Actuellement en tournage, le film Chacun sa vie traite non seulement du désir, pour un émigré, de retourner mourir dans sa terre natale mais aussi de la fracture générationnelle. Il a plusieurs casquettes qui sont autant de passions. Réalisateur, il a signé notamment les films Mektoub (prix médaille d'argent de la ville de Vérone, Italie, 1971), L'autre France, Une femme pour mon fils. Ali Ghanem s'est essayé au journalisme «parce que j'avais envie d'interviewer les gens pour apprendre» dira-t-il. Il animera aussi plusieurs conférences à travers le monde. Ali Ghanem a toujours eu comme moteur de son travail l'analyse de la société et mise en évidence de sa réalité que ce soit des Algériens d'ici ou de là-bas... Sans fioriture. L'Expression: Vous êtes actuellement en tournage d'un nouveau film intitulé Chacun sa vie. Peut-on en savoir plus? Ali Ghanem: C'est l'histoire d'une famille algérienne dont le père veut retourner en Algérie mais ses enfants refusent de le suivre. Suite à ce refus, c'est le drame au sein de la famille. Le père a construit cette famille et cela fait 40 ans qu'il vit en France. Il a toujours rêvé de retourner dans son pays d'origine. Mais à la fin, il est lâché par sa famille. C'est un drame. C'est un sujet d'actualité qui sort de l'ordinaire. Je n'ai pas voulu montrer les Maghrébins tels qu'ils sont décrits habituellement, c'est-à-dire vivant dans des bidonvilles et subissant le racisme. Je montre plutôt une famille standard. Le père travaille dans une morgue, sa fille prend des cours de piano, le garçon est plus ou moins animateur culturel dans une maison de jeunes. La 2e fille, 30 ans, divorcée, vit à la charge de la famille. Ce sont des gens qui vivent dans la société française et ce, pour donner l'image du vécu d'une famille ayant réussi. Cependant, il se produira une cassure au sein de cette cellule eu égard à une certaine modernité, à l'évolution de la société... La mère suit le raisonnement de ses enfants tandis que le père voit son rêve se briser... Peut-on connaître l'aspect technique du film et comment est-il financé? Cela fait 4 ans que je travaille sur ce film parce que j'en suis le producteur. Il est financé notamment par la Télévision algérienne. C'est une grande aventure parce que le cinéma coûte très cher. J'ai sollicité aussi le soutien du ministère de la Culture. Etant mon propre producteur, j'ai ce privilège de tourner quand je veux et quand je peux. J'ai déjà tourné la partie française et j'ai entamé la partie algérienne le 31 mai dernier. Comment a été effectué le choix des acteurs? C'est un cocktail composé de comédiens algériens, tunisiens et marocains. La fille qui joue du piano est d'origine tunisienne, le garçon d'origine marocaine, la seconde fille est algérienne. Le personnage principal est marocain, sa femme aussi, son ami est algérien. Le thème idem. Ce sont des comédiens professionnels qui évoluent aussi au théâtre. Ce sont des tête passe-partout. Je suis très réaliste dans mes propos, mon écriture... Pourquoi ce sujet aujourd'hui? Comme vous disiez tout à l'heure, j'ai fait beaucoup de films à caractère social parce que, quand je suis parti en France, en 1963, pour apprendre le cinéma, j'ai été à l'époque frappé et même surpris par les difficultés qu'on rencontre là-bas, notamment le problème du racisme, du mépris. Comme j'ai vécu au Quartier latin, j'ai tout de suite été politisé. J'ai pris conscience de ma situation de Maghrébin et j'étais aussi influencé par le milieu que je fréquentais, j'ai donc réalisé mon premier film, Mektoub, sorti en 1970. Il a eu beaucoup de succès car c'était le premier film algérien qui traitait du monde ouvrier, des bidonvilles, du racisme et du regard colonial sur l'Algérie. Dès le départ, j'ai opté pour ce genre de sujets car en rapport avec mes origines. Le drame pour ce film, malgré le succès qu'il a obtenu à l'étranger, est qu'il n'a jamais été diffusé en Algérie, sauf à la cinémathèque. Les responsables de la Télévision l'époque ont refusé de l'acheter parce qu'on disait qu'il faisait honte à l'Algérie. Parce que j'ai montré les bidonvilles, le racisme, la lutte des Algériens dans le monde ouvrier. On était fraîchement indépendants, donc cette image ne pouvait pas passer... J'ai trouvé le rejet de mon film extrêmement scandaleux. Cela n'a pas empêché mon film de tourner en Algérie grâce aux ciné-clubs. J'ai toujours été intéressé par le cinéma d'auteur, le cinéma de combat. J'ai toujours provoqué les choses pour dénoncer des situations qui m'ont frappé, notamment en France. Quand j'y suis parti, je rêvais en même temps de faire des films policiers. En définitive, malgré mon âge, je n'ai pas fait les films que je voulais et j'étais pris par autre chose. Ce qui m'a influencé était le monde ouvrier, peut-être à cause de mes origines. J'ai vécu avec des amis qui étaient tous des militants politiques, des intellectuels. Ma chance a été quand je suis parti de Constantine et de m'être trouvé directement au quartier latin car on m'en avait beaucoup parlé. J'étais ébloui par ce monde-là qui m'a appris plein de choses exceptionnelles, moi qui étais un ignorant de première classe. J'ai fréquenté tous ces artistes en vogue dans les années 60 et 70. Je ne veux pas me vanter... J'ai rencontré notamment Costa-Gavras, Marguerite Duras, Jean Paul Sartre, François Mitterrand. J'ai eu cette chance de nager dans ce milieu-là... Où comptez-vous tourner en Algérie? Nous allons tourner au port d'Alger, à Boumerdès, Bordj El Bahri, Bordj El Kiffan. Comme le personnage principal est en crise, il voudra venir avec sa fille la pianiste, avec qui il est très complice. Il viendra alors et il regardera l'Algérie. Une façon de dévoiler l'Algérie d'aujourd'hui avec ses hittistes et les gens. A la fin, on le voit dans sa maison, dans son jardin, au milieu des rosiers, car il est très attaché à sa demeure. Il ouvre le portail, mais on ne sait pas s'il va retourner en France. C'est un regard à la fois sur mon personnage et celui que je porte sur l'Algérie. Quelque part, le jardin c'est moi. Personnellement, quand je serai fatigué, je rêverai d'aller me prélasser dans mon jardin. Mon père était fermier dans la région de Oum El Bouaghi. A l'âge de 10 ans, j'étais un admirateur invétéré d'une ferme de colon. J'aimais beaucoup passer par son jardin afin de humer les roses. Cela m'a marqué. J'en parle dans mon second livre, C'est quoi le bonheur qui sortira chez Flammarion. C'est pourquoi j'ai aménagé un jardin car c'est quelque chose dont je rêvais depuis l'âge de 10 ans. Que pensez-vous du cinéma algérien actuellement? Je peux dire, en tant que réalisateur, que c'est une catastrophe. Pour dire qu'il y a un cinéma algérien, il faut qu'on fasse 10 à 15 films par an. Les cinéastes algériens, dont je fais partie, sont des mendiants. Ils passent leur temps à mendier de l'argent à l'étranger. On mendie de l'argent à des producteurs privés ou à des organismes d'Etat et européens. Ou plus, on traite de sujets arabes et maghrébins qui nous concernent. Donc, je considère que l'Etat algérien n'a pas une politique de suivi concernant la culture en général et le cinéma en particulier. Je trouve scandaleux de parler de l'Egypte comme grand producteur de films alors qu'il n'y a pas de coproduction entre l'Egypte et l'Algérie, exception faite avec Youcef Chahine à qui on a donné de l'argent, à trois reprises, pour faire des films. Or, les films algériens n'ont jamais été diffusés en Egypte! Y compris Chroniques des années de braise. Ni en Egypte, ni en Syrie, ni en Arabie Saoudite, ni en Irak ! Ils n'achètent pas les films algériens parce que soi-disant, ils ne parlent pas arabe. Par contre, ils achètent les films américains et français et les sous-titrent. Ils n'ont qu'à sous-titrer les nôtres dans ce cas et à nous de faire de même. Je peux citer également mon film Une femme pour mon fils, qui a eu un prix à Venise et du succès à l'étranger. Il faut que l'Etat donne de l'argent au cinéma, à la littérature, à la peinture, etc. Notre président est un homme cultivé, par conséquent, il connaît l'importance de l'âme culturelle d'un pays. La Télévision aide à la production mais elle est concurrencée par la parabole et les jeunes se tournent vers les chaînes étrangères. Cependant, moi, je trouve qu'il y a un assez bon programme pour les jeunes. J'adore par exemple Marhaba et Saraha Raha qui traitent de thèmes assez intéressants. C'est pourquoi je dis qu'il faut encourager les jeunes et développer la culture, qui, elle peut sauver notre pays. Ainsi, on avancera.