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«Aux banques d'adapter leurs produits aux spécificités du secteur agricole»
Ali Daoudi. Professeur et chercheur à l'ENSA d'El Harrach (ex-INA)
Publié dans El Watan le 07 - 02 - 2011

-Depuis au moins une décennie, les pouvoirs publics affichent une volonté pour la relance de l'économie agricole. D'importants capitaux sont investis par l'Etat, sous forme de subventions ou de crédits. Les résultats obtenus sont-ils à la hauteur des efforts consentis ?
Oui, il faut reconnaître qu'effectivement il y a une volonté ferme à soutenir le développement de l'agriculture, notamment à travers la mise à niveau des exploitations agricoles. Donc, il y a un réel effort qui est consenti en termes de financement, mais aussi d'encadrement. Mais l'effort est-il suffisant ? La façon de faire est-elle efficace ? Telles sont les questions qui se posent aujourd'hui. En tout cas, il n'y a aucun système qui est parfait. C'est-à-dire, une politique qui a été efficace en 2005 nécessite des réajustements aujourd'hui et les politiques agricoles sont des processus qui évoluent et qu'il faut constamment mettre à jour et actualiser en fonction des nouvelles données.
-Après le PNDA, il y a eu, depuis 2006, le programme de renouveau rural et agricole et, depuis 2010, un plan quinquennal de 1000 milliards de dinars est mis en œuvre. Les financements accordés à l'agriculture sont ainsi importants mais pourquoi, à votre avis, il n'y a aucune stratégie de développement à long terme qui est tracée ?
Un plan quinquennal c'est quand même du moyen terme. On ne peut pas tracer un programme de développement sur 15 ans, il y a tellement de mutations qui changent complètement les structures de l'économie. Après 5 ans, il y aura une autre configuration du secteur agricole. Par contre, il faut avoir de grandes orientations stratégiques à long terme. Sur ce plan, pour ce qui est de l'agriculture algérienne, la priorité est accordée aux grandes filières qui sont structurantes pour l'économie agricole algérienne, comme les céréales, le lait ou la pomme de terre mais aussi d'autres qui sont créatrices de richesses comme la phoeniciculture. Je pense qu'il y a une visibilité justement pour ces filières dans le sens où l'objectif est d'aller vers leur structuration, de réunir les conditions permettant d'améliorer la productivité de chaque maillon d'une de ces filières. Il reste maintenant à étudier de près les instruments de mise en œuvre pour voir s'ils sont parfaits ou pas.
-L'agriculture algérienne est basée sur les soutiens de l'Etats ces dernières années. Comment situer le niveau de ces subventions comparativement aux autres économies du pourtour méditerranéen ?
Même si que l'Etat algérien actuellement soutient l'agriculture d'une manière importante mais nous sommes encore loin comparativement à la rive nord de la Méditerranée. C'est positif bien sûr que l'Etat soutienne ainsi le secteur agricole, mais si les choses n'avancent pas, l'Etat devrait encourager l'émergence de banques agricoles qui soient vraiment innovantes.
C'est-à-dire des banques qui adaptent leurs offres de financement aux spécificités du secteur. Je pense que c'est à ce niveau que nous avons encore des retards. Il y a, par exemple, la BADR (Banque d'agriculture et de développement rural) qui revient ces derniers temps vers le secteur agricole, à travers le crédit Rfig notamment, mais ce n'est pas suffisant. Il faut bien analyser le secteur et identifier ses besoins, mais aussi les conditions de satisfaction de ces besoins.
Le financement ne doit pas se limiter à l'exploitation agricole, mais il doit être élargi aux autres activités connexes. Par exemple, financer des PME autour des exploitations qui vont faire pas forcément dans la transformation mais dans le consulting aussi. Evidemment, il ne faut pas qu'il y ait des milliers de bureaux d'étude mais des bureaux de conseil qui soient capables d'accompagner les exploitants et les PME industrielles à aller de l'avant, à innover et à s'adapter.
Les banques devraient aussi accompagner l'émergence d'entreprises de transformation dont le secteur agricole accuse un manque important. Il y a eu un excédent de production de pomme de terre par exemple, mais la prise en charge de son stockage est toujours problématique. Il faut qu'il y ait des entreprises d'exportation, comme il faut créer également une petite industrie autour de la pomme de terre pour la transformation. Tous ces volets nécessitent des soutiens qui ne doivent pas venir seulement de l'Etat, mais aussi du secteur économique.
-Trouvez-vous suffisantes les mesures prises par l'Etat ces dernières années pour la relance du secteur, comme le Syrpalac, le crédit Rfig ou le nouveau barème des subventions ?
Les besoins sont tellement énormes que je ne pense pas que ces mesures soient suffisantes. Mais des systèmes, comme le Syrpalac, sont importants. Il reste à étudier si ces dispositifs fonctionnent bien ou pas. Auparavant, nous avions en Algérie une certaine alternance. Il y a une campagne agricole où tous les exploitants se mettent à la pomme de terre, puis une chute libre des prix, et l'année d'après, personne ne fait de la pomme de terre. Mais maintenant, le problème ne se pose plus avec ces systèmes de régulation. En revanche, nous ne pouvons pas réguler éternellement de cette manière. Tout en maintenant ces systèmes comme le Syrpalac, il faut en même temps encourager l'émergence de nouveaux acteurs qui prendront en charge différemment ces excédents.
-Pour la filière lait, malgré toutes les subventions accordées par l'Etat, les transformateurs préfèrent toujours la poudre importée que d'utiliser le lait frais sous prétexte que le prix de ce dernier est élevé avec 30DA/litre. Vous ne pensez pas que l'Etat doit intervenir en amont, à la ferme, pour réduire les coûts de production du lait cru ?
Il y a toujours une analyse rationnelle qu'il faut faire. Durant plusieurs années les prix ont été plus compétitifs sur le marché international et les industriels ne regardaient pas du côté des éleveurs.Ils se retournent automatiquement vers les importations. Aujourd'hui, le prix de la poudre sur le marché international connaît des augmentations considérables et c'est là que les transformateurs se sont rendu compte que la production locale pourrait être intéressante. Mais là où il faut avoir une réflexion stratégique, c'est d'inciter ces industriels à s'intéresser à la production locale à long terme et non pas d'une façon conjoncturelle seulement, c'est-à-dire, aller vers le marché international quand les prix de la poudre sont en baisse et se retourner vers le marché local quand il y a des flambée.
Ce type de comportement n'encourage pas le développement de la production nationale. Parce que le développement de la production laitière nécessite des investissements à long terme au niveau de la production avec des agriculteurs qui adaptent leur système de production en investissant dans les vaches laitières, les étables, la maîtrise technique. Mais quand, en parallèle, ces éleveurs ne trouvent pas preneurs pour leur production laitière ça ne peut pas marcher. Dans ce genre de situations, la solution a été trouvée dans les pays développés, c'est la contractualisation, en plaçant les relations agriculteurs-transformateurs à moyen et long termes.
-Mais la contractualisation requiert la généralisation du cadre réglementaire à tous les niveaux ; or, en Algérie l'informel occupe une large place dans l'agriculture…
Il ne faut pas voir l'informel comme un frein au développement. Ce sont des acteurs réels, mais dont l'activité n'est pas contrôlée. Donc, s'il y avait des alternatives plus compétitives en termes de fonctionnement et de coûts dans les circuits réglementés, les gens y vont verser automatiquement. S'ils sont restés dans une logique informelle c'est parce qu'elle est plus performante pour eux avec des facilités d'échanges et des coûts de transaction moins élevés. Quand on leur propose une machine plus lourde ils n'y vont pas évidemment, mais lorsqu'il s'agit de mesures plus souples que les mécanismes informels ils y iront. Ce qui est certain c'est que les opérateurs qui ont opté pour l'informel sont des agents très rationnels. Lorsqu'ils voient que leur intérêt est dans une autre forme d'organisation qui n'induit pas des coûts supplémentaires ils y adhèrent.
-Justement, les politiques agricoles tracées actuellement tiennent-elles compte de ce paramètre ?
Désormais, il faut en tenir compte. Il ne faut pas continuer à considérer le secteur informel comme quelque chose qu'il faut bannir. Au contraire, ce n'est qu'une partie de l'économie réelle qu'il faut réglementer et parfois, il faut s'inspirer même de ce qui existe dans l'informel pour introduire des innovations dans l'économie réelle. Dans mes recherches, j'ai soulevé la thèse du risque de défaillance qui constitue aujourd'hui la principale contrainte qui empêche le développement du crédit bancaire dans le secteur agricole. Les banques hésitent à accorder des crédits aux agriculteurs qui n'ont pas généralement des titres fonciers. Ils ne tiennent pas une comptabilité, donc les banques ne peuvent pas mesurer l'efficacité ou la rentabilité de leur activité. Ils ne peuvent même pas fournir des garanties fiables qui rassurent les banques. Du coup, les demandes de crédit sont vite refusées parce qu'il y a des risques énormes qu'ils ne remboursent pas.
Effectivement, en étudiant le portefeuille des banques on trouve beaucoup de défaillances. La question qui se pose est de savoir comment en finir avec cette fracture entre le système bancaire et les agriculteurs parce que l'Etat ne peut pas continuer à financer éternellement le développement de l'agriculture. Il y a des besoins qui doivent être satisfaits par les banques et ce n'est qu'un système financier et bancaire efficace qui doit garantir la permanence de la mise à niveau des exploitations. Cette mise à niveau n'est pas une action conjoncturelle qu'on projette sur 5 ans, mais c'est un travail de tous les jours. Il y a de nouvelles technologies, de nouvelles formes d'organisation qu'il faut adopter, des techniques qu'il faut introduire, etc. donc il n' y a qu'un système de financement dynamique qui peut assurer cette mise à niveau perpétuelle.


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