« La liberté de la presse a son cours aussi dans le monde, comme le dollar ou l'euro... » B. Mostefaoui El Watan 29 juin 2004 Nous sommes scandalisés à chaque fois qu'une autorité publique accuse la presse nationale de tous les maux, sans aucune preuve palpable. Mais enfin, de quoi cette presse est-elle coupable ? Est-elle coupable d'interroger le bon sens alors qu'elle n'a jamais prétendu le détenir seule ? Est-elle coupable de dévoiler des insuffisances quand, par elle-même, elle relève ses propres insuffisances ? Est-elle coupable de patriotisme alors qu'elle n'accuse personne de trahison ? Est-elle coupable de ne pas voir midi à la porte de l'Autorité (1) ? Ce n'est quand même pas la presse qui gère le pays ! Elle ne fait qu'informer sur la gestion et les gestionnaires comme la presse de tous les pays démocratiques ! Quelle presse voulez-vous Messieurs ? Nous, la presse que nous voulons, nous l'achetons chaque matin. C'est la loi du marché. Les titres que nous lisons, nous les devons au choix de notre esprit et de notre conviction librement exprimée depuis octobre 1988. Sans diminuer du mérite des titres que nous n'achetons pas. Au titre du respect que nous devons à leurs lecteurs, nos concitoyens, avec lesquels nous échangeons nos opinions sur telle ou telle information de tel ou tel titre. Et c'est fécond, croyez-nous. ça remplace tous les débats absents à la télé. Observez qu'avec le système français reconduit en Algérie, les mêmes causes produisant les mêmes effets, notre paysage médiatique ressemble, à s'y méprendre, à celui d'outre-mer : il est contestataire, revendicatif et ses surenchères servent à plus d'acquis économiques, sociaux, culturels et politiques au service du peuple et de la patrie. Et nous ne battons pas le pavé ! Même du temps du titre unique, en arabe et en français, on s'amusait à lire entre les lignes, pour déceler le message du journaliste. C'est ainsi que nous avons découvert M. Boukrouh dans El Moudjahid en 1978. M. Boukrouh est devenu ministre alors qu'il a visité « la ferme » en 1978. Tant mieux, si un opposant parvient à s'engouffrer là où il peut participer au redressement en se collant aux réalités « vraies » de la gestion. Et chacun est libre de ses convictions tant qu'elles ne sont pas imposées à autrui par la force de l'Autorité. Au demeurant, c'est un bon indice d'évolution des mœurs. Mais vous ne pouvez continuer à blâmer la presse sans fin. Si cette presse était mauvaise ou reprochable, elle n'aurait pas payé un lourd tribut à la démocratie. Interrogez les cimetières, leur terre est encore fraîche. Nous sommes en droit de chanter un hymne à leur repos éternel quel que soit leur sexe ou leur idéologie (aux martyrs pour que vive l'Algérie). La presse algérienne, formée de journalistes algériens, hommes et femmes, ne se croit pas au-dessus des lois. Loin s'en faut. A force de culpabilisation, l'autocensure se lit occasionnellement. Et pourtant, rien dans les écrits des journalistes de tout bord n'incite à la répression, fut-elle verbale. Tout y incite au débat. Et pour débattre, il faut être deux et plus. C'est le mépris, injustifié, que vous affichez à leur endroit, ajouté au déficit de l'information officielle, qui nourrit les rancœurs. Mais pour qui travaille la presse ? Pour nous comme pour vous, nom de Dieu ! Le jour où le cauchemar cessera, nous sommes sûrs que nous le lirons à la même place où aujourd'hui, chaque jour que Dieu fait, il est dit que « le cauchemar continue ». Qui se préoccupe de mettre fin à ce cauchemar ? Les journalistes sans aucun doute parce qu'ils respectent leur premier statut : ils sont nos serviteurs comme les boulangers qui, la nuit, pétrissent notre pain du matin. Au matin, chacun achète son pain et son journal, là où il veut. Si vous donnez des motifs de satisfaction aux journalistes, ils les rapporteront fidèlement, et ils cesseront de fumer du thé pour rester éveillés. Pourquoi voulez-vous que là l'esprit questionne le pourquoi, tellement l'irrationnel demeure frappant, aux quatre coins du pays, pourquoi donc voulez-vous que les journalistes acclament ? Lisez le courrier des lecteurs pour vous en convaincre ! La caution du journaliste ne peut pas s'obtenir, à moins de s'aliéner, sans raison de satisfaction des lecteurs qui sont les citoyens en quête d'informations et d'analyses intéressant, au premier chef, leur pays. Citoyens lecteurs, les journalistes ne peuvent pas leur mentir qu'il fait beau, alors qu'il pleut. Ils n'ont aucun pouvoir sur la météo, si ce n'est celui d'être les représentants, comparés aux députés, pourquoi pas, de leurs citoyens et de leur vie au quotidien. Sauf qu'ils ne font pas les lois, ils les commentent et décèlent les anomalies qui ne travaillent pas forcément l'intérêt général, et c'est leur droit de rapporter de telles analyses. A ceux qui les insultent, dans leur discours d'autorité, face auxquels le combat est inégal, d'apporter les clarifications ou les explications que ceux qui les lisent sont en droit d'attendre. Rien de tout cela. Coupable la presse ? La presse sera coupable le jour où personne ne la lira (2). C'est le respect d'un journal à ses lecteurs que de mettre la clé sous le paillasson. Sans l'intervention d'aucune autorité. C'est l'unique sanction acceptable et acceptée. La sanction du marché. Tant qu'un journal est lu, il a le droit de rapporter, même en se trompant, quitte à se rattraper. Les voies de recours existent pour tous les justiciables que nous sommes, administrateurs et administrés (la justice, la santé, l'éducation, les collectivités locales ne se trompent-elles pas ? Faites un tour du côté de la justice administrative et vous serez édifiés). Nous ne pensons pas que les journaux et les journalistes de ce pays cherchent des poux là où il y en a pas pour le plaisir de noircir du papier. D'ailleurs, la critique est faite plus aux politiques publiques qu'aux auteurs de ces politiques qui restent des hommes et des femmes publics soumis à la critique publique. Jugez par vous-mêmes. Récemment, un journaliste interroge le Premier ministre sur une lacune dans le dispositif de contrôle des deniers publics par la représentation nationale : l'absence de loi de règlement budgétaire. Que répond le Premier ministre ? Il disserte sur ce qu'est une loi de règlement budgétaire en bon énarque à qui je présente mes respects de condisciple. Est-ce la réponse qu'attendent les journalistes et leurs lecteurs qui sont, tous les deux, les sujets de droit du gouvernement auquel la question est posée ? La question posée par le journaliste (par le FMI aussi) est lourde de conséquences et d'insinuations. C'est quoi un gouvernement qui fonctionne sans le quitus de l'assemblée de son pays ? C'est quoi cette assemblée qui lui vote de nouvelles lois de finances sans avoir sous les yeux les lois de règlement des exercices passés ? Comment l'assemblée peut vérifier si les priorités du programme présidentiel, devenu programme gouvernemental, ont été financées correctement selon les objectifs affichés au début de l'exercice civil considéré ? Posez cette question au gouvernement relève-t-il de crime, de lèse-majesté (3) ? Ces questions se rapportent au respect de la Constitution et du droit, n'est-il pas légitime de s'en inquiéter quand les députés eux-mêmes ont posé la question à qui de droit, et à laquelle ils n'ont pas obtenu de réponse ? Les citoyens lecteurs ne sont-ils pas intéressés de savoir pourquoi le ministère des Finances ne produit pas ce quitus ? Dire qu'il existe des contraintes (lesquelles ?) est plus payant que donner un cours sur la loi de règlement budgétaire. Dites au moins que vous comptez le faire à l'avenir, histoire de nous faire patienter, et vous savez bien que nous sommes patients de naissance. A qui s'adresse ce cours qui n'est pas la réponse attendue à la question posée, aux téléspectateurs ou aux journalistes ? Et poser cette question fait-il de vous un hors-la-loi ? Un adversaire de l'autorité, un ennemi public du Premier ministre ? Présentez une loi de règlement budgétaire (c'est déjà fait par le passé) et le journaliste sera heureux de commenter les informations qu'elle véhiculera sur le comment une politique budgétaire est appliquée conformément à des choix politiques émanant d'une autorité élue par les citoyens lecteurs, électeurs, contribuables, fonctionnaires, travailleurs, etc. Donc cessez SVP d'accuser à tort et à travers la presse et les journalistes, car en le faisant vous nous donnez le sentiment que vous nous prenez pour des mineurs. Ils sont, jusqu'à preuve du contraire, nos ambassadeurs auprès de vos autorités révocables par les urnes de la démocratie. En plus d'être journalistes, ils sont des contribuables, citoyens et électeurs. Tous ces attributs font d'eux les dignes représentants de nos opinions au jour le jour et contrôleurs de nos finances publiques. Et ils prolongent le travail de nos députés et éclairent les décideurs sur les gaspillages, les abus de pouvoir, sur les tendances et les soucis de leurs concitoyens (4). Ils forment l'opinion publique, y compris de l'opposition, même si cette dernière ne représente que 15%. En vérité, ces 15% sont à ajouter aux 40% qu'on appelle la majorité silencieuse, la majorité qui ne vote pas, ce qui donne un total de 55%. Alors au nom de ces 55% laissez la presse faire son travail et faites le vôtre conformément aux lois de la République pour que nous puissions vous suivre et vous comprendre. Nous jugerons les uns et les autres selon notre profonde conviction qui ne saurait s'accommoder d'aucune compromission. Et c'est politique. Vraiment politique selon le sens noble de ce terme (sagesse, bonne gouvernance). Et qui a dit que la presse est apolitique ? Devra-t-elle être une presse partisane pour faire et la politique et le journalisme ? Allons donc à l'Etat de droit, seul il acceptera une presse libre de droit. Un journaliste n'est jamais un terroriste car, par sa propre plume, il peut revenir sur son erreur ou sa faute, mais un terroriste ne peut arrêter la balle qu'il tire sur un homme condamné, dans le secret des sectes, sans aucun moyen de défense, eut-il un dernier cri de prière pour l'épargner. Nous pouvons aimer tous les Benchicou d'Algérie sans que cet amour nous prive de leur dire que rapporter dans un livre que M. Bouteflika, ou un autre, ne maîtrise pas l'anglais ne nous intéresse pas. Il n'est exigé nulle part qu'un candidat à la présidence de la République ou un ministre des Affaires étrangères en Algérie doive être polyglotte. Cela ne nous prive pas aussi de les défendre face à l'injustice bête et méchante qui met en prison la liberté. C'est cela notre contrat avec la presse de notre pays : ils écrivent ce qu'ils veulent bien écrire, et nous lisons ce que nous voulons bien lire (n'insultez pas l'intelligence de ce peuple qui n'est pas mineur, la France l'a payé très justement pour n'avoir pas compris). Du reste, aucun journal n'a attribué de cartes de lecteurs, alors ? Alors, presse de mon pays, je te salue... Je souhaite terminer par un verset du saint Coran que nos journalistes gagneraient à en faire un credo : « Ô vous qui avez cru ! Si un pervers vous apporte une nouvelle, voyez bien clair ‘‘de crainte'' que par inadvertance vous ne portiez atteinte à des gens et que vous ne regrettiez par la suite ce que vous avez fait. » Sourate 49 Al Hujurãt, verset 6. Et par un autre que nos gouvernants et nos concitoyens devraient méditer profondément : « Et ne dévorez pas mutuellement et illicitement vos biens, et ne vous en servez pas pour corrompre des gouvernants (el houkkem dont les juges) pour vous permettre de dévorer une partie des biens des gens, injustement et sciemment. » Sourate 2 Al Baqarah, verset 188. Notes de renvoi : 1) La presse a été accusée de divulguer des secrets touchant à la sécurité globale du pays. Pourquoi alors ne pas institutionnaliser le travail de coordination de la presse avec les services de la veille technologique et de l'intelligence économique si tant est qu'ils existent ? Sans que les représentants de ces services ne s'érigent en directeurs de conscience, mais en aiguilleurs de l'information publique critique. A-t-on formé les journalistes dans ce domaine précis ? 2) Inquiétez-vous plutôt, en raison d'un principe constitutionnel : « Nul n'est censé ignorer la loi », du fait que le peuple ne lit pas le Journal officiel de la République qui n'est ni vulgarisé ni vendu sur la place publique. 3) Ecrire aussi un tel article ne fait pas de moi un ennemi de l'Etat ou un indicateur de la presse. Comme les journalistes, je souhaite un Etat fort par ses idées, pas par ses menaces ou ses accusations fortuites. 4) S'il pouvait exister un service de revue de presse hebdomadaire dans chaque département ministériel, il y a de quoi élaborer un bon feedback, à moindre coût, susceptible d'aider à la bonne décision. Sur un quotidien national de 2001, Driss Djazaïri, notre représentant à Washington, dans une contribution remarquable, avait déjà prévu un baril à 100$. Voyez que la presse peut servir la prévision.