L'espace de quelques secondes, la présidente du tribunal criminel jauge du regard l'accusé, âgé de 20 ans, qui comparaissait pour répondre du chef d'accusation de fratricide. Campé devant la barre, jambes écartées et mains derrière le dos, le mis en cause n'éprouve vraisemblablement aucun remords à l'égard de sa victime, sa sœur cadette Shahrazade. Elle avait à peine 17 ans lorsqu'il l'a battue à mort dans le vrai sens du terme. Son père, 40 ans, lui a prêté main forte dans sa basse besogne. Selon l'arrêt de renvoi, les faits ont eu pour cadre le domicile familial, sis dans la bourgade de Boudjemaâ, à Hassi Bounif, à l'est d'Oran. Moins de trois heures avant la rupture du jeûne, au mois de Ramadhan dernier, le fils s'est subitement rué sur sa sœur pour l'entraîner dans le salon où il s'est enfermé avec elle. Sans lui fournir d'explications, il l'a battue avec une courroie, méthodiquement, durant près d'un quart d'heure. Un cousin lui a laissé entendre qu'elle aurait reçu la visite d'un camarade de lycée. Quelques minutes après, armé d'un bâton, le père a rejoint son fils pour le relayer pendant un autre interminable quart d'heure. Ni la mère et encore moins la deuxième sœur de cette famille, issue de l'exode rural, ayant fuit en 1992 les actes de terrorisme prévalant dans leur village natal, situé dans la région de Relizane, n'ont osé intervenir. Pire encore, les voisins n'ont également pas réagi lorsque les accusés sont venus chercher leur victime, qui s'était réfugiée chez eux. Elle a, dans un réflexe de survie, pris la fuite lorsque ses bourreaux l'ont abandonnée pour un moment de répit. L'adolescente a été traînée sur plusieurs mètres par les cheveux jusqu'au domicile familial, sous le regard passif des voisins. La malheureuse a été, cette fois-ci, ligotée avant de subir un autre passage à tabac. Pour l'empêcher de fuir, ils l'ont enfermée dans la salle de bains où elle a succombé à ses blessures. Ses geôliers n'ont constaté son décès que lorsque sa mère lui a ramené de la nourriture pour rompre le jeûne. « Mon père n'a rien à voir dans cette affaire. Elle a cogné sa tête contre le lavabo quand je l'ai poussée dans la salle de bains », glapit l'accusé avec un air canaille. « Ce n'est pas ce vous avez déclaré devant le juge d'instruction », fait remarquer la présidente, avant d'ajouter : « Les résultats de l'expertise médicale sont formels. Votre sœur a succombé aux sévices que vous et votre père lui avez infligés. Pourquoi ne pas libérer votre conscience ? Ne serait-ce que par respect à sa mémoire ? » Embarrassé, l'accusé baisse la tête sans répondre. Appelé à la barre, le père tente de se disculper. « Au moment des faits, j'étais à Arzew chez ma seconde épouse », radote-t-il sans convaincre. Décontenancée, la magistrate sollicite celle que le quadragénaire prétend être son alibi. Ce témoin, une jeune femme drapée dans une vieille djellaba, qui trahit ses mauvaises conditions sociales, semble nourrir une haine amère et enfiellée à l'égard des deux accusés. « Je ne l'ai pas vu depuis des semaines », affirme-t-elle sans ambages. Le témoignage de la mère de la victime est accablant. « Je les ai imploré pour cesser la torture. J'ai vainement hurlé de toutes mes forces pour alerter les voisins », sanglote-t-elle à la barre. Le représentant du ministère public a mis en évidence la gravité des faits en soulignant que « l'acharnement des accusés sur leur victime prouve clairement qu'il y a bien eu intention de donner la mort ». Il a conclu en requérant la peine maximale. Les avocats de la défense ont plaidé non coupable pour le chef d'accusation de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort. Au terme des délibérations, le fils et son père ont été condamnés respectivement à 15 et 20 ans de réclusion criminelle.