Il accuse des «cercles occultes» de manipuler des manifestations pacifiques. «Je ne serai pas un Premier ministre de la répression». Ancien ministre sous Bourguiba, Béji Caïd Essebsi sera-t-il «l'homme du consensus» ? Comme il fallait s'y attendre, la terrible pression populaire a fini par avoir raison du Premier ministre tunisien de transition. Mohammed Ghannouchi a, en effet, jeté l'éponge hier, au terme de deux jours de protestation populaire assez violente qui rappelait les jours de gloire de la révolution du Jasmin. Mais c'est la mort de cinq personnes et la multiplication des saccages d'édifices publics dans plusieurs villes du pays qui semblent avoir motivé la décision de l'ex-Premier ministre de Ben Ali, très mal vu, il est vrai, par les jeunes révolutionnaires qui abhorrent tout ce qui rappelle l'ancien régime. «J'ai décidé de démissionner de ma fonction de Premier ministre (...). Je ne serai pas le Premier ministre de la répression», a déclaré M. Ghannouchi lors d'une conférence de presse à Tunis. Mais cette démission, aussi attendue soit-elle, n'en suscite pas moins des interrogations sur ses véritables motivations. M. Ghannouchi a en effet glissé dans son discours quelques petites phrases qui peuvent cacher de grandes manœuvres sur l'avenir réservé à la Tunisie par les «laboratoires» de l'ancien régime. Des seigneurs de guerre ? «Je ne suis pas le genre de personne qui va prendre des décisions qui pourraient provoquer des victimes», a déclaré le désormais ex-Premier ministre, un brin énigmatique. Ou encore : «Je ne serai pas le Premier ministre de la répression.» Des déclarations allusives qui en disent long sur les pressions qu'il a dû subir. A-t-il été forcé à prendre certaines (mauvaises) décisions ou à s'en aller ? C'est ce qu'on pourrait comprendre des propos cryptés de M. Ghannouchi. Ceci d'autant plus qu'il a dénoncé les actes de sabotage commis ces derniers jours par des «groupes occultes». Il a aussi dénoncé cet homme qui se promenait à Al Gasrine avec 90 000 dinars (55 000 euros environ) qu'il «distribuait aux casseurs», d'après lui. Des questions laissées en suspens par le Premier ministre démissionnaire. En démissionnant M. Ghannouchi a, en réalité, mis le doigt sur la plaie qui fait encore mal à la Tunisie : les autorités de transition ne contrôlent pas la situation sur le terrain, en témoignent les derniers événements. Lors de ses échanges avec les journalistes, il a enfoncé un peu plus le clou en évoquant la saisie des bien mobiliers et immobiliers ainsi que des avoirs de 110 collaborateurs et membres de la famille de l'ex-président Ben Ali. Une décision de son gouvernement qui n'aurait pas été bien accueillie par certaines sphères apparentées à l'ancien régime. Le départ de Ghannouchi satisfait certes une demande de la rue, qui ne cesse de crier : «Ghannouchi dégage !», mais remet l'avenir de la Tunisie en pointillé… Après avoir résisté à des bourrasques populaires depuis la chute de son mentor de dictateur, l'ex-Premier ministre, qui a remanié et lifté son cabinet, n'a pu sauver sa tête qui ressemble trop à celle de Ben Ali. Béji, un avocat pour une bonne cause La Tunisie va sans doute se réveiller aujourd'hui avec encore plus d'incertitudes, alors que le calendrier électoral est ficelé sur fond de mouvements de foules difficilement maîtrisables. Certains partisans de l'ancien régime, tapis encore à l'ombre de la révolution, pourraient être tentés par le scénario du chaos pour reprendre du poil de la bête. M. Ghannouchi est, certes, une figure de proue du régime de Ben Ali depuis 1991. Mais sa démission risque d'ouvrir la Tunisie aux quatre vents. Après avoir démissionné du parti présidentiel, le RCD, contre lequel il a engagé une procédure de dissolution, et réclamé officiellement l'extradition de Ben Ali ainsi que la saisie de tous ses biens et ceux de sa famille, on ne peut raisonnablement accuser M. Ghannouchi de jouer les trouble-fête. Mieux encore, il avait promis de prendre sa retraite au terme de la transition politique. Ces gages de bonne foi n'ont pas suffit. Son remplaçant, Béji Caïd Essebsi, un vieux routier de la politique en Tunisie, a du pain sur la planche.