« L'homme est né libre, et partout il est dans le fer. » J.-J. Rousseau - Le Contrat social Tout comme une seule hirondelle ne fait pas le printemps, aucune journée commémorative des droits de l'enfant, fut-elle mondiale, ne permettra à l'enfance de vivre la douceur du printemps. Ephémère, donc sans lendemain, cette approche doit être bannie si une volonté réelle existe pour une prise en charge effective de l'enfant qui, faut-il le rappeler, est un citoyen en devenir. Aussi cette tactique de l'intervention ponctuelle sied mal à une stratégie devant réaliser les objectifs onusiens du millénaire qui tendent à la réalisation du développement humain durable ; tâche colossale, mais pas insurmontable si on aspire à valoriser notre contribution à la civilisation humaine à travers nos enfants élevés dans le respect des valeurs qu'a l'humanité en partage. Dans ce cadre, et reconnaissant que la construction d'un être humain est une entreprise à la fois fragile et complexe, l'Algérie à l'instar des autres pays a ratifié un texte valable pour tous les enfants du monde : la Convention internationale des droits de l'enfant. L'Algérie, étant membre de l'Union africaine (ex-OUA), a aussi ratifié la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Ces deux instruments constituent l'aboutissement d'un long processus lancé au siècle dernier pour reconnaître que les enfants sont des êtres humains particulièrement vulnérables, dont les besoins sont particuliers. Une lecture attentive du contenu de ces deux textes nous révèle que plus que de simples catalogues des droits de l'enfant, la Convention et la Charte constituent à juste titre une liste exhaustive des obligations que les Etats consentent de contracter vis-à-vis des enfants. Les dispositions contenues dans l'article 3 de la Convention et l'article 4 alinéa 1 de la Charte sont autant de défis à relever. En effet, aux termes de ces dispositions, l'Etat a le devoir d'agir dans l'intérêt supérieur des enfants à l'occasion de l'élaboration de ses politiques en matière des droits de l'homme en général et des droits de l'enfant en particulier. Cela nous renvoie évidemment à la problématique de la mise en œuvre des principes des Conventions ratifiées qui supposent leur intégration dans le droit national. Au niveau international, les réponses des Etats et des gouvernements pour relever ce défi se sont inscrites dans une triple perspective : 1 Le changement des lois internes de façon qu'un enfant ne puisse plus être en butte à la discrimination, en raison de son âge (ex. l'Afrique du Sud, l'Angola, le Paraguay et le Togo). 2 Création d'institutions nationales, dont la mission principale sera la promotion et la protection des droits de l'enfant. La Norvège a été la première à instituer un médiateur pour les enfants. 3 Elaboration d'une législation spéciale pour les enfants, à l'instar du Botswana, du Honduras, du Royaume-Uni et d'autres pays. En ce qui concerne l'Algérie, et à l'occasion de la présentation de son rapport initial au comité des droits de l'enfant, ce dernier a noté « avec intérêt que les dispositions de la Convention sont directement applicables et peuvent être directement invoquées devant les tribunaux » (CRC/C/15 /Add.76 du 18 juin 1997). Le comité souligne, cependant, dans son observation générale n° 5 CRC/GC/2003/5 du 27 novembre 2003, chap. IV paragraphe 19 que « ... particulièrement importante est la nécessité de déterminer clairement le degré d'applicabilité de la Convention dans les Etats où le principe de ‘‘l'application directe'' est en vigueur et dans ceux où il est affirmé que la Convention ‘‘à rang constitutionnel'' où a été incorporé à l'ordre juridique interne ». Par ailleurs, « il accueille avec satisfaction l'élaboration de codes relatifs aux droits de l'enfant qui peuvent mettre en évidence et souligner les principes énoncés dans la Convention » (paragraphe 22 du même chapitre cité ci-dessus). Ratifiées par l'Algérie respectivement depuis 12 et 3 ans, la Convention internationale des droits de l'enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant font aujourd'hui l'objet d'une application nuancée. La moisson demeure maigre D'aucuns estimeront que la situation comparativement bonne de l'enfance en Algérie ne justifierait pas une telle remarque. Pourtant, force est de constater que la moisson demeure maigre, sinon inexistante en matière d'affaires judiciaires où les stipulations des deux instruments ont été soulevées. Dans la perspective de combler cette carence, un rapport sur un projet de loi pour la protection de l'enfance a été présenté par le département de la justice comme le produit d'une collaboration intersectorielle. L'initiative en elle-même ne peut être que louable, néanmoins j'estime qu'elle n'a pas requis toutes les conditions objectives pour arriver au résultat escompté. En effet, aucun expert algérien (il en existe cinq ; quatre au sein des comités onusiens de surveillance de l'application des traités, notamment celui des droits de l'enfant et le cinquième au sein de l'arrangement régional africain) n'a été associé à l'élaboration de ce texte et l'institution algérienne en charge de la promotion et de la protection des droits de l'homme n'a été ni sollicitée ni associée à ce travail. L'entreprise étant toujours à l'état de projet, il serait hautement souhaitable de l'enrichir au cours des différentes étapes qu'elle aura à franchir avant de prendre place au sein de la pyramide juridique. Il s'agit en premier lieu de s'assurer qu'il n'y aura pas de contradiction entre ces nouvelles règles et les stipulations des codes fondamentaux, à savoir le code civil, le code de procédure civile, le code pénal et le code de procédure pénale ; en deuxième lieu, le texte proposé doit embrasser tous les aspects de la vie de l'enfance qui peut être facilité par l'adoption d'une approche globale et non sectorielle des droits de l'enfant. En effet, faudrait-il rappeler que les droits de l'enfant, comme ceux de tout être humain, sont fondamentalement de deux sortes : des droits d'action (droits civils et politiques) et des droits d'obtention (droits économiques, sociaux et culturels) ; et que les moyens juridiques pour l'exercice et la protection de ces droits diffèrent selon la catégorie dont il s'agit. En troisième lieu, il serait impératif d'assurer à ce nouveau texte une applicabilité effective en bannissant le recours en son sein à des renvois à d'autres textes qui seront ultérieurement pris. L'exemple de la loi n°02-09 du 8 mai 2002 relative à la protection et à la promotion des personnes handicapées est une illustration parfaite de la situation qui nous préoccupe. Enfin, ce texte ne doit pas être perçu comme une réponse à une situation d'urgence ni conçu comme une fin en soi. Il doit être l'expression de la maturation d'une réflexion autour de la condition de l'enfance en Algérie qui se caractérise par sa situation d'être dans « la demeure entre les deux demeures », concept emprunté à l'école de pensée moutazilite et qui, appliqué à notre propos, veut dire que l'Etat de nos enfants n'est ni celui qui prévaut dans les pays scandinaves ni celui qui a cours dans les pays du Sahel africain. Et au-delà de garantir une meilleure insertion des instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l'enfant dans le droit algérien, nos enfants sont en droit d'attendre du projet de texte législatif, considéré à ce qu'il constitue une réponse adéquate à la question de savoir quelles sont les voies à suivre en matière de réforme à même de leur garantir les conditions de leur épanouissement, aussi bien à l'échelle de la famille qu'à l'échelle de la société, et à leur permettre de se développer à la faveur de l'élaboration de normes et de la mise en place de mécanismes de mise en œuvre opérationnels. Par ailleurs, eu égard aux contenus de l'article 4 de la Convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 5 alinéa 2 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant - soulignant l'importance des ressources, dont pourrait disposer chaque Etat partie pour la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels -, il serait judicieux que le projet soit inscrit dans la durée, ce qui exige de ses rédacteurs une capacité à se projeter dans le futur, car personne ne pourra prédire avec exactitude quelles seront les capacités budgétaires de l'Algérie de demain.