L'économie algérienne est-elle au seuil d'un choc de contraction en 2019 après la révolution de février ? Trois raisons peuvent le laisser penser. L'activité industrielle pourrait stagner en volume, la production des hydrocarbures n'est pas à l'abri d'un ralentissement, le lancement de nouveaux projets publics et privés va se réduire pour être décalé. Rien d'alarmant a priori. S'il s'agit du prix à payer pour faire émerger, en un an ou deux, un nouveau pacte stratégique entre un Etat de droit régulateur et des acteurs économiques libérés, il s'agirait d'un prix équitable. Tout dépend tout de même de la portée des préjudices de restructuration. Il serait bon qu'ils ne soient pas trop amples. Le point en ce début de première semaine après la démission du président Bouteflika commence à virer à l'orange pour les spécialistes des transitions post-révolutionnaires. Les interdictions de sortie du territoire national (ISTN) préventives pleuvent sur les chefs d'entreprises privées les plus avantagées des années Bouteflika. De nombreux chantiers et projets vont en souffrir. A commencer par ceux attribués à ETRHB, l'entreprise de réalisation en BTP des frères Haddad. Les parts de marché, les flux d'argent, l'attractivité pour les ressources vont décliner sur un flanc, pour décoller ensuite sur un autre. Moment schumpetérien d'où devraient pouvoir naître de nouveaux acteurs bloqués jusque-là par l'hégémonie «politique» des oligarques. Ce moment n'est jamais écrit à l'avance. Il peut être très chaotique, long, peu créatif de nouvelles dynamiques. Il peut être aussi chimique, rapide et fortement évolutif. La construction d'un nouveau pacte souverain privé pour la croissance est une combinaison d'intelligence politique et de pertinence situationnelle. Elle prendra un temps supérieur à celui de la transition juridique vers de nouvelles institutions. Il faut de ce point de vue regarder ce qu'ont donné ailleurs dans le monde les processus semblables à celui de l'Algérie : une économie plus ouverte ou plus fermée ? Plus concurrentielle entre ses acteurs ou moins ? Plus encline à investir dans le long terme (innovation) ou moins ? Plus solidaire ou plus individualiste? Un moment de destruction créatrice accélérée n'est jamais une expérience de laboratoire maîtrisable dans son éprouvette. Il faudrait donc peut-être tenter de ne pas l'emmener à l'air libre sous peine d'explosions en chaîne. Le sort de Sonatrach, par exemple, mérite que la Révolution prenne la posture de la réflexion. Abdelmoumene Ould Kaddour, son PDG depuis mars 2017, est bien sûr un manager amené par la famille Bouteflika dans une fonction essentielle de l'économie algérienne. Aux dernières nouvelles, il se prépare à démissionner. Commission d'enquête déclenchée suite à deux plaintes contre sa gestion. Il faudrait ici faire la part des choses. Sonatrach a subi deux immenses chocs récessifs. Le premier, souterrain, vient de 2006. La production d'huiles et de gaz n'a fait que décliner depuis cette date et le management de Khelil-Hamch-Meziane ne s'occupait que d'organiser un détournement massif de ressources par la captation de pots-de-vin, rendant plus chères les acquisitions de Sonatrach. La reprise en main après le scandale de 2010, et la fuite de Khelil l'année suivante, ont été un second choc. Tout ou presque s'est paralysé à Sonatrach durant 7 ans. Hantise hyper-prudentielle de gestionnaire public en phase de rafle. Combiné à la chute de l'attractivité du domaine minier algérien à cause d'une loi sur les hydrocarbures qui faisait fuir les partenaires étrangers, la crise du secteur de l'énergie s'est amplifiée durant ces années-là. Le manager, Ould Kaddour, peut partir. Il ne faudra pas tout jeter de sa méthode de manager. Il aura réussi en 24 mois à remettre Sonatrach dans le sens de la marche. Sans doute en prenant des libertés personnelles avec les textes, dont il est visiblement coutumier, et qu'il va devoir expliciter pour montrer que ce n'était que pour la bonne cause. Mais avec un résultat en termes de performance opérationnelle qui rapproche Sonatrach du fonctionnement de ses concurrents mondiaux : réactivité, ambition, autonomie. Faire du Ould Kaddour sans Ould Kaddour à Sonatrach, c'est le challenge de l'inventaire des années Bouteflika en économie. Ne pas tout jeter, là où le principe de Schumpeter ne marche pas. Un livre est sorti dans ce contexte de la révolution qui a le mérite de nous rappeler les trajectoires idéologiques du pays et leur impact sur la richesse de la Nation. Saïd Boukhlifa, ancien cadre du secteur du tourisme, publie à compte d'auteur un livre volumineux intitulé Les mémoires touristiques de l'Algérie. On peut y trouver avec étonnement les délibérations stratégiques du Conseil de la Révolution autour de Houari Boumediène au sujet de la place du tourisme dans le développement économique de la jeune République. Le président-ministre de la Défense y était hostile. Pour lui, ce n'est clairement pas une priorité. Même pas pour les revenus en devises que le tourisme peut procurer. Il se laisse convaincre tout de même par ses autres membres de la direction révolutionnaire qu'il faut dépenser un peu dans cette filière, ne serait-ce que pour en faire profiter les Algériens d'abord. Chez Boumediène, le risque de pollution par les idées impérialistes à travers le tourisme est un facteur invalidant qui joue contre l'ouverture au tourisme. Il y aura des groupes de touristes étrangers en Algérie dans les années 70', parce que la balance devises du pays n'est pas encore consolidée. Le premier effet de l'enrichissement du pays après les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1977 sera de changer le positionnement du secteur. Il sera désormais au début de l'ère Chadli quasi exclusivement orienté vers la clientèle domestique. Cette défiance vis-à-vis de l'industrie du tourisme mondial n'est jamais retombée à nos jours. Jamais. S'il fallait évaluer dans deux ans le changement qu'apportera la Révolution de février à l'économie algérienne, il est symboliquement là. Sa capacité à ne pas avoir peur des touristes étrangers.