La proposition de l'armée d'activer l'article 102 de la Constitution codifiant la fin de mission du président de la République pour cause de maladie grave, de démission ou de décès, avait été interprétée par divers milieux comme une tentative du clan présidentiel de reprendre la main par le truchement de l'institution militaire en cogitant un plan de transition rigoureusement contrôlée. Les positions de l'état-major de l'Anp et de son chef, le général de corps d'armée Gaïd Salah, sur l'option du 5e mandat faisant la promotion de la «continuité» en mettant en avant les réalisations enregistrées par le pays sous le règne de Bouteflika et en usant de menaces à peine voilées à l'encontre des anti-5e mandat, accusés de chercher à déstabiliser le pays sont encore dans les esprits des Algériens pour accorder un chèque en blanc au nouveau discours de l'armée assurant ne jamais dévier de ses missions constitutionnelles. Beaucoup avaient pensé que cette solution de l'article 102 suggérée par l'armée ne pouvait pas se faire sans que le Conseil constitutionnel n'ait été consulté et sans que celui-ci n'ait été instruit pour valider l'opération. Le silence du Conseil constitutionnel opposé à l'initiative de l'Anp, deux semaines après la sortie du chef d'état-major, s'inscrit dans l'ordre naturel de la soumission de l'institution et, particulièrement de son président, Tayeb Belaïz. Mais ce qui l'est moins, en revanche, c'est la montée en puissance de l'état-major de l'Anp dans ses nouvelles propositions de sortie de crise en se faisant l'écho des revendications de la rue exigeant l'application de l'article 7 de la Constitution consacrant le principe selon lequel «le peuple est la source de tout pouvoir». Pour bien montrer la bonne volonté de l'institution militaire et sa place aux côtés du peuple dont elle n'a cessé, depuis le début des manifestations, de rappeler la légitimité des revendications et louer sa maturité, le chef d'état-major a même ajouté une dose supplémentaire de constitutionnalité à son argumentaire en invoquant une autre disposition de la Constitution (l'article 8), qui conforte le principe de l'exercice de la souveraineté populaire par le peuple. Ceci, bien que ce package d'articles (102, 7 et 8) que met sur le table Gaïd Salah apparaît non solubles entre eux, notamment le premier avec les deux autres qui impliquent des procédures constitutionnelles différentes pour parvenir à des objectifs forcément antagoniques : la transition conduite par le pouvoir d'un côté, et de l'autre, la rupture avec ce même pouvoir décrié et le système tel que revendiqué par les millions d'Algériens qui investissent la rue depuis plus de 6 semaines. C'est le mariage de la carpe et du lièvre ! Une autre incongruité de la Constitution imposée au peuple algérien pour assouvir des desseins de pouvoir qui apparaissent au grand jour à la faveur de cette crise institutionnelle. Sans doute la démarche du chef d'état-major, qui répète inlassablement à ceux qui accusent l'armée de «déviationniste» par rapport au respect de la Constitution, a-t-elle été inspirée par le souci d'œuvrer à la recherche, sinon d'un compromis politique, du moins d'un pacte moral de nature à aller vers le changement du système réclamé par la rue tout en garantissant un départ ordonné, négocié du pouvoir en place. Les incongruités de la constitution Mais dans toute loi, il y a la lettre et l'esprit autant qu'il y a dans son articulation et sa philosophie des dispositions prééminentes par rapport à d'autres. C'est le cas de l'article 7 de la Constitution qui surdétermine de toute évidence toutes les autres dispositions et qui s'impose comme le premier et le dernier recours dans des situations d'arbitrage, d'exégèse et d'interprétation du contenu des articles de la Loi fondamentale, qui peuvent dans leur application présenter un manque de cohérence voulu ou qui a échappé au législateur. En forçant la cadence, le chef d'état-major prend clairement ses distances par rapport au clan présidentiel, même si l'on ignore les détails opérationnels de son nouveau plan de bataille constitutionnel. Et comment il compte résoudre cette équation à trois chiffres pour trouver des passerelles entre les trois articles de la Constitution sur lesquels il s'appuie pour fonder sa requête visant à «accompagner» les revendications du peuple pour le changement. La médiatisation de la réunion de ce samedi de l'état-major au complet convoqué, sous le sceau de l'urgence, et au cours de laquelle le commandement militaire avait proposé une nouvelle feuille de route actualisée et enrichie par les réponses de la rue, réaffirmées lors de la dernière manifestation de ce vendredi, avait également un autre objectif sous-jacent : celui d'afficher publiquement et officiellement, par le son et l'image, la solidarité du corps de l'état-major à leur chef, Gaïd Salah, de confirmer l'unicité de la position de l'armée et la collégialité de sa décision. C'est une manière de répondre à ceux qui évoquent des dissensions au sein de l'institution militaire sur la gestion de la crise. Et si Gaïd Salah s'est résolu à monter au front contre le clan présidentiel, du moins à préparer le travail de génie militaire et à se positionner en attendant l'assaut, fort en cela du soutien populaire qu'il pense pouvoir susciter en donnant le quitus de l'armée pour l'application de l'article 7, il sait que «l'ennemi» est en pleine banqueroute pour craindre un retour de flamme qui puisse porter ombrage à sa carrière. C'est le seul risque qu'il peut encourir en tout état de cause face à un pouvoir en fin de règne. Il sait qu'il a tout intérêt à parier sur l'avenir que sur un pouvoir en voie de décomposition. Et même, si dans un geste revanchard, le clan présidentiel serait tenté de le destituer de son poste, «l'empêchement» de Bouteflika ayant été constaté et reconnu désormais par tous, y compris par les anciens soutiens de Bouteflika qui sont passés aux aveux, il sera difficile de faire endosser au Président une décision aussi importante maintenant que la confiscation des pouvoirs du Président par des forces extraconstitutionnelles est dûment prouvée. Toutes les décisions et les lettres imputées à Bouteflika sont de facto constitutionnellement nulles et non avenues.