaudière qui date de 1992 et qui risque d'exploser. Il a fallu refaire toute la tuyauterie. Même Sonelgaz m'a obligée de la refaire pour alimenter la maison en gaz de ville. J'ai refait la dalle de sol de la cuisine et celle de la salle à manger car elles étaient cabossées avec le temps et sous l'effet de la chaleur. Ils veulent quoi, que je laisse la maison tomber en ruine ?» se demande-t-elle. Et d'ajouter : «J'ai voulu classer la maison comme patrimoine national comme cela m'a été suggéré par l'Unesco afin que ledir patrimoine devienne mondial par la suite, mais beaucoup se sont opposés au projet. Malheureusement, ce n'est que de cette manière que l'on pourra avoir la prise en charge nécessaire pour pouvoir remplacer une chose par une autre similaire. Moi, je n'ai pas les moyens ni les capacités de retrouver exactement les mêmes meubles et les mêmes matériaux d'il y a 20 ans. Je ne peux pas m'occuper de cela», explique Malika. Liberté Visiblement, il n'y a pas encore d'issue à cette histoire de préservation du patrimoine et on est loin d'avoir les mécanismes qui permettront de sauvegarder la mémoire de Lounès. Nadia et le collectif refusent l'implication du pouvoir dans ce projet et qualifient ces tentatives de «perversion et d'instrumentalisation du combat de Lounès». De son côté, Malika dit être dans l'incapacité à elle seule de faire ce boulot, raison pour laquelle, explique-t-elle, elle a fini par accepter un financement de l'Etat afin de sauver ce qui peut être sauvé de ce qu'a laissé Lounès. Mais qui va le faire demain ? Le peuple ou le pouvoir ? A propos du film de Bachir Derrais sur Lounès Matoub et l'alibi de l'opposition avancé par le ministre de la Culture pour justifier son refus à la demande du réalisateur, Malika Matoub dit «ne s'être jamais opposée au projet». «J'ai juste émis des réserves au ministre de la Culture, notamment sur le sujet du scénario. Il a été convenu que s'il s'agit d'un biopic, Bachir Derrais devait nous envoyer une copie pour qu'on la lise. Il s'agit de Lounès et on a le droit de regard sur ce qui va être raconté sur sa vie privée. Ce n'est pas une opposition. Sinon, s'il s'agit d'une fiction, à ce moment là Bachir n'aura même pas besoin de nous ni des autres s'il veut réaliser son film», précise Malika. De son côté, Nadia Matoub s'est dite «intriguée par la réponse du ministre». «Je ne sais pas ce qu'il veut dire par famille ! Ou peut-être que je ne fais plus partie de la famille Matoub aux yeux de ce ministère… L'opinion publique doit savoir que je n'étais, à aucun moment, concertée en quoi que ce soit, moi qui suis quand même sa veuve. Cela veut dire une chose, c'est encore une preuve de plus que l'Etat algérien veut s'immiscer dans la mémoire de Lounès. A ce que je sache, Bachir Derrais est un cinéaste ! C'est quelqu'un qui est dans la création et qui veut rendre hommage, à sa façon, à Lounès Matoub. Pourquoi le ministre refuserait-il à quelqu'un de rendre hommage au Rebelle ? Cela veut dire une chose : la mémoire de Lounès est prise en otage».Et à Nadia d'ajouter : «L'Etat ne doit pas minimiser ce que représente Lounès aux yeux du peuple. Il était et il restera une lumière pour eux. Je dirais plus que ça : Matoub reste notre âme à tous. Vous ne pouvez pas enlever Matoub à la Kabylie. Lounès donne la matière pour penser mais il ne donne pas la pensée. Il ne dit pas ce qu'il pense, mais il éveille beaucoup les consciences, dont notre liberté de choisir et notre liberté de penser. C'est quelque chose que vivent même les générations qui n'ont pas connu Lounès. Les gens ne sont pas d'accord avec ces projets. Ils connaissent la portée de tout cela. Il ne faut pas penser que le peuple est dupe. Au contraire, il est conscient de ce qui se passe.»