Trois nominations valent-elles un Oscar ? Certainement pas, mais elles s'en rapprochent furieusement. Le 27 février dernier, pour la grande messe du cinéma mondial dans le temple d'Hollywood, l'espoir était là pour le réalisateur Rachid Bouchareb venu présenter Hors-la-loi» au milieu des monstres sacrés, des stars et des gros producteurs mondiaux du septième art. Le cinéma est bien la seule industrie du spectacle qui organise son propre spectacle. Se retrouver là, aux côtés de Sharon Stone, Steven Spielberg, F. F. Copolla, Clint Eastwood, Kirk Douglas et autres, après avoir parcouru pendant quarante minutes le tapis rouge menant au Kodack Theater, avec le public à babord et les médias à tribord, doit quand même susciter une émotion marine, même si l'on reste conscient du côté factice des paillettes et des papillons. Une émotion sans doute particulière pour ce fils d'émigré, dont le parcours admirable est marqué par l'opiniâtreté et la fierté. L'adage qui veut que «jamais deux sans trois» s'est vérifié pour Rachid Bouchareb qui a obtenu sa troisième nomination sans aboutissement à l'Oscar du meilleur film étranger, après «Poussières de vie» (1996) et «Indigènes» (2007). Trois nominations valent-elles pour autant un Oscar ? Certainement pas, mais elles s'en rapprochent furieusement. Peu de réalisateurs au monde, notamment aussi jeunes que Rachid Bouchareb, peuvent se targuer d'une telle performance. Et, quelle que soit l'appréciation que l'on peut faire de son film, on ne peut que la saluer. «Hors-la-loi» qui se veut une épopée de la lutte pour l'indépendance, traitée selon les canons du film policier, a vécu lui-même une épopée qui n'a rien de cinématographique. Il y a eu d'abord l'épisode politique avec une profusion de déclarations hostiles de personnes qui n'avaient pas vu le film, une manifestation même à Cannes, en mai 2010, rassurante dans le fond, au regard de l'âge vénérable de ses participants qui n'avaient pas même mobilisé leurs enfants. Des menaces, çà et là, contre les salles qui programmaient «Hors-la-loi». Bref, un climat malsain, une odeur de moyen-âge... Puis est venue la cabale médiatique, bon chic, bon genre, non plus fondée sur l'histoire, mais sur la mise en épingle artificielle d'une comparaison, d'une compétition particulière, voire d'un «affrontement» entre le film de Bouchareb et celui de Beauvois, Des hommes et des dieux. Pourquoi opposer deux œuvres, toutes deux respectables, et chacune portant sa propre expression ? Les manifestations pas même voilées de déception que la deuxième n'ait pas été nominée aux Oscars – suggérant presque que la première lui avait enlevée sa place –, ou de satisfaction que Bouchareb n'ait pas reçu l'Oscar, sont les symptômes d'une déliquescence morale profonde. Pour notre part, nous avons fait paraître dans ces colonnes, des critiques élogieuses de Hors-la-loi», mais également quelques points de vue plus circonspects quant à son originalité cinématographique. Un grand film n'est pas forcément un chef-d'œuvre. Si l'on peut reconnaître d'emblée au film le mérite d'avoir porté à l'écran des événements jusque là privés, à quelques très rares exceptions, de représentation cinématographique (8 mai 1945, 17 octobre 1961…) et d'avoir eu l'audace de montrer le rapport des individus, quel que soit leur camp, à la violence collective, il n'est pas question de mélanger art et histoire, ce que d'ailleurs Bouchareb s'est évertué à répéter. Un film est une expression qui porte ses forces et ses faiblesses, un point c'est tout. Et quelles que soient ces dernières, on peut supposer au moins qu'elles ne sont pas si grandes pour que Hors-la-loi» soit sélectionné parmi 65 films en compétition pour atteindre le dernier carré des nominés. Signalons que pour l'Algérie il s'agissait de la septième nomination avec un Oscar obtenu par Z de Costa-Gavras. Accompagné de ses producteurs, Jean Bréhat et Mustapha Orif, directeur général de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel et représentant les contributeurs algériens, ainsi que de Ahmed Bedjaoui, conseiller cinéma de la ministre de la Culture, Rachid Bouchareb, dans cette foule d'individualités, a dû quand même se sentir seul au monde dans l'instant précédant l'ouverture de l'enveloppe par les acteurs Helen Mirren et Russel Brand. La fameuse statuette est allée au film danois de la réalisatrice Susanne Bier. Présenté aux Oscars sous le titre In a better world (Dans un monde meilleur), il sera prochainement sur les écrans de France sous le titre Revanche. Est-ce pour cela que Bouchareb semble s'installer aux Etats-Unis, où il tourne déjà deux films, comme si sa revanche consistait à aller chercher un monde meilleur pour son cinéma ? En tout cas, le lendemain de la cérémonie des Oscars, la Paramount lui a confié un scénario.