Les insurgés d'avril 1980 devaient à la fois endurer une répression policière aveugle et brutale, mais aussi subir un acharnement médiatique des plus féroces. Le quotidien gouvernemental El Moudjahid était l'instrument de cette propagande officielle. Une simple plongée dans les archives du canard historique du FLN – couvrant la période de mars à avril 1980 – révèle l'étendue de la désinformation, de rigueur à l'époque des faits. Le journal, embrigadé par le pouvoir, use de calomnies en tous genres et sème la confusion au sein de l'opinion publique. Un fameux éditorial, restera sans doute dans les annales. Le 20 mars 1980, quelques jours après l'interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri, l'édito cible l'écrivain et ethnologue. « Au moment où la direction politique, à l'écoute des masses, prend en charge tous les problèmes des citoyens, afin de les résoudre de manière globale et juste, notre peuple n'a que faire des donneurs de leçons et particulièrement de gens qui n'ont rien donné ni à leur peuple ni à la révolution (…) » Il s'agissait, bien évidement, d'une contre-vérité historique d'une extrême gravité. A partir de ce moment, El Moudjahid déclenche une campagne d'une rare violence. On peut également lire des titres désignant les animateurs du mouvement de « harki et ennemis de la nation ». Les organisations dites de masse et les membres du comité central du parti se déchaînent dans les colonnes du journal. Mais la prise de position d'El Moudjahid, dangereusement vindicatif à l'égard du mouvement, ne faisait pas l'unanimité. Bien au contraire. Elle a provoqué la révolte des journalistes au sein de la rédaction. Trouvant inadmissible le traitement des événements, « un groupe de journalistes avait rédigé une pétition se démarquant de la ligne éditoriale et s'élevant contre la manière avec laquelle leur journal a couvert les événements », se rappelle Boukhalfa Amazit un des pétitionnaires. « On s'est dit qu'il fallait se démarquer en rédigeant une pétition, laquelle a été signée, entre autres, par Dzanouni, Akli Hamouni, Omar Belhouchet, Tayeb Belghich, Fodil Ourabah, Mohamed Benchicou, Nadjia Bouzeghrane… Je ne me souviens pas de tous les signataires. En tout, il y avait 18 journalistes. Fodil Ourabah avait joué un rôle important dans ce mouvement de contestation, d'ailleurs c'est lui qui était chargé de remettre le texte aux dirigeants du mouvement à Tizi Ouzou. Il fallait surtout montrer que nous n'étions pas d'accord avec la ligne et la direction du journal. Nous avons aussi décidé de ne plus écrire de commentaire durant trois mois », a témoigné Amazit. Suite à cela, le fameux Bureau de surveillance politique (BSP) s'est installé à l'intérieur du journal. « Nous étions traités de berbéro-marxistes. Le climat au sein de la rédaction était tendu. Le journal est télécommandé de l'extérieur et la direction a tenté de nous faire écrire des papiers, chose que nous avions refusée et dénoncée », a ajouté Boukhalfa Amazit. Le bras de fer est alors engagé entre journalistes et direction du journal. Ces derniers ont posé, par la même occasion, la question de liberté de la presse. Cette contestation allait contribuer à changer le cours des choses au sein de la presse. Elle donnera, quelques années plus tard, naissance au Mouvement des journalistes algériens (MJA). Les jalons du pluralisme médiatique étaient déjà posés.