Independance day. Un vendredi de la catharsis en Tunisie. Un 14 janvier de folie, fait de bouleversements spectaculaires, d'accélérations subites et violentes de l'histoire. Après près d'un mois de révolte réprimée dans le sang, le peuple tunisien s'est affranchi d'un des régimes les plus tyranniques d'Afrique du Nord. Non sans avoir payé le prix fort. Hier, vers 18h30, c'était l'épilogue tant attendu. Une conclusion en apothéose des luttes des Tunisiens pour leur émancipation. Après 23 ans de pouvoir absolu, le général président Ben Ali quitte sur la pointe des pieds, les fonctions usurpées de président de la République tunisienne. En raison de l'«incapacité temporaire du président Zine El Abidine Ben Ali à assumer ses fonctions et conformément à l'article 56 de la Constitution, j'assume à partir de cet instant la charge de Président par intérim», a annoncé en début de soirée Mohammed Ghannouchi, Premier ministre sortant, à la télévision. Ghannouchi appellera aussitôt les Tunisiens, «toutes sensibilités confondues à faire preuve de patriotisme et d'unité». Dans son allocution prononcée devant le président de la Chambre des députés, Fouad Mebazaâ, et celui de la Chambre des conseillers (Sénat), Abdallah Kallal, «le président par intérim» s'est engagé à «respecter la Constitution et à mettre en œuvre toutes les réformes sociales et politiques (...) qui ont été annoncées en collaboration avec les partis politiques et les composantes de la société civile». Jusqu'au bout, Ben Ali s'accrochera aux rênes du pouvoir, tentera de sauver les «meubles» de son régime qu'un petit bout de bois de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, première victime de la révolte, a fini par embraser. Ben Ali limogera son gouvernement, convoquera des élections législatives anticipées et chargera Mohammed Ghannouchi de former un nouveau cabinet. Le «Zinochet» proclamera également l'état d'urgence dans l'ensemble du pays avec un couvre-feu de 18h à 6h du matin, et a décidé d'interdire les rassemblements sur la voie publique. La veille, jeudi, dans une allocution télévisée, la troisième depuis le début de la révolte prononcée en arabe dialectal, Ben Ali promettra des réformes profondes, à quitter le pouvoir au terme de son mandat en 2014. Il s'engagera à… «baisser les prix des matières premières», à accorder «toute liberté aux médias» et de cesser «la censure sur internet». Décidément, pas assez pour entraver la bonne marche de l'histoire. Insuffisant pour sauver la tête de celui qui fut le maître absolu de Carthage, encore moins à refroidir le volcan tunisien. «Ben Ali dégage», «Ben Ali assassin», «Power to people», «You killed your people Ben Ali»… ont scandé hier des Tunisiens déterminés à s'émanciper d'un régime despotique et maffieux. A Tunis, mais aussi dans plusieurs autres villes du pays, Sfax, Gafsa, El Kef, Ras El Djabel… des manifestations monstres,réunissant des dizaines de milliers de Tunisiens, avaient donné vendredi le coup de grâce au régime. Ni les blindés de l'armée ni les interventions musclées et les brutalités policières n'ont eu raison de la détermination du peuple. Un printemps tunisien, comme en rêvent depuis toujours des millions d'Algériens, sevrés eux aussi, de liberté et de démocratie. Vivement l'effet domino !