Roman après roman, Salim Bachi enfile des perles. Il s'impose comme écrivain incontournable, presque timidement, avec son talent pour seule arme. Avec Sindbad, il devient conteur oriental où le fantastique se mêle au réel. Quand le Dormeur et le Harraga se rencontrent… C'est une odyssée des temps modernes, une aventure où le héros quitte Son Ithaque, Carthago, Alger, par nécessité, car, n'est-ce pas, ce qu'est devenue Alger, tout ça pour ça ? Ah, l'indépendance confisquée, les fleuves détournés. Les héros sont fatigués, alors quand le dormant se réveille, l'heure des comptes a sonné. Salim Bachi convoque la légende, les Ecritures, le fantastique pour ce conte actuel. Avec un talent indécent, il se joue des modes littéraires. L'enfant de Annaba convoque ses classiques pour une œuvre forcément ambitieuse. Le Dormeur, le Chien et Sindbad sont trois personnages attachants, traversant le monde comme des missionnaires. Sindbad renaît dans une Algérie schizophrénique, soumise aux caprices de Chafouin 1er. Toute ressemblance avec des personnes existantes n'est pas pure coïncidence. Et pour ça, il est servi par l'actualité. Sindbad est un harrag, ce brûleur de papiers d'identité et de frontières, cet exilé pas si volontaire que ça. La désespérance pousse les jeunes à défier la Méditerranée pour un eldorado fantasmé. Et comme l'humour est le meilleur remède contre une réalité pour le moins écrasante, rire pour ne pas mourir. Sindbad a la tchatche d'un Algérois en mal de liberté. Et le Chien ? Le chien a faim, toujours. Ses proies, d'anciens bourreaux, des tortionnaires. Il participe au tri sélectif, en humanisant l'humanité, car quand il faut passer à la caisse, le futur est des plus incertains. «Tu es venu voir ce qu'ont fait les hommes de ce pays ? Tu es là pour le jugement ? Mon père m'en parlait souvent. Il me disait : ‘‘Le jour où chaque homme trouvera présent devant lui ce qu'il aura fait de bien et ce qu'il aura fait de mal, il souhaitera qu'un long intervalle le sépare de ce jour''. Ce jour est-il advenu pour que nous ayons peur de toi ?». Faut-il avoir peur du dormant ? Le justicier n'a pas de glaive, mais un chien. Et il n'est pas corruptible. Salim Bachi parle des choses tragiques avec une légèreté salvatrice. Ou le contraire. Il convoque la mythologie pour dire aujourd'hui. Le sans-papiers porte un nom : Ulysse, Sindbad Amours et aventures de Sindbad le marin (Gallimard) est un livre majeur.Il est temps que Salim Bachi décroche un grand prix.Ce serait trop injuste s'il rate le Renaudot cette année. Coup de cœur d'El Watan. Faudrait peut-être dire aux jurés que le dormant s'est réveillé.