Interceptés le week-end dernier au large des côtes oranaises, plus d'une centaine de harraga ont comparu hier et avant-hier devant le juge au tribunal de Aïn El Turck, qui les a condamnés à payer 60 000 DA d'amende chacun. A l'annonce du verdict – dans l'après-midi pour ceux qui ont comparu hier – certains proches des «accusés» ont exprimé leur joie, un signe de soulagement sachant que la loi prévoit des peines de prison. Le représentant du ministère public avait d'ailleurs requis 6 mois d'incarcération. Alors que le phénomène tend à se banaliser malgré le drame des naufrages en mer, cette fois, la particularité réside dans l'ampleur de cette nouvelle vague de tentatives d'émigration clandestine qui n'a pas épargné les mineurs – ils étaient 4 – mais ont été libérés, contrairement à leurs aînés jugés et maintenus en détention jusqu'à l'issue du procès. La loi prévoit des peines de prison, mais ces jeunes n'ont ni volé ni causé de tort à autrui. Ce qui les pousse à quitter le territoire est à chercher ailleurs, en tenant compte du fait que le phénomène est mondial», a déclaré maître Ouahid C., avocat, à l'issue de l'audience de la matinée, alors que le verdict n'avait pas encore été rendu. Pour lui, le chômage, la corruption, les détournements d'argent – qui n'est pas investi là où il faut –, la bureaucratie et le clientélisme engendrent chez ces jeunes une perte de confiance en l'Etat. «Choisir le lieu où l'on voudrait vivre relève de la question des droits de l'homme. Si on veut maintenir ces harraga chez nous, c'est toute une stratégie politique qu'il faut adopter, ce qui veut dire trouver une solution autre que la criminalisation de l'acte de voyager clandestinement», explique-t-il. La place attenante au tribunal n'a pas désempli dans l'attente du verdict. Des proches des mis en cause, ceux qui ont été jugés la veille puis libérés, ont tenu à s'enquérir de la situation de leurs camarades. Attablés à la terrasse d'un café, une dizaine parmi ces derniers gardent encore un fort ressentiment de leur aventure avortée avec l'intervention des gardes-côtes. «Nous étions des jeunes âgés en majorité entre 18 et 25 ans et je peux vous dire que toute l'Algérie était représentée. Il y avait des gens d'Oran, de Tiaret, de Tizi Ouzou, de Béjaïa, etc. Tous en ont marre car sans travail stable», indique d'emblée celui qu'on affuble du sobriquet Alilou Titanic. Parmi ceux qui en ont gros sur le cœur, son ami Houassama Jack. Ils se disent déterminés à reprendre l'aventure dès que l'occasion se présentera. «Notre groupe était formé de 18 personnes et il y avait deux mineurs de 16 ans avec nous, dont un prodige du football, parti dans l'espoir de faire carrière en Europe alors qu'ici, il est très mal considéré», déplore Alilou Titanic. Tous évitent de raconter dans quelles circonstances ils ont pris contact avec celui qui leur a donné les moyens d'embarquer, mais chacun d'eux a dit avoir payé 100 000 DA. «Nous avions un bon équipement (l'embarcation, le moteur, le GPS et la boussole). Nous étions partis mercredi vers 20h, depuis une plage de Aïn El Turck mais après une heure et demie de navigation environ, les gardes-côtes nous sont tombés dessus et nous ont ramenés à Oran, où ils nous ont transférés vers la prison», explique Alilou, qui déplore un manque de considération et des maltraitances – «ils nous ont frappé», précise-t-il – supposées avoir été subies durant leur détention. Ce manque de considération est l'une des raisons qui l'ont poussé à tenter l'aventure. «J'ai présenté un dossier pour travailler dans le cadre de Blanche Algérie, mais en vain. Pire le maire lui-même m'a dit : ‘'va émigrer clandestinement (rouh ahrag, en parler local) si tu n'es pas content.» A ceux-là, un petit boulot dans le cadre des microprojets aurait suffi à les dissuader. Mais pas à d'autres. «Moi j'ai tenté trois fois la traversée. Cela m'a coûté 300 000 DA et si je suis toujours là, c'est que je n'ai plus d'argent pour retenter le coup», déclare, sûr de lui, un jeune homme venu lui aussi soutenir un de ses amis parmi les accusés d'hier, avant que le verdict ne soit prononcé. Dans les mêmes conditions que tous les autres, son copain a, lui aussi, payé 100 000 DA pour embarquer, mais sa motivation est tout autre car il est gérant d'un bureau de tabac : «Nous tentons l'aventure faute de visa et si on veut aller ailleurs, c'est parce qu'il n'y a rien d'attrayant ici. Tu travailles juste pour manger et t'habiller. Ce n'est pas ça la vie.» A propos des risques, son avis est que «la traversée est facile, à condition d'avoir un bon guide, quelqu'un qui connaît la mer, et non le premier venu». L'autre aspect évoqué concerne la vie (qu'on considère miséreuse) des immigrés clandestins une fois sur place. «On vous ment, tranche-t-il, car ceux qui sont arrivés là-bas sont bien et ils vivent…». C'est en fin de compte cette image de la belle vie qui motive les harraga et, s'ils se disent prêts à braver les risques de la mer, le reste, ils s'en soucient peu.