Armelle Mabon, historienne, est à l'origine de la construction d'une stèle à Quimper (Bretagne), pour rappeler la mémoire des prisonniers « indigènes » du camp de Lanniron. Lyon. De notre correspondant Partie prenante de l'opération, elle s'en est démise pour cause d'informations fausses gravées sur la pierre. Armelle Mabon est l'auteure d'un formidable ouvrage intitulé Prisonniers de guerre indigènes, visages oubliés de la France occupée, paru cette année à La Découverte (Paris). Elle est aussi l'auteure d'un documentaire sur ce sujet (lire notre article dans El Watan du 8 février 2010). Elle révèle une face cachée de cette période de l'histoire où, parmi les soldats coloniaux bloqués en France après la débâcle de juin 1940, beaucoup de Nord-Africains, ont été internés dans des conditions indécentes. Beaucoup en ont eu des séquelles à vie, s'ils n'en sont pas morts, certains ont pu, peu à peu, être libérés ou ont regagné les maquis de la zone sud de la France, encore libre. A Quimper, cette enseignante à l'université de Bretagne Sud a beaucoup travaillé pour qu'une plaque souvenir sur une stèle rappelle cette histoire, en liaison avec Bernard Poignant alors député européen. Il explique : « Le régime allemand d'Hitler ne voulait pas accueillir sur le sol allemand des hommes de couleur que l'armée française avait enrôlés par milliers. Le prétexte retenu était le climat : ils ne supporteraient pas la rigueur des hivers glacés. C'est une délicatesse difficile à croire ! En réalité l'idéologie de la race aryenne pure l'amenait à refuser la présence des ''non-blancs''. Déjà, dans les années 1920, quand la France de Poincaré a occupé la Rhénanie pour contraindre l'Allemagne à respecter le paiement des réparations de guerre, Hitler et le parti nazi ont protesté contre la présence des « sauvages » de l'armée française qui allaient détruire la civilisation. Des enfants sont nés de couples mixtes. Ils furent, comme leurs mères, vilipendés, insultés, montrés du doigt, rejetés ». Le projet entre l'historienne et l'homme politique vit le jour. Pourtant, le jour de la cérémonie, il y a quelques semaines, Armelle Mabon, a indiqué à El Watan qu'elle a refusé de donner la conférence prévue pour l'inauguration, et a interdit que son documentaire soit projeté. Le courroux venait du fait que le nombre d' « indigènes » porté sur la stèle ne correspond pas à la réalité : « Une mémoire de pierre ne peut être galvaudée », nous dit-elle. « Depuis des mois, je demande au maire et au préfet de revoir cette inscription. Ce chiffre n'a aucun sens, ni historique ni scientifique ni mémoriel. Je possède les archives qui montrent qu'il est impossible de donner un chiffre exact quant au nombre de ces prisonniers ayant transité par Lanniron. Le chiffre de 7746, dit par le maire lors de son discours inaugural, a été trouvé dans un rapport de la Croix-Rouge internationale établi en mai1941. Or, il englobe les prisonniers blancs, au nombre de 803, et une centaine de civils internés à tort ». A Lanniron la grande majorité des prisonniers étaient des Nord-Africains. En effet, le rapport indique qu'il accueillait 7746 hommes « ainsi répartis selon la terminologie nazie : 803 blancs, 6592 hommes de couleur (c'est-à-dire originaires d'Afrique du Nord), 31 noirs, 320 anamites (originaires d'Indochine) », indique Bernard Poignant sur son blog. Si le pourcentage selon les origines n'est pas inexact, le total ne peut pas être sous-estimé. Selon l'enseignante, on devrait partir de 8000 personnes, chiffre bas, sans être sûrs de la fourchette haute. Elle le signale dans un courrier adressé au secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens combattants : « Je ne connais pas les raisons du maire et du préfet qui ont empêché une modification du texte permettant de rendre hommage à tous les hommes qui ont été internés au frontstalag de Quimper. Apposer ''des milliers'' ou ''au moins 8000'' permet d'éviter cet oubli dont ces prisonniers ont été trop longtemps victimes et qu'il ne faut surtout pas perpétuer. Désormais nous savons ce que ces prisonniers ont enduré comme trahisons et mensonges ; une stèle qui montre un chiffre inexact et minorant la contribution des originaires de l'ancien empire colonial ne peut que ranimer un sentiment de profond malaise et d'injustice. En tant qu'historienne mais aussi citoyenne, je m'engage à tout mettre en œuvre pour que l'hommage soit rendu à tous ces hommes ». Comme le suggère encore Bernard Poignant lors de la genèse du projet de stèle, « Il ne s'agit pas de s'excuser ou de se repentir. Je n'arrive pas à m'associer au goût de la repentance. Je lui préfère la force de la vérité qui mérite toujours d'être dite et l'intelligence de l'histoire sur laquelle notre avenir peut s'appuyer » . Ce ne serait déjà pas si mal !