Près de cinq semaines après le début de l'insurrection citoyenne et pacifique réclamant la rupture avec le système politique en place, la rue demeure la seule véritable locomotive du changement. C'est la dynamique populaire qui pose les jalons pour le dépassement de l'ordre ancien et fixe les repères pour une transition sans faux-semblants ni demi-mesures. Les partis de l'opposition, tout en s'impliquant dans le débat et en formulant leurs propositions, ont compris qu'ils ne pourront totalement se redéployer qu'à l'issue de la phase de transition et la mise en place d'un calendrier électoral. La société a sommeillé pendant des dizaines d'années, mais à présent, elle a quasiment le monopole de la politique. Et l'exclusivité sur le projet de changement. Les initiatives venant du pouvoir ou des institutions les plus emblématiques du pays sont en train de s'affaisser les unes après les autres. Le 11 mars dernier, la Présidence croyait trouver la solution à la crise en annulant l'élection du 28 avril et en promettant une autre à laquelle l'actuel chef de l'Etat, cible initiale de la colère populaire, ne serait pas candidat. L'illusion ne durera que quelques heures et cette proposition émanant de la plus haute autorité du pays sera balayée d'un revers de la main par un jeune homme descendu dans les rues d'Alger, en décrétant devant une caméra de télévision que «tout le système doit partir». Le nouveau Premier ministre désigné ce jour-là ne formera jamais son gouvernement. Avant-hier, c'est le chef d'état-major de l'ANP qui a espéré rompre cet intenable suspense en montrant le chemin pour destituer le Président par l'application de l'article 102 de la Constitution prévoyant l'état d'empêchement, une ancienne revendication phare de l'opposition politique. Là aussi, le flottement ne durera que quelques heures avant de se rendre compte de l'énorme piège que sous-tend la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle, qui n'est rien d'autre qu'une transition-maison, aux antipodes de celle exigée par la rue chaque vendredi et même tous les jours depuis le 22 février dernier. Il n'y a plus guère de parade ni possibilité de fuite en avant face à l'exigence de changement et de rupture radicale, devenue irrépressible, parce que portée par 20 millions de manifestants, soit l'équivalent du corps électoral mobilisé chaque semaine dans toutes les villes d'Algérie. Tout en imposant la perspective d'une transition véritable, en rupture avec le système en place, le mouvement populaire a également pour vocation de mettre en avant les personnalités qui auront à conduire cette phase historique devant préparer l'avènement d'un Etat démocratique. L'ultime illusion est de croire que ce sont des figures du passé, même lorsqu'elles ont porté des luttes antérieures, qui vont incarner les promesses d'avenir pour le pays. La population sortie dans la rue a donné un souffle nouveau pour le destin national, elle pourra aussi présenter de nouveaux visages pour la direction du pays. L'opinion publique a découvert avec fierté que des citoyens, à l'image des magistrats, étaient dans les institutions sans être dans le système et affichent avec conviction et détermination leur attachement au projet de l'Etat de droit.