C'est un Merzak Allouache sage et serein qui s'est présenté à nous, lors des rencontres cinématographiques de Béjaïa, dédiées à la «femme au cinéma» cette année... Le père de Omar Gatlato et de Chouchou était l'invité d'honneur, jeudi dernier, des «Rencontres cinématographiques de Béjaïa» qui se tiennent depuis le 28 mai et s'étaleront jusqu'au 2 juin. L'ouverture de cette manifestation, qui en est à sa 6e édition cette année, a eu lieu quant à elle, la veille, soit mercredi, en présence des invités de la manifestation, notamment les réalisateurs, le nouveau directeur de la cinémathèque d'Alger, Hmed Benkemla et des autorités locales. C'est la Maison de la culture de Béjaïa qui abrite cette année cet événement, dédié à «la femme au cinéma», la Cinémathèque de Béjaïa étant en rénovation, conformément au plan de restructuration des salles de cinéma, instauré par la ministre de la Culture Khalida Toumi. «On a choisi le cinéma de femmes comme thème des rencontres de cette année, car la femme sait mettre le doigt, là où ça fait mal, et contribue ainsi à nous réveiller....», dira Abdenour Houchiche, président de l'association Project' heures, l'organisatrice de l'événement. Revenant à Merzak Allouache qui a été accueilli comme une star, jeudi, ce dernier donnera devant un public très attentif, sa «leçon de cinéma» où il est revenu sur son parcours du combattant et la situation du cinéma aujourd'hui. C'est un Merzak Allouache plutôt simple et sans concession que nous avons aussi retrouvé après cette séance avec le public où il retracera son parcours, non dénué d'embûches selon lui. Sans émettre de jugement sur le cinéma algérien a fortiori, les dernières productions, car tout simplement ne les ayant pas vues, Merzak Allouache préférera évoquer son expérience et parler de ses projets, sans aucune animosité mais avec une pointe de désapprobation quant au rejet du scénario de son film Tamanrasset, par le commissariat de «Alger, capitale de la culture arabe»... L'Expression: En tant qu'ancien et grand réalisateur, ne pensez-vous pas avoir une certaine responsabilité dans la transmission de cette flamme du cinéma et ses techniques aux jeunes cinéastes d'aujourd'hui? Merzak Allouache: Je considère que je suis responsable de rien. Moi, j'essaie de tourner des films. On ne porte pas l'Algérie sur le dos. Je n'ai aucune autocritique à faire. Je ne suis pas responsable. J'ai commencé dans des conditions très difficiles, dans un environnement certes plus facile, car il y avait des salles, un public. On a été rejeté par tout. Sur les 2000 personnes qui voulaient faire du cinéma seules quelques-unes ont pu le faire et ont réussi. Aujourd'hui, il y a de nouveaux moyens, notamment financiers, qui s'offrent à la nouvelle génération et c'est aux institutions culturelles de s'en charger. Je ne me sens pas vraiment responsable de leur formation. Chaque cinéaste essaie de sauver sa peau comme il peut. Moi, je suis resté en France pour faire des films de façon professionnelle. Un mot sur votre film culte, Omar Gatlato? Il faut savoir que les premiers cinéastes arrivaient dans une période où l'on sortait de la guerre de Libération. Moi, je suis arrivé à un moment où les jeunes se sentaient un peu perdus. L'Algérie, disait-on, vivait une période de transition, la mal-vie. Moi je voulais parler de mon quartier, Bab El Oued, des jeunes. C'est parce que j'ai envie de raconter des histoires qui m'intéressent. Je regarde quelle est la préoccupation du moment. J'ai fait, durant ma carrière, des films bons et d'autres moins bons. J'essaie de ne pas être en situation de raconter une histoire imposée. Les cinéastes qui vivent en France font parfois des concessions par rapport au contenu de leur film. Ils critiquent l'Algérie. Ce n'est pas toujours facile. Le cinéma c'est une économie, une industrie. Des producteurs peuvent intervenir sur le scénario. Ils ont ce pouvoir. Notamment de démolir l'Algérie. Mais ce n'est pas sûr que ce film ait un bon écho par la suite en Algérie. Moi, j'essaie de faire le moins possible de concession. Pensez-vous que la comédie est un tremplin pour accéder au succès et gagner l'adhésion du public? Quand j'ai tourné Chouchou, je sortais d'un flop commercial, en le film L'Autre monde. Je ne savais pas comment le producteur allait évaluer, après, ma valeur auprès du public. Je savais qu'avec la comédie on passait mieux certaines choses. Grâce à cette comédie j'ai pu parler d'immigration, d'exclusion, de tolérance... Votre actualité? Actuellement, je travaille sur mon nouveau film qui traite des harraga. Un sujet très à la mode, qui concerne les jeunes et mérite qu'on en parle. Je suis en plein repérage et montage du projet. A la recherche de lieux et d'acteurs. Je compte aller au Festival du théâtre amateur de Mostaganem. Je recherche des figures nouvelles...Le problème est qu'on n'arrive pas à faire des films qui soient vus dans des salles. A Alger, il y en a à peine trois peut-être. Avec Omar Gatlato j'ai sillonné le territoire. Or, on considère, là-bas que l'Algérie est riche. On se demande pourquoi venir en France pour faire un film sur l'Algérie. Je vois beaucoup de films, avec sur le générique, l'aide de l'ambassade de France. Moi, je donne raison à ces réalisateurs, sinon on ne ferait pas de films...Parfois j'ai envie de faire des choses légères comme Chouchou, après, quand je suis pessimiste, parler d'autre chose, comme dans l'Autre Monde (projeté jeudi soir à la Maison de la culture Ndlr)...Quand j'ai présenté Bab El Web en Algérie, j'ai ramené que trois copies, qui ne m'ont rapporté aucun sou. Il fallait en plus expliquer au douanier l'utilité de ces bobines...Or, Omar Gatlato, a été montré à Béchar, à Tiaret... Pourquoi votre absence de l'événement «Alger, capitale de la culture arabe»? Je n'étais pas là. Je n'ai pas vu ces films. J'ai présenté le scénario du film Tamanrasset qui a été rejeté par la commission de lecture. Je respecte les décisions même si je ne partage pas l'avis. Je n'ai pas reçu d'aide. J'ai été donc le tourner au Maroc. C'est devenu un téléfilm qui a déjà été présenté sur Arte. On m'a dit qu'il ne pouvait pas être tourné en Algérie. Il n y a pas de problème, l'essentiel est d'avoir tourné mon film. Ça traite des clandestins subsahariens qui traversent les frontières algériennes via Tamanrasset, pour aller vers le Maroc. J'ai écrit donc une fiction avec comme toile de fond Tamanrasset qui est une ville touristique où on peut faire des publicités. C'est aussi un lieu de passage de ces malheureux Africains qui sont malmenés partout où ils passent, jusqu'à leur arrivée en Europe, où ils sont encore malmenés. C'est un phénomène de société qui touche de nombreux pays, les Algériens aussi et tout le Maghreb. Aujourd'hui faire un film coûte beaucoup, mais l'argent et les moyens ne suffisent pas, surtout en Algérie. Que faire? Un film coûte effectivement cher. Parfois on parle de milliards. A titre d'exemple, quand on a tourné Bab El web, à Alger et Béjaïa, j'ai bénéficié de l'aide du ministère de la Culture, de la Télévision algérienne et du commissariat de L'année de l'Algérie en France. Ces trois, réunis, m'ont servi à payer l'hôtel où étaient hébergés mon staff technique français et notamment le comédien Samy Nacéri qui buvait tout ce qu'il trouvait à boire, à l'hôtel...(sourire). Tout cela pour vous dire, qu'avec toutes ces aides, on ne peut pas mixer un film, finir de monter un film sérieux. Sauf que les moyens dont dispose un cinéaste aujourd'hui, sont plus sophistiqués qu'à notre époque. Avant, le Fonds Sud permettait de faire vivre le cinéma africain, ce fonds aujourd'hui s'est ouvert à d'autres continents. On ne voit plus de films africains. A notre époque aussi, il y avait l'Office du cinéma. On était salarié, certains percevaient un salaire et ne faisaient pas de films. Une situation défavorable et favorable à la fois que vous viviez vous aussi d'une autre manière... Vous considérez-vous comme un cinéaste exilé? Je n'en suis pas un. Je vais et reviens dans mon pays. Je suis allé en France pour des raisons professionnelles. Je suis né en Algérie, mes repères sont ici. Je me suis senti peut-être en situation de séjour forcé entre 1994 et 2000. Je me suis protégé en partant en France. Quand j'ai tourné Salut cousin, là peut être on peut sentir ce côté «nostalgie»...Il y a beaucoup de choses à raconter sur l'immigration. D'ailleurs, je suis sûr que beaucoup de jeunes cinéastes mijotent déjà le rêve de partir... Quel regard portez-vous sur le feuilleton Babor Dzaïr? Ce fut un accident de parcours. Mais on s'est bien amusé. Tout ce que je peux dire, est que la réalité dépasse la fiction. Et je n'ai pas touché 37 milliards comme il a été dit. J'aurais souhaité pourtant, pour m'acheter une maison...