la visite effectuée lundi par le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, à Beni Douala, où il s'est recueilli sur la tombe de Massinissa Guermah, tué par les gendarmes en avril 2000, n'a certainement pas encore révélé tous ses secrets. En tout état de cause, le secret qui avait entouré la programmation de ce périple pour le moins inattendu dans la conjoncture actuelle avait été bien gardé, y compris par Abrika et ses partisans. La crainte d'un sabordage de cette initiative par les antidialoguistes a sans nul doute beaucoup pesé dans la gestion politique et médiatique de cette visite par le mouvement des archs engagé dans le dialogue avec le gouvernement. Ouyahia, qui mesurait l'enjeu politique de cette visite où il engageait le gouvernement et, au-delà de l'Exécutif, sa propre carrière politique, savait qu'il n'avait pas droit à l'erreur. Cette visite qu'il a entrepris d'effectuer dans une région martyre hautement symbolique pour le mouvement citoyen de la Kabylie a été minutieusement préparée au niveau central et local pour être couronnée de succès. En attendant les prolongements politiques attendus de cette visite, du moins par les partisans d'Abrika, qui ont joué une carte politique décisive en invitant ou en acceptant de recevoir avec les égards dus à un hôte de marque le chef du gouvernement, c'est surtout Ouyahia qui tire le plus grand bénéfice de cette visite dans la région. Il aura réussi là où son prédécesseur Ali Benflis a lamentablement échoué en quittant le gouvernement sans avoir effectué une visite dans la région. Il est vrai que le contexte politique n'est pas le même. A la différence de l'ancien patron du Fln, Ouyahia a, pour sa part, osé en se rendant en Kabylie animé d'une ambition tout aussi risquée politiquement parlant en prenant le pari de jeter des passerelles entre le Pouvoir et la population après cinq ans de brouille. Le chef du gouvernement a, certes, réussi cette première épreuve de la course d'obstacles dans laquelle il s'est engagé en nouant un dialogue avec les archs. Il n'a pas été accueilli avec des jets de pierres, comme d'autres membres du gouvernement l'avaient vécu à leurs dépens il n'y a pas longtemps, où les représentants officiels étaient considérés persona non grata dans la région. Ouyahia a veillé aux moindres détails dans la préparation de cette visite, comme le fait de ne pas inclure dans la délégation officielle le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, dont la population locale garde un mauvais souvenir en rapport avec la gestion des événements tragiques vécus par la Kabylie. C'est le ministre de la l'Emploi et de la Solidarité nationale, Djamal Ould Abbas, qui l'avait accompagné durant sa visite à Beni Douala. Sur le fond de la crise qui secoue la Kabylie, la déclaration faite à la presse par le chef du gouvernement devant les représentants du mouvement citoyen et les membres de la famille de Massinissa Guermah a pris soin d'expurger du discours tout ce qui pourrait d'une manière ou d'une autre raviver les passions sur les niveaux de responsabilité des institutions de l'Etat dans la tragédie de la Kabylie, pour ne s'en tenir qu'à la dimension humanitaire et à la symbolique imprimée à cette visite, placée par Ouyahia sous le signe de « la réconciliation des Algériens entre eux ». La repentance Ouyahia, qui mesure en tant que diplomate le poids et le sens des mots, n'ira pas, à l'occasion de cette rencontre, avec la mémoire meurtrie de la Kabylie jusqu'à faire acte de repentance et demander le pardon de l'Etat, comme l'aurait très certainement souhaité les délégués des archs. S'il avait franchi ce pas, cela aurait eu une signification politique qui aurait complètement changé l'équation politique de la crise de la Kabylie. Le fait sera interprété, à bon droit, comme une reconnaissance officielle que les événements tragiques de la Kabylie relèvent de la responsabilité de l'Etat et non de dérapages d'agents de certaines institutions de l'Etat qui ont agi de manière isolée, comme cela avait été présenté par les pouvoirs publics. Par ailleurs et sur un plan purement local, la visite de Ouyahia en Kabylie ne manquera pas d'exacerber les luttes intestines qui traversent le mouvement citoyen. On a vu la violence du verbe utilisé par les antidialoguistes dans leurs commentaires sur la visite du chef du gouvernement ! Ce courant va très certainement utiliser cet événement pour tenter de mobiliser la population et peser dans le bras de force opposant les deux tendances du mouvement citoyen en diabolisant l'aile dialoguiste emmenée par Abrika, coupable selon les antidialoguistes de relations contre nature avec le Pouvoir. Le timing choisi par Ouyahia pour effectuer sa visite en Kabylie est certes motivé par le souci de donner un sens politique et une profondeur stratégique à son geste en faisant coïncider son périple dans la région avec une date symbolique chère à la population locale, à savoir la célébration d'un double anniversaire : l'assassinat de Massinissa Guermah et le printemps berbère. Mais au-delà de ce moment de recueillement que le chef du gouvernement a tenu à partager avec la population de la région, la visite d'Ouyahia en Kabylie dans cette conjoncture particulière n'est certainement pas sans rapport avec les luttes féroces autour de la dissolution des assemblées élues et du refus d'une partie des élus de la Kabylie, toutes sensibilités confondues, de rendre le tablier. Ouyahia s'invite à sa manière dans ce débat limité, pour l'heure, aux acteurs en présence : les partis politiques et les élus, en se présentant comme l'alternative et l'allié stratégique de la population dans cette confrontation interne. Il compte pour cela sur deux forces essentielles : l'aile Abrika du mouvement citoyen et la mémoire de Massinissa Guermah dont il a obtenu la bénédiction du père à l'occasion de sa visite en Kabylie. L'avenir nous dira si Ouyahia a fait le bon ou le mauvais choix. Et si Abrika et ses amis vont laisser leurs noms dans l'histoire de la région ou s'ils sortiront par la petite porte.