A ce jour, Israël dispose de cinq écoles de cinéma et d'une seule cinémathèque installée à Tel-Aviv, la ville la plus pacifiste du pays. Dans ces lieux naissent des vocations et des envies de tourner des films, dont les sujets tournent toujours, et d'une façon obsédante, autour de cette réalité nationale, tourmentée, fragmentée, culpabilisée, arrogante, violente et, en fin de compte, complètement déboussolée et contradictoire. Il est impossible de ranger les œuvres de fiction en une seule catégorie. En effet, dans cette cinématographie se côtoient des comédies douces-amères (Desesperado Square de Beni Torati, qui a, lui, rempli les salles du pays !), des polars à l'humour corrosif (L'Angle parfait d'Odev Davidoff), des films existentialistes (Liaison urbaine de Jonathan Sagall), des œuvres à mi-chemin entre le polar et le film d'espionnage où le Mossad est férocement critiqué (Girafes de Tzahi Grad), etc. Dans cette production, on trouve même un film destiné aux préadolescents (Santa Clara de Yossif Altmann), qui dénonce les falsifications officielles de l'histoire d'Israël et propose une autre lecture de cette histoire vouée à la guerre, à la haine et à la mort. Mais c'est le conflit israélo-arabe, bien entendu, qui occupe la place la plus importante dans la cinématographie israélienne contemporaine. Surtout que les réalisateurs portent souvent un regard très critique sur certains pans de leur société, ceux où règne le culte de la force brutale, de l'obscurantisme et de l'intolérance. Dans les années 1980, La vie selon Affa avait rencontré un peu partout dans le monde un succès d'estime et reçu un très bon accueil de la critique internationale. Ce long métrage réalisé par Assi Dayan, le fils du terrible général Moshe Dayan ! décrivait avec une acuité féroce et une grande lucidité les militaires de Tsahal, brutes racistes capables d'une cruauté incroyable et vouant un culte à la fois hystérique et schizophrénique pour la violence et la guerre. Mais c'est l'immense Amos Gitaï qui reste le plus grand réalisateur israélien de tous les temps, très connu dans le monde entier et ignoré dans son propre pays. C'est le chef de file de ce cinéma et le maître incontesté de l'école de la cinématographie israélienne. Kadosh, son meilleur film certainement, était une peinture effrayante des milieux juifs ultraorthodoxes, de leurs dogmes, de leurs règles de vie, dans une mise en scène d'une beauté et d'une complexité époustouflantes. Si Eden (1970), le premier film d'Amos Gitaï, rappelait les principes fondateurs de l'Etat d'Israël, avec beaucoup de sérénité et une certaine complaisance, trente ans après, le plus grand cinéaste israélien est envahi par l'amertume, le désarroi et surtout par cette question obsédante qui revient, en filigrane et d'une façon très subtile : comment un peuple si malmené par l'histoire peut-il en faire souffrir un autre d'une façon aussi horrible ? Dans Kippour, le réalisateur de génie et de lucidité racontait la guerre. Sa guerre à lui, pour laquelle il avait été remobilisé en 1973. Ce film est une fiction qui refuse toute exaltation de l'héroïsme ou de la bravoure débiles. Récemment, en 2000, est sorti Mariage tardif de Dover Kosashvili, qui, dans la veine d'Amos Gitaï, évoque l'opposition entre tradition et modernité, mariages forcés (comme chez nous !) et soifs de liberté. Film presque superbe qui n'oublie pas que les techniques de la créativité et l'esthétique du mouvement sont les fondements de l'art cinétique et que la thématique ne doit jamais occulter la poétique. Moins connu, Asphalte jaune de Danny Verete évoque, lui aussi, l'archaïsme d'une certaine mentalité juive, à travers un récit qui met en opposition la civilisation « occidentalisée » des Israéliens et les coutumes d'une tribu de bédouins palestiniens dans le désert du Neguev. Ce film, interprété par des acteurs juifs, musulmans et chrétiens, au sujet duquel Danny Verete, le réalisateur, dira : « Mon film aborde le colonialisme israélien et met en évidence les origines profondes et réelles du conflit actuel. » Ce film, qui a remporté plusieurs prix dans différents festivals internationaux, a été totalement boudé par le public israélien, qui n'a pas accepté l'analyse des causes historiques et la lucidité de la démonstration impeccable du réalisateur. Et l'on peut continuer à évoquer quelques dizaines de films réalisés par des cinéastes vivant en Israël et qui dissèquent d'une façon implacable la société, le militarisme, l'origine coloniale de l'Etat sioniste d'une façon si clairvoyante qu'elle en est déroutante.