WikiLeaks récidive et met en ligne de nouveaux documents sur une soi-disant mission secrète des diplomates américains. Irrité, Washington répond par euphémisme estimant que ses diplomates ne sont pas des espions. La presse mondiale s'est fait hier une joie de publier ces «révélations». New York Times, le Monde, The Guardian, El Pais et Der Spiegel ont inondé le marché médiatique de ces «potins» que distille Wikileaks à dose homéopathique et périodique. En réponse à la réaction de l'administration américaine, la presse mondiale, qui a servi de caisse de résonnance à Wikileaks, a justifié la publication dimanche dernier, du contenu de quelque 250 000 câbles diplomatiques américains. Ces journaux ont invoqué leur «mission» d'informer. «Il est clair que la divulgation des télégrammes diplomatiques confidentiels d'une puissance comme les Etats-Unis (...) ne peut être anodine», indique le Monde sur son site internet dans un article intitulé «Pourquoi le Monde publie les documents WikiLeaks». Mais «à partir du moment où cette masse de documents a été transmise, même illégalement, à WikiLeaks, et qu'elle risque donc de tomber à tout instant dans le domaine public, le Monde a considéré qu'il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d'en faire une analyse journalistique, et de la mettre à la disposition de ses lecteurs», poursuit le quotidien français. Dans une «note aux lecteurs», le New York Times dit croire «que les documents servent l'intérêt général, en éclairant les buts, les succès, les compromis et les frustrations de la diplomatie américaine d'une manière avec laquelle d'autres types de comptes rendus ne peuvent rivaliser». Le New York Times indique également avoir travaillé sur le sujet avec l'administration américaine pour éviter du publier toute information qui «mettrait en danger la sécurité d'informateurs confidentiels ou compromettrait la sécurité nationale». Le journal affirme avoir obtenu les documents, initialement obtenus par Wikileaks, d'une source indépendante. The Guardian souligne également de son côté l'importance de ne pas mettre en danger la vie d'individus, ni de «révéler des informations qui compromettraient des opérations militaires en cours ou des emplacements de forces spéciales». Au-delà de ces considérations, le «travail des médias n'est pas de protéger le pouvoir de tout embarras», relève The Guardian, ajoutant: «C'est aux gouvernements, pas aux journalistes, de protéger les secrets». «Si WikiLeaks peut avoir accès à des informations secrètes (...), il est vraisemblable que des puissances étrangères le peuvent également», renchérit le journal. La Maison-Blanche a condamné «dans les termes les plus forts» la publication «irresponsable et dangereuse» de ces documents, affirmant que l'initiative de Wikileaks pourrait faire courir des risques mortels à des individus. Pour le New York Times, il s'agit «d'un quart de million de câbles diplomatiques américains confidentiels». Ces notes «offrent un panorama inédit des négociations d'arrière-salle telles que les pratiquent les ambassades à travers le monde», relève le quotidien américain. Wikileaks, qui a affirmé avoir été victime dans la journée d'une attaque informatique, précise sur son site internet (http://cablegate. wikileaks.org/), avoir commencé dimanche dernier la publication record de «251 287» câbles diplomatiques, couvrant une période allant de 1966 à février dernier. Le site affirme avoir voulu souligner la «contradiction» entre la position officielle américaine et «ce qui se dit derrière les portes closes». Le dirigeant de Wikileaks, Julian Assange, un crack en informatique australien, a défendu dimanche dernier les agissements de son organisation. «Autant que nous sachions (...) pas un seul individu n'a été mis en danger à la suite de quoi que ce soit que nous ayons publié», a-t-il affirmé. Les documents diffusés dimanche dernier contiennent les usages habituellement tenus secrets de la diplomatie américaine sur toute une série de dossiers, sensibles ou non. The Guardian, indique par exemple que le roi Abdallah d'Arabie saoudite a appelé les Etats-Unis à attaquer l'Iran et à «couper la tête du serpent» pour mettre fin à son programme nucléaire. A ce propos, les documents montrent qu'Israël a tenté de pousser les Etats-Unis à la fermeté, selon un document diffusé sur le site du Monde. Un télégramme américain relate ainsi une conversation entre Amos Gilad, un responsable israélien, et Ellen Tauscher, sous-secrétaire d'Etat américaine. La politique du président Barack Obama d'engagement stratégique avec l'Iran, «c'est une bonne idée, mais il est bien clair que cela ne marchera pas», y déclare M. Gilad. Certains documents pourraient s'avérer gênants pour de futures rencontres entre les Etats-Unis et leurs partenaires. Der Spiegel rapporte ainsi des propos de diplomates américains à l'égard de la chancelière allemande Angela Merkel : «Elle craint le risque et fait rarement preuve d'imagination.» Quant au Premier ministre turc Tayyip Erdogan, les services américains croient savoir qu'il se méfie de tout le monde et «s'est entouré d'un cercle de conseillers qui le flattent mais le méprisent». Ainsi, on nous apprend que Recep Tayyip Erdogan «hait tout simplement Israël», écrivent des diplomates américains à Ankara, en commentant sa virulente réaction à l'offensive israélienne contre Ghaza en 2008/2009. Ces diplomates indiquent soutenir la thèse de l'ambassadeur d'Israël à Ankara, Gabby Levy, selon laquelle les virulentes déclarations anti-israéliennes du chef du gouvernement turc sont avant tout «émotionnelles, car il (Erdogan) est un islamiste». «Du point de vue de la religion, il nous hait et son mépris se propage» dans son pays, a indiqué l'ambassadeur israélien aux diplomates américains en poste dans la capitale turque, attribuant la dégradation des liens entre son pays et la Turquie à la personnalité du Premier ministre, un ancien militant islamiste qui renie son passé et dirige un gouvernement islamo-conservateur depuis 2003. Pour les Etats-Unis, l'«antipathie» d'Erdogan concernant Israël est un «facteur» dans la détérioration des rapports israélo-turcs. Ces câbles rédigés en octobre 2009 interviennent avant l'abordage par un commando israélien d'un convoi humanitaire pour Ghaza, sous blocus israélien, au cours duquel neuf militants turcs avaient été tués, le 31 mai 2010. Cet incident sanglant a réduit les relations entre Israël et la Turquie, autrefois alliés régionaux, au point mort. Si M. Levy est toujours présent à Ankara, la Turquie n'a pas renvoyé d'ambassadeur en Israël, exigeant excuses et compensations. En janvier 2009 à Davos (Suisse), M. Erdogan avait violemment condamné l'offensive militaire israélienne à Ghaza, lors d'un débat en présence du président israélien Shimon Peres. L'épisode avait fait de M. Erdogan une sorte de héros dans le monde arabe. D'autres dirigeants en prennent pour leur grade : le président français Nicolas Sarkozy est jugé «susceptible et autoritaire» et un câble décrit le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi comme «faible physiquement et politiquement». Avant même la publication des documents, les autorités américaines avaient pris les devants en alertant plus d'une dizaine de pays. Les premières fuites de Wikileaks, en juillet sur l'Afghanistan, contenaient peu d'importantes révélations, et celles émanant d'Irak se concentraient en majorité sur des exactions commises entre différentes factions irakiennes. En substance, le contenu des câbles publiés révèlent ce qu'exige le département d'Etat américain de ses diplomates chargés d'un rôle d'espion dans les pays où ils sont accrédités.Par exemple, il est demandé aux diplomates de se procurer le numéro des cartes de crédit de responsables étrangers. Parmi les 250 000 câbles de la diplomatie américaine, révélés via les quotidiens américain New York Times et britannique The Guardian, figurent plusieurs missives adressées à des ambassades, dans lesquelles Washington réclame des missions généralement associées au travail de la CIA. Une directive secrète signée en juillet 2009 par la secrétaire d'Etat Hillary Clinton réclame ainsi des détails techniques sur les réseaux de communication utilisés par des responsables des Nations unies : mots de passe et codes secrets. Cette «directive nationale sur la collecte de renseignements humains» a été envoyée aux postes américains auprès de l'ONU à New York, Vienne et Rome, ainsi qu'à 33 ambassades et consulats au Moyen-Orient, en Europe de l'Est, en Amérique latine et en Afrique. Selon le New York Times, le câble demande à des diplomates américains en poste à New York «des informations biographiques et biométriques sur des diplomates nord-coréens de haut rang». The Guardian précise que la directive demande des renseignements au sujet «du style de travail et de prise de décision» du secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon. Washington réclame des informations très précises sur des fonctionnaires de l'ONU : numéros de carte bancaire, adresses électroniques, numéros de téléphone et même des numéros de carte de fidélité auprès de compagnies aériennes, selon le quotidien londonien. Une directive similaire signée en avril 2009 de Mme Clinton réclame des détails sur des personnalités dans trois pays africains : République démocratique du Congo, Rwanda et Burundi. Le département d'Etat demande alors des données concernant des responsables d'avenir dans les domaines politique, militaire, commercial ou du renseignement. Ces données devront porter sur «leur état de santé, leur opinion des Etats-Unis, leur formation, leur origine ethnique et leur maîtrise des langues étrangères», précise Washington, qui réclame aussi «des empreintes digitales, des photos du visage, des empreintes ADN et des images scannées de l'iris». Les diplomates en poste dans la région des Grands Lacs devront fournir des informations sur différents équipements ou installations militaires comme des aérodromes. Dans un câble adressé à son ambassade à Sofia, Washington demande des détails sur «les relations entre dirigeants bulgares et responsables ou hommes d'affaires russes», selon le New York Times. Une directive adressée aux postes diplomatiques au Caire, Tel-Aviv, Jérusalem, Amman, Damas et Riyad a réclamé des renseignements sur les véhicules et les itinéraires projetés de hauts responsables du Hamas et de l'Autorité palestinienne. D'après The Guardian, les ambassades des Etats-Unis en Afrique centrale ont été priées de fournir des éléments sur les relations entre les pays de la région et la Chine, la Libye, la Corée du Nord, l'Iran et la Russie, surtout en ce qui concerne les ventes d'armes et d'uranium. Le porte-parole du département d'Etat Philip Crowley a assuré que ses collègues n'étaient pas des espions. «Contrairement à certaines informations de Wikileaks, nos diplomates sont des diplomates. Ce ne sont pas des auxiliaires en matière de renseignement», a-t-il assuré sur Twitter. Ces pseudo-révélations s'apparentent, à s'y méprendre, à de la poudre aux yeux. Que révèlent ces câbles de plus que l'opinion internationale ne connaissait déjà ? Absolument rien, à l'exception de «potins» mondains qui ne modifient en rien le rapport de force en vigueur, ni les alliances stratégiques établis autour d'intérêts géostratégiques des puissances mondiales et de leurs valets dans les pays du Sud. Dans les rapports de domination qui régissent le monde unipolaire, les Etats-Unis s'adonnent à l'espionnage par tous les moyens et à travers tous les canaux possibles afin de se maintenir informés sur tout ce qui se passe dans tous les pays du monde où chaque gouvernement a ses petits et grands secrets. Pour maintenir sa position de domination géostratégique et économique, il est évident que Washington actionne sa machine de renseignements qu'elle déploie à travers le monde. Les ambassades américaines tout autant que les représentations diplomatiques des autres pays sont les plaques tournantes de l'espionnage. On note, en premier lieu, que Washington n'a à aucun moment démenti le contenu des informations publiées par le site Wikileaks. Mieux encore, la Maison-Blanche semble vouloir confirmer tout ce qui a été «révélé» à travers sa condamnation de la publication de documents «secrets». En second lieu, est-il normal que les documents secrets d'une puissance telle que les Etats-Unis, dont le contenu pourrait compromettre la sécurité nationale et celle d'individus sensibles, puissent être révélés aussi facilement et à deux reprises par le même site internet ? Enfin, la toute-puissance Amérique qui a des capacités et des moyens sophistiqués pour espionner tous le monde pour protéger sa sécurité nationale, ne peut-elle pas protéger ses secrets qu'un site étale au grand jour ? La mise en scène est trop bien orchestrée pour être innocente. La vérité est ailleurs et ce qui est servi à l'opinion crédule n'est que de la poudre aux yeux. En plus du contenu, somme toute banal, de ces «documents secrets», il pourrait s'agir d'une fuite organisée qui vise à humaniser le visage de la superpuissance américaine aux yeux d'une opinion internationale terrorisée par le rôle de plus en plus inquiétant d'une Amérique montrée du doigt comme étant la première responsable des malheurs de l'humanité. L'arrivée surprise d'Obama au pouvoir fait partie de cette stratégie dont l'objectif est d'amadouer l'opinion internationale. Ni la couleur d'Obama ni son discours conciliant et humain ne peuvent modifier la donne imposée par des lobbies d'intérêts puissants qui téléguident les options stratégiques des Etats-Unis qui dominent le monde et qui veulent maintenir cette domination quel qu'en soit le prix. A. G.