Sous la poussée des émeutes de janvier qu'a connues le pays et des bouleversements politiques qui s'opèrent dans le monde arabe, la classe politique nationale s'affaire à reprendre l'initiative. Bravant l'interdit, partis politiques, syndicats et autres associations se sont donné rendez-vous le 12 février pour battre le pavé à Alger à l'effet d'exiger une (ré)ouverture politique et des libertés démocratiques. Des personnalités de divers horizons ont ainsi lancé «un manifeste pour des droits et des libertés». Toutes ces initiatives se rejoignent quant au fond : passer d'un régime politique autoritaire à un système démocratique. Cependant, ces appels incessants et ces initiatives pour le changement sont en butte à des tiraillements partisans qui divisent les forces politiques de l'opposition. Une situation qui a rendu caduque jusque-là toute démarche politique d'envergure susceptible d'instaurer un régime démocratique. D'aucuns se demandent, à juste titre d'ailleurs, pourquoi les partis politiques de l'opposition sont beaucoup plus enclins à se livrer bataille entre eux qu'à en découdre avec le pouvoir en place. Hormis, en effet, les héritages du passé, les repères identitaires et les choix doctrinaux de chaque parti politique, des murs de séparation demeurent encore infranchissables. Le verrouillage politique imposé par un pouvoir hostile à toute idée d'ouverture et qui a plombé la vie politique nationale en est une explication objective. De l'avis de nombreux analystes et acteurs politiques locaux, d'autres explications, pourtant, pourraient en être à l'origine. A titre d'exemple, l'incapacité des forces de l'opposition à s'organiser autour d'un contrat politique pour le changement. Une espèce de «guerre civile» verbale que se sont livrée les partis et organisations à l'ombre de la violence qui a embrasé l'Algérie durant les années quatre-vingt-dix a dynamité les rapports politiques entre les différents courants de l'opposition. Malgré les évolutions politiques et sociales, le clivage éradicateurs-réconcilateurs continue à être cette ligne de fracture. Mais pas seulement. Le politologue Ahmed Rouadjia estime, pour sa part, que «le culte absolu du chef, la sacralisation de son discours politique et les rivalités historiques ont conduit les partis à se rejeter mutuellement». Toutes les expériences passées ont montré comment les égoïsmes et les questions de leadership ont pris le pas sur les stratégies de sortie de crise. Et n'ont pu permettre des alliances transpartisanes. L'absence d'une vie politique nationale a déteint sur l'ambiance au sein des formations, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont reproduit nombre de pratiques pourtant reprochées au pouvoir lui-même. Des crises organiques ont presque tout autant fait de mal à ces partis. Le mal dont pourtant le pouvoir porte presque l'entière responsabilité se mesure à toute la difficulté qu'éprouvent aujourd'hui les acteurs politiques, dont la société attend pourtant une action salvatrice, à l'heure où le pays semble calé paresseusement dans son immobilisme mortifère. L'ancien dirigeant du FFS, Saïd Khelil, n'a-t-il pas jugé nécessaire, dans une interview à El Watan, de faire «un travail d'autocritique. Les divergences, il faut les assumer et il faudrait se parler pour trouver un minimum de convergences. C'est un problème de culture politique, les polémiques sont contreproductives et font des ravages dans l'esprit des citoyens». Selon lui, «le RCD et le FFS, par exemple, devraient trouver un terrain minimum de convergence». Pas si facile. Le FFS ne veut surtout pas accorder «une amnistie» aux partis qui, à un moment donné, avaient rejoint le gouvernement. Au FFS, il est reproché son opposition radicale au régime et son refus de composer avec d'autres partis dont il «soupçonne» la proximité avec le pouvoir. Le RCD, c'est connu, n'a jamais digéré une «alliance» (réelle ou supposée) du FFS avec les islamistes. Pour Abdeslam Ali Rachdi, un des initiateurs du «manifeste pour des droits et des libertés», les enjeux d'aujourd'hui sont «civiques pour le changement et dépassent les stratégies partisanes. Nous ne sommes pas dans une situation politique normale qui supposerait des coalitions partisanes où le rôle du parti est de mobiliser ses troupes pour arriver au pouvoir à travers des élections». En somme, en l'état actuel des choses, s'il peut paraître présomptueux de parier sur un large rassemblement des forces politiques en présence, il n'en demeure pas moins que seule une dynamique de lutte sociale pourrait conduire vers une recomposition du champ politique, le mieux à même d'incarner le combat à venir. Seulement voilà, le champ d'expression sera-t-il (re)conquis ? C'est un préalable.