La génération du 14 janvier est marquée par le refus de l'ordre établi. C'est une génération ambitieuse qui sait où elle va et qui s'oppose à l'embrigadement et à l'orientation politique. Tlemcen. De notre envoyé spécial Les avis sont partagés sur l'héritage Bourguiba-Ben Ali en Tunisie. Echec total ? Ou réussite partielle dans certains domaines ? Le débat, organisé lundi au palais de la culture Imama à la faveur de la semaine tunisienne dans le cadre de «Tlemcen, capitale de la culture islamique», a levé partiellement le voile sur les idées qui secouent la scène intellectuelle tunisienne actuellement. Quatre mois après la Révolution du 14 janvier, qui a chassé du pouvoir Zine El Abidine Ben Ali et le clan des Trabelsi, les Tunisiens retrouvent le goût de la discussion et l'échange d'idées. «Je ne revendique pas la rupture avec le passé», a expliqué Mohamed Abdeladim, professeur de philosophie à l'université de Tunis. Pour lui, il y a une continuité entre les régimes de Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali. Pour Najoua Riahi Kosontini, professeur de critique littéraire à l'université de Tunis, qui ne partage pas le point de vue de Mohamed Abdeladim, a relevé que la pensée tunisienne a été dès le départ moderniste. Elle a cité l'exemple de l'encouragement à l'enseignement et au syndicalisme ainsi que le renforcement des droits des femmes sous le règne de Habib Bourguiba. «On ne doit pas faire table rase de notre passé ou nous couper de nos références», a-t-elle prévenu. «Il faut enlever toute crédibilité au discours médiatique sur ces régimes depuis 1956. Il n'y a rien à retenir. La culture a été orientée politiquement pour servir ces régimes. Ceux qui étaient contre ont été marginalisés ou réprimés», a noté Mohamed Abdeladim. Les médias ont, selon lui, faussement fait de la Tunisie «un centre de rayonnement culturel» à l'époque de Ben Ali. L'universitaire a relevé que la culture jetable du spectacle a été encouragée par ces pouvoirs au détriment de la véritable culture. Ce qui a été produit par la culture officielle est en détachement par rapport aux réalités sociales. L'enseignement a été, d'après lui, réduit à une industrie d'emballage. «On parle de milliers de diplômés par an, mais quel en est le contenu ? On a donné la priorité au numérique aux dépens de la qualité. Tout est superficiel», a-t-il souligné. Il a estimé que le système universitaire tunisien a produit des diplômés faibles de personnalité, culturellement limités et souffrant de carences identitaires. Il a pris soin de noter que toute vérité est relative. Najoua Riahi Kosontini a estimé que la baisse de la qualité dans la culture tunisienne n'était pas continuelle. Elle a rappelé les combats de Tahar El Haddad, Belkacem Chabi, Mahmoud El Messadi et d'autres, même avant et après l'indépendance de la Tunisie. Mohamed Abdeladim a estimé que le changement politique majeur en Tunisie, après plus de vingt ans de glaciation, est un processus révolutionnaire toujours en cours. «Ce processus n'est pas achevé. Il est aventureux de prévoir son aboutissement. Il y a des parties qui cherchent à bloquer ce processus, le faire échouer et retourner en arrière. La révolution est menacée. Celle-ci est venue pour rejeter un vécu vomi. Chaque système, quel que soit le niveau de sa stabilité, est entouré de contre-pouvoir qui le menace. L'ancien régime s'est donné une image croyant avoir atteint ses objectifs. Cette situation a provoqué l'émergence de personnalités porteuses d'un autre discours. Et ces personnalités font partie d'une génération que le régime a cru avoir façonnée. Une génération sortie du ventre de l'oppression», a-t-il relevé. La génération du 14 Janvier est marquée, selon lui, par le refus de l'ordre établi. Un refus radical. «Elle a rejeté ce qu'on a voulu faire d'elle et ce qu'on a voulu lui faire faire. C'est une génération ambitieuse qui sait où elle va et qui s'oppose à l'embrigadement et à l'orientation politique. L'énergie de ces jeunes nous a tous surpris», a-t-il insisté. Des jeunes qui, d'après l'universitaire, sont attachés à leur identité culturelle sans enfermement et qui connaissent leurs droits. A ses yeux, la révolution tunisienne aspire à être arabe. «Et aller même au-delà», a-t-il appuyé. Mohamed Abdeladim a estimé qu'il faut encore un peu de temps pour évaluer la production culturelle d'après la Révolution du 14 janvier. «Car la culture est un cumul d'expériences», a-t-il expliqué. Il a plaidé pour la reconstruction de la culture pour qu'elle soit adaptée à l'esprit de la Révolution et aux revendications des jeunes Tunisiens. «La culture façonne la personnalité. Elle doit être à la tête des priorités dans la démarche des réformes», a-t-il plaidé. Selon lui, la culture était, avant la chute du régime de Ben Ali, orientée, embrigadée pour servir les tenants du pouvoir. Dimanche, Djamel Eddine Draouil, enseignant à l'université de Kairouan, est revenu sur le parcours de Mohamed Salah Benachour, le savant réformiste de la Zeitouna. Il a expliqué comment cet érudit a démontré la place de la liberté et de la libération en Islam. «Il a osé s'opposer à Bourguiba. Il a toujours dit que les scientifiques et les penseurs doivent être libres dans leur action. Il a contré le radicalisme religieux», a-t-il relevé.