L'exposition «Scénographie, 40 ans de création», que l'on peut visiter en ce moment au Centre culturel français d'Oran, vaut le détour. Venu plusieurs fois dans cette ville pour des séjours didactiques ou de collaboration en art dramatique, Romain Fohr de la compagnie Garance, qui est également universitaire (université Jules Vernes), a eu l'idée, cette fois, et sur la base d'un ouvrage du même titre, de sélectionner et d'exposer quelques photos retraçant l'histoire de cette nouvelle spécialité, un art en soi, dynamique, dont le terme, aime-t-il à rappeler, a fini par remplacer la notion de décor utilisée avant 1970. L'ouvrage (collectif) en question est sorti en octobre 2010 (éditions L'Entretemps) et contient, mais pas seulement, les actes d'un colloque sur le même thème organisé une année auparavant à Amiens (France). Les auteurs ont demandé au photographe Nicolas Treatt de sélectionner symboliquement 40 tirages de son fonds personnel, immense pour avoir photographié plus de 2000 spectacles de théâtre et de danse, afin d'illustrer ce livre de réflexions sur l'évolution de la scénographie, ses apports et ses rapports à la dramaturgie en particulier et à la sphère artistique en général. Romain Fohr a également commandé à un artisan local de confectionner des toiles géantes pour agrandir les épreuves afin de les exposer dans des espaces plus vastes et ce sera particulièrement le cas en juin, en République tchèque, à l'occasion d'une rencontre internationale sur la scénographie, un rendez-vous des artistes et metteurs en scène qui ont révolutionné l'espace scénique en offrant plus de perspectives à la réalisation et à l'interprétation des textes. Au-delà du glissement sémantique, la scénographie a commencé bien avant les années 1970, et dans une conférence donnée dimanche en soutien à cette exposition, l'universitaire français a évoqué plusieurs scénographes qui ont entamé leur parcours dans les années 1950/1960. C'est l'exemple du Tchèque de renommée mondiale, Joseph Sbovoda, et sa scène tournante pour la représentation de l'opéra «Les excursions de Monsieur Broucek» (1960) ou son dispositif mobile pour «Histoire d'un homme véritable» (1961). Cet artisan de la scène a été particulièrement salué pour son «poly-écran» (projections simultanées) et sa création. L'écran pour démultiplier l'action qui se joue sur scène a été utilisé plus tard par le metteur en scène italien Barberio Corseti qui s'est beaucoup intéressé aux arts du cirque. Le mouvement est universel et «la recherche d'une nouvelle esthétique théâtrale» est également le souci du Russe Anatoli Vassiliev qui a créé une école d'art dramatique à Moscou, une sorte de laboratoire pour des expérimentations mais ayant pour but de «créer un univers artistique sur scène». Sa rencontre avec le scénographe Igor Popov sera déterminante dans la concrétisation de sa démarche. Pour Romain Fohr, les possibilités de réaménagement de l'espace scénique dans le théâtre contemporain sont illimitées et l'introduction de nouvelles techniques, d'éclairage par exemple, enrichissent davantage les expériences menées par Daniel Jeanneteau pour recréer l'atmosphère pesante et désespérée des pièces (telle Anéantis) de la dramaturge anglaise Sarah Kane (1971-1999) qui s'est suicidée à l'hôpital. Le pays lointain, la dernière pièce de Jean Luc Lagarce (1957-1995) a fait l'objet d'une scénographie remarquée de Raymond Sarti, avec une démultiplication de lits d'hôpital. Le conférencier cite également les travaux de Tanguy et Ariane Mnouchkine et son Théâtre du soleil. Les collaborations entre metteurs en scène et scénographes sont un des éléments-clés dans l'évolution de l'art de la scène à l'exemple, également évoqué, de Yannis Kokkos avec Antoine Vitez (1930-1990). Comédien de théâtre avant de devenir metteur en scène, Antoine Vitez a eu une carrière extrêmement riche et son engagement politique (militant communiste, à un moment proche de Louis Aragon) a eu des prolongations dans sa conception de l'art théâtral et ses choix esthétiques. Romain Fohr lui rendra encore hommage, ce jeudi, avec une lecture d'extraits de ses textes, en collaboration avec Samira Medjkane, lors d'une rencontre intitulée «Round Vitez». Pour ce concept de lectures initiées par la même compagnie Garance depuis 2009, il n'y aura ni décors ni effets de scènes, mais juste des mots.