- Le projet de LFC 2011 prévoit un déficit budgétaire de 33,9% du PIB, comment voyez-vous l'évolution de la situation économique au regard de cet énorme déséquilibre ? Il faut noter que cette situation est unique dans les annales des finances publiques de l'Algérie indépendante ! Elle révèle une situation de non-gestion de la part des pouvoirs publics qui sont complètement dépassés par l'ampleur de la revendication sociale et qui n'ont pas d'autre alternative que de satisfaire ces dernières, sans aucune logique et sans aucune cohérence. Ces apprentis sorciers ont ouvert «la boîte de Pandore» et ils observent passifs et tétanisés ce qui en sort. Ils ont détruit la Fonction publique qui tentait tant bien que mal de maintenir une cohérence globale dans le système salarial des fonctionnaires, ils n'ont aucun relais dans la société puisqu'ils ont imposé l'UGTA, une coquille vide, comme leur seul et unique interlocuteur. Ils ont perdu toute crédibilité par un discours démagogique. La seule réponse qu'ils apportent, l'achat du silence social et politique par l'argent du pétrole qu'ils ont logé sournoisement dans le fameux Fonds de compensation qui leur sert de matelas pour amortir les chocs sociaux, c'est le lot qui caractérise un pouvoir faible, c'est-à-dire un pouvoir sans ancrage réel dans la société. Pour le reste, les chiffres parlent d'eux-mêmes, le budget de fonctionnement (qui enregistre les dépenses salariales des fonctionnaires à 98%) explose littéralement avec une augmentation de 25% et entraîne un déficit budgétaire de quelque 40% du PIB (sur la base d'un prix de 39 $ le baril de pétrole, comme base de calcul des recettes budgétaires pétrolières). On peut, dès lors, parler de «choc budgétaire» en Algérie ! Cet excédent de signes monétaires sans contreparties réelles va très certainement se traduire par des poussées inflationnistes à très court terme, ce qui va se traduire par de nouvelles revendications salariales et ainsi de suite... Nous sommes entrés dans ce qui est communément appelé la «spirale inflationniste».
- Etant donné l'augmentation des dépenses publiques autour de 25%, quelles marges de manœuvre peut encore détenir le gouvernement pour gérer ses finances ? La seule marge de manœuvre que ce gouvernement s'est donnée, c'est la fuite en avant, par l'injection massive de monnaie dans l'économie via les recettes pétrolières, ce qui va augmenter considérablement la consommation des ménages qui ne pourra être satisfaite que par une augmentation substantielle des importations soit pour les produits vendus en l'état soit pour les matières premières à transformer, ce qui est une aubaine pour les entreprises étrangères activant sur le marché algérien et les entreprises algériennes d'import/import. En effet, les augmentations salariales accordées, avec des effets rétroactifs sur plusieurs années, vont fouetter la propension des ménages à consommer et non pas à épargner. La sphère marchande dominée par la spéculation à grande échelle sera la seule à profiter de cette manne qui leur est offerte par les pouvoirs publics, sans que l'on puisse capter par la fiscalité une partie du fait de la fraude et de l'évasion fiscale généralisée. Encore une fois, seuls les salariés et les retraités vont devoir subir cette politique de démission collective. Vont-ils l'accepter ? Il n'est pas inintéressant de constater que ceux-là mêmes qui viennent d'être augmentés revendiquent déjà de nouvelles augmentations soit par mimétisme soit par perte de pouvoir d'achat réel. La seule référence actuelle, qui a valeur de comparaison, ce sont les rémunérations et autres avantages que se sont octroyés des députés et autres sénateurs, suivis peu de temps après par les corps constitués chargés de la répression (armée, police, magistrats).
- L'inflation sera aggravée au vu des indicateurs de la LFC 2011. Quels effets cela aura-t-il sur le pouvoir d'achat des citoyens malgré les augmentations de salaires et le soutien des prix décidés par le gouvernement ? Le système de soutien des prix (subventions), mis en œuvre par les pouvoirs publics, peut être assimilé à des transferts indirects qui vont également contribuer à augmenter la consommation de tous les ménages indifféremment (les riches comme les pauvres) et avoir un effet pervers sur le système des prix relatifs. Une inflation à «deux pieds» (plus de 10%) est très envisageable à court terme, il n'y a qu'à aller au marché pour s'en rendre compte... Le rattrapage a déjà commencé, d'où les revendications salariales nouvelles. La trappe est à l'œuvre et produit ses effets pleinement ! La décision du gouverneur de la Banque d'Algérie de mise en circulation d'une nouvelle coupure de 2000 DA entre dans le cadre d'une politique irresponsable de facilitation de la fraude et de l'évasion fiscale ainsi que de celle du blanchiment et du trafic de devises. Ces masses colossales de liquidités qui circulent sur le marché au noir trouveront une facilité plus importante en mobilité intérieure et extérieure. Comme il est de notoriété publique que «l'inflation est l'impôt du pauvre», ce sont encore les mêmes franges de la population qui vont devoir payer ces dérapages économiques qui vont paupériser les classes moyennes et partant les déstabiliser avec toutes les conséquences politiques que l'ont connaît.
- Près de 100 milliards de dinars seront destinés à la PME, dont 80 milliards de dinars dédiés à l'appui au programme national de mise à niveau de 20 000 PME. Que pensez-vous ? Dans ce cadre également, les mesures prises en direction des PME PMI sont révélatrices d'une volonté évidente de maintenir intacts les monopoles et les situations de rentes multiples. Les sommes engagées peuvent faire illusion aux néophytes mais les experts avertis savent distinguer la faillite d'une décision. En effet, la préférence accordée au secteur des services (et en particulier au commerce) nous révèle toute l'erreur de ciblage stratégique qui a été opérée. Cette «orientation administrative» va entraîner une importation massive de produits et matières non réalisés dans notre pays (alors qu'il fallait faire l'inverse et développer une politique de substitution à l'importation) au profit des firmes étrangères et de leurs représentants en Algérie (concessionnaires de tous gabarits). Que faut-il donc attendre d'une politique qui va très certainement accroître notre dépendance vis-à-vis de l'étranger ? Quel transfert de technologie pour notre jeunesse? Quel impact sur l'appareil de production nationale ? Sinon le développement de la dépendance.