Excellence, C'est pour nous un honneur de vous demander de bien vouloir procéder à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner le phénomène de la corruption, actuellement sujet de grosses inquiétudes chez la quasi-totalité des citoyens et de l'opinion nationale. La corruption s'est, en effet, imposée ces dernières années comme un sujet central de la vie publique. S'il est vrai que cette forme de délinquance est un phénomène universel, il faut reconnaître qu'elle se distingue, chez nous, par nombre de spécificités bien algériennes. Les scandales se suivent à une cadence de plus en plus effrénée. Ils révèlent, toujours plus, la profondeur et l'étendue du mal, son incommensurable volume et les graves et divers niveaux de responsabilités qu'il met en cause. Il n'est pas exagéré de dire qu'après le terrorisme, c'est la deuxième menace la plus dangereuse contre la sécurité nationale. L'absence de communication officielle sur cette déviance et l'impunité qui paraît l'entourer sont deux autres caractéristiques spécifiques très préoccupantes. Le degré et l'étendue de la nuisance de la corruption sur le développement et la stabilité du tissu économique et social sont indéniablement très forts. Les spécialistes l'estiment en milliards de dollars au-dessus de la dizaine.Depuis l'étape de leur conclusion jusqu'à leur réception définitive, les projets publics sont sous la menace d'un droit de cuissage d'un autre âge. Les fréquents excès du recours à la procédure du gré à gré dans les marchés publics, la multiplication des sous-traitants et la succession continue des contraintes bureaucratiques intéressées occasionnent d'énormes surcoûts qui s'ajoutent à ceux nés de l'insuffisante maturation des projets. Les détournements de franchises fiscales et douanières et autres facilitations bancaires imméritées, la fraude fiscale et l'évasion des capitaux sont d'autres plaies du chancre qui ronge l'économie nationale. Dans ce décor révoltant, l'opacité qui entoure les bilans et comptes annuels des grands opérateurs publics et privés ainsi que le poids de l'activité informelle sont des facteurs aggravants indéniables. Les signes ostentatoires de richesse et les diverses formes de pouvoir et de passe- droits qu'ils procurent à certains super citoyens choquent la majorité intègre de ce pays et menacent de désintégrer les valeurs morales, éthiques et patriotiques de notre nation. Comme le commun des Etats, le nôtre possède toutes les institutions classiques de contrôle et de répression comme la Douane, l'IGF, la Cour des comptes, l'administration fiscale, les brigades économiques des divers services de sécurité ; toutes instances dont il faut évaluer périodiquement la performance. Il reste à combler un besoin spécifique par la mise en place de l'Office national de lutte contre la contrebande et de l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption, tous deux respectivement prévus par l'Ordonnance 05-06 du 23 août 2005 et la loi 06-01 du 20 février 2006. Outre ces deux lois, le code des marchés publics et le code pénal sont des instruments dont la pertinence appelle une évaluation permanente. Il est également important de connaître et d'analyser la nature de la démarche et les méthodes et mécanismes de la lutte anti-corruption revendiquée par les pouvoirs publics. Y a-t-il un plan doté d'objectifs et d'échéances ? L'action publique et judiciaire se déclenche-t-elle automatiquement et de manière indépendante dès lors qu'un scandale de corruption est mis à jour par le service d'investigation, la presse ou le citoyen ou d'autres indices comme les signes ostentatoires de richesse ? Quelle place et quelles garanties le dispositif de lutte contre la corruption offre-t-il à l'initiative citoyenne ? La connaissance des résultats éventuels de la lutte menée sur ce terrain par les divers services de l'Etat permettra d'apprécier le volume du phénomène, ses sources et secteurs de prédilection, les échelles de responsabilité individuelles et/ou collectives impliquées et, le cas échéant, sanctionnées. Il sera également important d'établir pourquoi les pouvoirs publics ne communiquent pas, ou si peu, sur ce sujet. La dépense publique étant encore le moteur essentiel de l'économie nationale, il y a lieu de déterminer le ou les degrés de contamination des centres publics de décision, d'exécution et de contrôle. Plus précisément, quelle est la part de la procédure du marché public de gré à gré dans l'ampleur de la dilapidation des deniers publics ? Qui décide et comment de la validation de cette procédure exceptionnelle ? La corruption est-elle limitée aux grands projets d'infrastructure de l'Etat ou entache-t-elle la gestion quotidienne des entreprises publiques économiques, voire l'exportation des hydrocarbures ? Qu'en est-il du phénomène dans l'administration publique proprement dite ? Sur ce chapitre, il faudrait savoir si le recours exclusif au financement public des grands projets d'infrastructure n'est pas un facteur facilitateur ou aggravant de la corruption. En attendant de mettre en place les nôtres, il y aura aussi à apprécier l'utilité de faire certifier, par des centres d'évaluation spécialisés extérieurs, les bilans et comptes publics et la performance du dispositif national de lutte anti-corruption. Evaluer et connaître le volume et le type de corruption induite par la contrebande, le blanchiment, la fraude fiscale, l'évasion des capitaux et l'économie informelle est essentiel. Comment sont mis en œuvre les mécanismes législatifs et réglementaires y afférents ? Quels sont les résultats chiffrés obtenus ? Quelle part représentent les montants détournés et évadés à l'étranger ? Sur quels instruments et mécanismes de coopération extérieurs, le gouvernement peut-il appuyer une éventuelle action internationale en récupération des avoirs issus de la corruption et cachés à l'étranger ? La volonté politique de l'Etat va-t-elle jusque-là ? Dans le cas contraire sur quels autres leviers les pouvoirs publics peuvent-ils et comptent-ils agir pour faire réparer le préjudice financier causé au Trésor public ? Toujours dans le même chapitre, est-ce que les opérateurs nationaux exportateurs rapatrient les gains de devises réalisés ? En matière de ressource humaine, il est fondamental d'apprécier l'impact financier négatif de l'insuffisance et/ou de l'absence de compétences spécialisées susceptibles de prévenir ou de découvrir la corruption. Il est aussi vital de juger l'efficience des organes et institutions de prévention, de contrôle et de répression de la corruption à l'instar de l'IGF, de la Cour des comptes, des Douanes, des Impôts, des inspections générales sectorielles, des services de sécurité et de l'appareil judiciaire. Quel est éventuellement le niveau de contamination de ces différentes instances ? Dans le même ordre d'idées, il y a lieu d'analyser et d'évaluer la pertinence de l'arsenal législatif en place. Le gouvernement a-t-il pris des dispositions réglementaires complémentaires ? Lesquelles et quels en sont leurs résultats ? Le manuel de management conçu par la Caisse nationale des équipements et du développement au bénéfice de la gestion des grands projets publics est-il obligatoire ou facultatif ? Peut-il être élargi à tous les projets de l'Etat ? Quelle est sa performance ? Il est également important d'examiner et d'évaluer les conditions institutionnelles et réelles dans lesquelles les citoyens accèdent à un emploi et/ou un logement. Les rumeurs selon lesquelles l'obtention de ces droits constitutionnels est maintes fois conditionnée par le versement d'une « tchipa » sont-elles sans fondement ? Pourquoi les instances de prévention et de lutte contre la corruption et la contrebande n'ont pas encore vu le jour, cinq années après la promulgation des textes législatifs y afférents ? Quand est-ce que le gouvernement compte-t-il mettre à exécution les décisions du Parlement à ce sujet ? Ce sont là des questions lancinantes qui taraudent tous les citoyens et patriotes épris de ce pays. Vous remarquerez qu'elles visent à connaître du phénomène de la corruption en général, de ses causes et de la pertinence et/ perfectibilité des moyens et dispositifs divers qui lui sont opposés. Plus précisément, il s'agit d'enquêter sur l'ampleur, les sources, méthodes et niveaux de responsabilité de la corruption en Algérie puis de proposer les correctifs juridiques et institutionnels susceptibles de mettre un terme à l'hémorragie qui saigne les ressources de la nation. Dans le respect de l'article 79 de la loi organique 99-02, qu'il soit bien entendu donc que nous ne prétendons aucunement enquêter sur les cas d'espèce actuellement sous procédure judiciaire. Notre initiative se veut un exercice concret et légitime des prérogatives et des droits et devoirs constitutionnels et légaux de l'instance parlementaire à laquelle nous appartenons. C'est dans ce seul cadre que nous avons l'honneur de vous demander de bien vouloir constituer une commission d'enquête parlementaire.Dans l'attente de votre réponse, veuillez croire, Monsieur le président de l'APN, en notre parfaite considération.