L'intervention officielle et publique du chef d'état-major de l'armée dans la gestion de la crise politique du pays augure de l'avènement d'une étape où s'entremêlent compromis, retour du pouvoir militaire et préservation de positionnements. En appelant mardi dernier à l'application de l'article 102 de la Constitution, le chef d'état-major, le général de corps d'armée, vice-ministre de la Défense nationale n'a pas tout dit. C'est d'ailleurs l'évidence même si l'on sait que l'armée de par le passé n'abat ses cartes que lorsqu'elle décide de siffler la fin d'un jeu de confrontations. C'était le cas du départ de Chadli Bendjedid et même celui de Liamine Zeroual après qu'il ait été esseulé et aussi ait refusé de lâcher son ami protecteur et conseiller. Pour cette fois, l'on pourrait en premier penser à un ballon-sonde que Gaïd Salah a voulu lancer pour connaître les réactions de l'ensemble des factions agissantes sur la scène nationale, qu'elles soient politiques, apolitiques ou autres stratèges de conjoncture. L'on note qu'un grand nombre parmi ces catégories et autres analystes ont rejeté sa décision avant même qu'il n'en explique la faisabilité. Ces intervenants divers se refusent à toute autre solution hormis celle du «départ immédiat du président de la République» et «la chute du système». Ceci, sans préciser à qui pensent-ils «remettre les clefs du pays», au-delà du soutien de certains d'entre eux à quelques personnalités ayant déjà gouverné le pays par le passé, participé ou rapproché au pouvoir et se sont même enlisées dans des compromissions avec des clans mafieux jouissant d'une impunité sans limites. L'interview de Amar Saïdani parue dans la soirée du dimanche dernier n'est pas un fait du hasard. Saïdani n'a pas parlé de lui-même quand on voit que ses propos ont coïncidé avec la décision de Gaïd Salah de faire valoir l'article 102 de la Constitution. L'ex-secrétaire général du FLN a été certainement chargé de donner la trame de l'échiquier national. Il l'a fait avec une clarté digne d'une exploration de laboratoire. Le chef d'état-major en a rappelé d'ailleurs l'essentiel en exprimant dans sa déclaration de mardi dernier ses craintes de voir le mouvement populaire récupéré par «des manœuvres douteuses» et qu'il faille alors «préserver notre pays de tous dérapages( )». Compromis ou guerre de tranchées ? Depuis mardi après-midi, les analyses et commentaires fusent de toute part, chacun allant de sa propre appréciation de l'application de l'article en question. L'on se demande si l'état-major de l'armée s'est concerté avec le clan présidentiel avant de l'annoncer publiquement. Des constitutionnalistes l'affirment en avançant que Gaïd Salah est trop proche du président de la République pour le pousser à une sortie aussi détestable. D'autres évoquent ses tiraillements (notamment en 2013) avec Saïd Bouteflika et rejettent un tel compromis. Reste que des observateurs pensent à un rapprochement entre Gaïd et un Toufik tapi dans l'ombre pour éviter la déflagration du pays mais surtout pour préserver ou renouveler des positionnements. L'on sait que l'exercice du pouvoir est comme la politique, il ne s'accommode pas de la morale. L'on s'en tient pour le moment aux premiers éclairages que des voix qui semblent autorisées par la hiérarchie militaire véhiculent depuis mardi à travers plusieurs canaux. Ces voix précisent en premier que «ce n'est pas une décision mais c'est une proposition que Gaïd a fait pour une sortie de crise dans le cadre de la Constitution». D'autres viennent souligner que «l'armée ne propose pas mais ordonne». L'essentiel est que pour les deux «éclaireurs», «le chef d'état-major s'est concerté avec le clan présidentiel avant de l'annoncer et qu'une feuille de route a été examinée dans ce sens en vue de sa mise en œuvre avant le 27 avril prochain, jour de la fin du mandat présidentiel». Il est clair qu'à partir de l'ensemble des réactions, des réajustements pourraient y être introduits. Autre éclairage important, selon des sources proches des Tagarins, il faut prendre de l'article 102 la deuxième partie qui stipule qu' «en cas de démission ou de décès du Président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la Présidence de la République. Il communique immédiatement l'acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit. Le Président du Conseil de la Nation assume la charge de Chef de l'Etat pour une durée de quatre-vingt-dix (90) jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées». Avec la précision que c'est la démission du président de la République qui est programmée et non l'empêchement pour cause de maladie. Ce dernier nécessite la mise en place d'un comité médical qui doit statuer sur un dossier médical prouvant cet état de fait. Une démission «pour une sortie honorable» S'il les a cachés à tout le pays depuis ses premiers soucis de santé, ce n'est pas aujourd'hui et à la fin de sa carrière politique que Bouteflika va rendre public le diagnostic de son état et ses feuilles de maladie. La démission de Bouteflika pourrait, selon nos sources, «être annoncée même la veille de la fin de son mandat, il montrera par ce geste qu'il n'a aucune intention de le proroger au-delà du 28 avril prochain, ce qui lui permettra de sortir digne et devra surtout rassurer la rue». Et, dit-on, c'est le but recherché par Gaïd depuis mardi. Contre toute attente, Ahmed Ouyahia a adhéré hier à ce choix en en faisant l'écho publiquement. Connu pour agir dans les arcanes des pouvoirs au nom du DRS, l'on pourrait en déduire que l'appel de Gaïd Salah n'a rien de personnel ni n'est une simple suggestion. Les voix proches de l'état-major de l'armée expliquent ainsi que «la démission est la meilleure solution pour préserver la continuité de l'Etat, mais le président ne devra démissionner qu'après avoir mis en place un gouvernement accepté par tous, protagonistes et antagonistes, et amendé l'article194 de la Constitution qui consacre la mise en place d'une commission indépendante de surveillance des élections». L'idée est «d'élargir les prérogatives de cette instance le plus possible, c'est elle qui organisera et contrôlera les élections et en annoncera les résultats, ce qui exclura toute intervention du ministère de l'Intérieur ou des walis comme ça a été toujours le cas, étant entendu que sa composante sera choisie consensuellement». Selon nos interlocuteurs, «il ne faudrait pas pousser le chef de l'Etat à la porte de sortie en laissant derrière lui un vide constitutionnel que le président du Conseil de la Nation, une fois désigné comme président de la République intérimaire, ne pourra faire remplir, il n'en a pas le droit». L'armée se refuse donc à l'instauration d'une période de transition «quelle que soit sa durée» parce que, disent nos sources, «l'Algérie évoluera en dehors de toute légalité civile ou militaire soit-elle». Ces mêmes milieux soutiennent jusqu'à hier que «le Conseil constitutionnel ne devra pas bouger que si le président de la République aura formé un gouvernement d'entente nationale». Si les choses évoluent autrement et Bouteflika est démissionné avant la fin de son mandat, les constitutionnalistes appellent cette forme de limogeage «un coup d'Etat à blanc». Reste que dans tous les cas de figure, l'esprit d'un coup d'Etat plane lourdement sur le pays. Avec l'application de l'article 102 de la Constitution, et après le départ de Bouteflika, l'armée gérera inévitablement la suite des événements. L'armée veut (re)prendre la main Tout se fera sous son contrôle puisque «les civils» qui seront choisis ne pourraient avoir les compétences requises pour avoir à l'œil toutes les tentatives de récupération et de repositionnement qui se trament dans les officines en gestation. Avant, l'on s'attend déjà à ceux que la rue proclame demain, vendredi, son rejet de la décision de l'armée. Tout dépendra de l'intensité du mouvement et de ses moyens de persuasion dans ce sens. Le chef d'état-major semble cependant avoir pris ses devants pour pouvoir faire face à toute éventualité. C'est depuis plusieurs mois qu'il entreprend des visites incessantes «d'inspection et de travail» dans les différentes régions militaires du pays tout en distillant à chacune de ses réunions dans les casernes des «ordres» de cohésion, de mise en garde et de vigilance (alerte). Les voix proches de Gaïd Salah notent que «si l'application de l'article 102 est rejetée, l'armée devra prendre ses devants et s'entendre avec le chef de l'Etat pour décréter l'état d'exception». L'article 107 de la Constitution stipule «lorsque le pays est menacé d'un péril imminent dans ses institutions, dans son indépendance ou dans son intégrité territoriale, le Président de la République décrète l'état d'exception. Une telle mesure est prise, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l'Assemblée populaire nationale, et le Président du Conseil constitutionnel consultés, le Haut Conseil de sécurité et le Conseil des Ministres entendus. L'état d'exception habilite le Président de la République à prendre les mesures exceptionnelles que commande la sauvegarde de l'indépendance de la Nation et des institutions de la République. Le Parlement se réunit de plein droit.( ).» C'est donc une nouvelle phase qui s'ouvrirait au pays mais avec le même président de la République. Depuis mardi après-midi, ayant pris depuis quelque temps le pouls de la situation, c'est l'état-major qui s'est placé en arbitre entre Bouteflika et la rue. Il est attendu qu'il rappelle des cadres militaires qu'on qualifie de «gens solides capables d'aller au charbon». Il devra éviter au pays la guerre des tranchées ou les confrontations violentes en tentant de convaincre pour concilier des parties qui jusque-là ne s'entendent sur aucune alternative politique, sauf peut-être celle de tirer sur une ambulance. Si «le départ de tout le monde» est encore brandi ce vendredi, étant partie intégrale et intégrante du système en place, Gaïd Salah pourrait être poussé dans ses derniers retranchements pour être facile à «cueillir» par ceux qui veulent «tout de suite» une armée sans état-major.