Les diplomates américains sont-ils devenus tous des espions ? C'est du moins l'impression que donne le site d'information WikiLeaks dans la publication depuis dimanche dernier de 251 287 messages d'ambassades (embassy cables). Cela suffit au quotidien britannique The Guardian d'estimer que les Etats-Unis sont, depuis hier, «catapultés» dans «une crise diplomatique mondiale». Au-delà du timing des révélations, qui ne peut être le fait du hasard, les «câbles» semblent avoir été bien «sélectionnés». D'abord, on apprend que les diplomates ont été chargés par le département d'Etat d'espionner les alliés autant que les ennemis. «C'est le plus grand lot de documents confidentiels jamais diffusés publiquement», a précisé le site dont la capacité de stockage est impressionnante. Il faut au moins 70 ans à un individu lisant à rythme régulier pour parcourir tous ces messages. Des messages, qui proviennent de 274 ambassades, consulats et missions diplomatiques, et qui couvrent la période allant du 28 décembre 1966 au 28 février 2010. Les sujets les plus traités sont liés aux relations de politique extérieure, aux affaires gouvernementales intérieures, aux droits humains, aux aspects économiques, au terrorisme, au commerce extérieur et au renseignement. Plus de 6500 messages concernent les activités du Conseil de sécurité de l'ONU. «Les câbles dévoilent les USA espionnant leurs alliés et l'ONU fermant les yeux sur la corruption et les violations des droits de l'homme des ‘'pays clients'' ; des arrangements discrets avec des pays supposés neutres ; et du lobbying pour les entreprises américaines», a indiqué Julian Assange, porte-parole de WikiLeaks, sur le site. Selon lui, la publication de documents révèle les contradictions entre la façade publique des Etats-Unis et ce qui se raconte dans les antichambres. «Et démontre que si les citoyens d'une démocratie attendent de leurs gouvernements qu'ils reflètent leur volonté, ils devraient demander à voir ce qui se passe en coulisses», a-t-il ajouté. Sur les 251 287 messages, 133 887 sont non classés (unclassified), 101 748 confidentiels et 15 652 secrets (une classification américaine). Contrairement aux documents relatifs à l'Irak, publiés précédemment, les câbles diplomatiques seront mis on line progressivement durant les prochaines semaines. «Les sujets traités par ces câbles sont tellement importants et leur répartition géographique si vaste que procéder autrement n'aurait pas rendu justice à ces documents. Nous devons à ceux qui nous ont fait confiance en nous transmettant ces documents de garantir qu'il y aura assez de temps pour parler, écrire à leur sujet, et qu'ils soient largement débattus sur la place publique, ce qui serait impossible si des centaines de milliers de documents étaient publiés en une seule fois», a indiqué Julian Assange. Hier, en début de soirée, 243 messages ont été publiés, soit presque 0,1% de l'ensemble des documents. Les plus repris sont ceux émanant du département d'Etat, suivis des ambassades d'Ankara, de Baghdad, de Tokyo, de Amman, de Paris, de Kuwait, de Madrid, de Moscou, de Colombo, de Pékin, de Tel-Aviv et de la représentation américaine à l'ONU. En Afrique, les ambassades américaines de Khartoum, d'Abuja, de Harare et du Caire sont les plus reprises. Parmi les pays et territoires les plus cités, les trois premiers sont des Etats musulmans : Irak, Turquie et Iran. Ces trois pays sont suivis d'Israël, de l'Afghanistan, de Wrangel (île russe des côtes sibériennes), de la Russie, des îles japonaises de Ryükyü, du territoire japonais Okinawa, du Japon, du Soudan, des îles indiennes de Nicobar et de Lakshadweep, de l'Inde, des îles indiennes de Andaman, de la Syrie, du Liban, du Pakistan, du Nigeria, de la France, de la Jordanie et de Taiwan. L'Algérie est également concernée. Dans le graphique des pays, publié sur le site, on relève que 1099 documents sont liés à l'Algérie. Des documents qui ne sont pas encore accessibles. Il y a, à l'évidence, une concentration sur le monde musulman et sur l'Asie qui peut déjà donner matière à débat. Ensuite, le choix des journaux, quatre européens – El Pais, Der Spiegel, The Guardian et Le Monde –, et un américain The New York Times, peut également susciter des questions. Avec cette volonté de voir grand et de s'adresser à l'opinion publique mondiale, l'animateur de WikiLeaks aurait pu opter pour un journal dans chaque continent, ou du moins, choisir un journal asiatique et un autre du monde musulman, puisque l'essentiel des messages révélés concernent ces deux zones géographiques et politiques. Julian Assange suggère implicitement que ces documents confidentiels trouvent leur provenance à l'intérieur même du gouvernement américain. «Alors que les documents révèlent des abus et un cynisme épouvantables, le simple fait qu'ils puissent faire l'objet de fuite montre qu'il existe des individus droits et courageux, au sein du gouvernement, qui croient en la transparence et en une politique étrangère plus éthique. Ils cherchent à réformer les organisations dans lesquelles ils travaillent, objectif qui, comme le démontrent les câbles «fuités», concerne les citoyens de tous les pays», a-t-il noté. Et d'ajouter une lourde interrogation : «Au cours des prochaines semaines, nous pourrons juger du climat politique de dizaines de pays en fonction de leur réaction. Feront-ils campagne pour la suppression et pour distraire l'attention ou saisiront-ils l'opportunité d'une réforme ?». Les prochaines semaines, on sera fixé… .