C'est un Premier ministre arrogant et méprisant qui s'est présenté aux Algériens, mercredi dernier, à la télévision. L'homme, qu'on appelle sans que ça l'offusque «l'exécutant des sales besognes», a lâché que l'Algérie ne connaîtra pas «de changement politique car elle ne souffre pas de crise politique». Terré dans un silence plusieurs mois durant, Ahmed Ouyahia choisit de sortir de son mutisme par la porte de l'intolérable fuite en avant et de l'invective. Ce n'est assurément pas le ton que les Algériens, pris dans l'étau d'un mal-être et d'un mal vivre, souhaitaient entendre. Alors que les appels pour un changement radical du système se suivent et se multiplient depuis trois mois, le Premier ministre, adossé à son indéfectible et confortable allégeance au pouvoir, répond d'un insultant «niet» et affirme que le système continuera à vivre avec ses travers et sa logique pourtant décriés : «Chez nous, le changement est intervenu en 1989. Il y a plus de 30 partis politiques, une centaine de titres de presse, nous n'avons pas d'opposants politiques en prison ni d'exilés politiques. Le développement économique profite à toutes les régions du pays, même Bordj Badji Mokhtar est devenue une petite ville.» Telle est la teneur que prend le discours du Premier ministre, caché sous la casquette de secrétaire général du RND, et qui parle de l'Algérie comme d'un bien dont le sort est scellé et décidé. Il assène au peuple algérien le verdict de ne plus prétendre au changement, de ne plus entrevoir l'ombre d'une issue autre que celle concoctée dans des officines et laboratoires aux concepteurs inconnus. Une telle déclaration ne peut que traduire la nature autoritaire et sectaire du régime. Un régime qui ne s'encombre plus de façades et qui refuse même au peuple l'expression de la volonté du changement.Un régime qui présente le nombre de partis politiques et de journaux comme gage de démocratie et qui bastonne à longueur de mois et d'années tout citoyen réclamant ne serait-ce que de l'écoute. Se plaçant en tuteur ou en voix des maîtres d'Alger et empruntant un ton moqueur et populiste, Ouyahia indique que «ce n'est pas avec des initiatives que le changement se fera en Algérie». Une manière de traduire que le système ne répondra jamais à la voie pacifique et que le seul rapport de forces qu'il reconnaisse est celui de la violence. La preuve : il n'hésite pas à donner des logements là où les populations recourent à l'émeute, à injecter des fonds à n'en plus finir dans des dispositifs de création d'entreprises juste pour calmer le volcan nommé jeunesse. Ouyahia lance, sans un battement de cils, que l'Algérie est parcourue par une série de crises sociales qui n'ont aucune dimension politique. Lui, chef d'une équipe gouvernementale dont la réputation est traînée comme un chiffon dans les rues de la capitale, ne voit pas dans le rôle politique qu'il occupe un effet sur la situation sociale que vit le pays. Et de ce fait, se prémunit de tout risque d'être poussé vers la porte. Il nie une évidence qui est que le système politique algérien est fermé et entre les mains d'une poignée de personnes qui façonne le jeu politique à sa guise en cultivant l'exclusion. Ouyahia confirme la crainte d'une constituante Alors que le pays, de l'avis des observateurs étrangers et nationaux, est à la dérive, il dit qu'«il n'y a pas de crise politique majeure en Algérie nécessitant la dissolution du Parlement ou le départ du gouvernement». La Constituante, revendication majeure de l'opposition, n'est pas à appliquer en Algérie, affirme aussi le Premier ministre. Il est vrai que l'application d'une telle option pour l'Algérie reviendrait à l'éliminer politiquement et à balayer tout le système. Ouyahia ne cache pas une telle crainte puisqu'il dit que «la Constituante est le reniement de tout ce qui a été fait depuis l'indépendance». Et de continuer en hissant le traditionnel et peu convaincant épouvantail islamiste : «La Constituante, c'est remettre tout à plat. Après, va-t-on s'entendre sur quel type d'Etat choisir ? Islamique, laïc ou républicain ?», dit-il. Et d'ajouter, comme pour asséner le coup de grâce aux vœux des Algériens, d'en finir avec le mal et, pour donner au système une prétention à continuer de vivre longtemps : «Un système parlementaire ne peut être viable en Algérie que dans 50 ans.» Quelle marque de mépris que celle affichée par le Premier ministre face au peuple ! Qui a donc mandaté M. Ouyahia pour parler au nom des Algériens ? Pourquoi se place-t-il en porte-voix du peuple et fait à sa place le choix de sa destinée, si ce n'est de l'usurpation pure et simple de son droit à l'autodétermination. Nier la dimension politique de la crise en Algérie revient à nier la prétention à trouver de vraies solutions et donc plonger le pays dans un cycle d'incertitudes. Avant lui, Ben Ali, Moubarak et El Gueddafi avaient nié la dimension politique des crises que leurs pays ont traversées. L'histoire retiendra leur fin désastreuse et ne gardera de leur passage qu'un mauvais souvenir. En «Ankaoui» qu'il se dit, Ouyahia doit comprendre ces vers de Sobhan Allah Ya Ltif qu'on peut mettre dans la bouche de l'Algérie : «Mes os ne sont pas à ronger ! Je ne suis pas stérile ; ma terre n'est pas desséchée.»